Comment concilier une
pensée pessimiste et une action optimiste se demandait déjà Albert Camus, il y
a un demi siècle ? Cette reflexion de celui dont on fête le centenaire de
la naissance est plus vraie que jamais. La France est l’un des pays les plus
pessimistes du monde. Or la situation économique nous oblige à agir. Comment
résoudre cette apparente contradiction ? Pourquoi sommes-nous si
défaitistes ?
Regret d’une grandeur
passée, notre pessimisme est aussi lié à une autre caractéristique
fançaise : le dévoiement du doute cartésien. Par une sorte de dérive de la
pensée, ce doute s’est transformé en soupçon. Aujourd’hui, le soupçon, la méfiance font office de raison et nous
empêche de progresser. La méfiance est particulièrement nette à l’égard des
dirigeants politiques. Le pouvoir ne serait pas à la hauteur. A droite, mais
aussi à gauche, le soupçon d’incapacité des gouvernants actuels tient lieu
d’analyse politique. Les lobbys et les corporatismes donnent le ton. C’est
toujours la faute de l’autre. L’usage appliqué du bouc émissaire est ainsi
devenu un principe du raisonnement, une commodité dont nous faisons aujourd’hui
les frais politiques.
Le premier soupçon se
porte sur le pouvoir en la personne du président.
Que n’a-t-on entendu
depuis le début de son mandat sur la molesse de « Flamby » !
François Hollande serait faible, inconsistant, jargonneux, sans charisme. Un
homme trop normal, qui rougit. Ses faiblesses se voient sur son visage. Sa
faute serait de ne pas communiquer assez. Il n’a pas la maestria de ses
prédécesseurs qui savaient conjuguer bling bling, paraître et illusionnisme.
Hollande ne fait pas semblant. Il agit et veut être jugé sur ses résultats. Le
problème, c’est que son action ne se voit pas, car elle se place dans un long
terme, le temps long d’un mandat de cinq ans.
Doit-on réduire la capacité d’un dirigeant à son
paraître ? Gouverner est-ce communiquer ? Convenons d’une chose :
chacun d’entre nous, à gauche comme à droite, n’aura jamais le président de ses
rêves, correpondant exactement à son idéal. On le sait, au moins pour l’avoir
peut-être chanté : « il n’est pas de sauveur suprême ni dieu, ni
césar, ni tribun ». Mais au moins, pouvons-nous préférer un président qui
« fait » à un président qui se « fait voir », un président
de réforme et non un dirigeant marketing qui donne l’impression d’agir.
Entreprendre des réformes de fond, cela ne se voit pas. Nous sommes dans l’ère
du développement durable et, en la matière, les résultats sont, par définition,
lents. On n’inverse pas la statistique en quelques mois. Au moins pouvons-nous
lui reconnaître son courage politique et sa réelle volonté de stopper la crise,
au risque de l’impopularité. Hollande a choisi la stratégie du coureur de fond
sur le durable plutôt que celle du sprinter courant après l’urgence. L’urgence
est superficielle, elle est populiste, cherchant à soigner le symptôme, plutôt
qu’à soigner la maladie. Combien de lois inopérantes Nicolas Sarkozy a-t-il
édicté par souci de calmer l’opinion publique ? Combien de mesures poudre
aux yeux ? Hollande a opté pour la stratégie au lieu de la tactique. Cette
stratégie lui vaut quelques compliments de l’OCDE qui affiche son optimisme
pour la reprise économique en France.
Que l’actuel président soit normal est plutôt une
bonne chose. Certes on peut
reprocher à François Hollande de ne pas être un animal politique. Et alors un
pays ne serait-il gouvernable que par un être d’exception ? Faudrait-il
être un histrion, un génie politique ou un homme de destin historique ?
Non, Pourquoi Hollande ne serait-il pas enfin un président normal, comme le
sont les dirigeants scandinaves ? Reconnaissons que « si l’homme
n’est pas capable d’un grand sentiment, il n’intéresse guère » disait Camus.
C’est là le principal reproche qu’on peut faire au locataire de l’Elysée. Il
écoute mais ne sent pas.
Autre bouc-émissaire : l’Etat
Les Usines qui
ferment ? La faute à l’état. L’école qui ne s’entend pas sur les rythmes
scolaires ? La faute à l’état. Tous les corporatismes et les lobbys
s’accordent à penser que c’est l’état, le fautif. Trop simple. Pourquoi prêtons
nous à l’état autant de fautes ? Comme s’il était un monstre étranger,
voleur, tricheur, glouton. Pouvons-nous admettre, avec bonne foi, que ce que
que l’état prélève c’est pour le bien commun, l’intérêt général. En vérité,
l’état est un bouc émissaire assez commode pour les paresseux de la pensée. Une
chose est sûre, il n’est pas parfait. Il faut l’améliorer pour qu’il soit plus
régulateur. Les entreprises, les banques en premier, sont contentes de le
trouver quand il y problème ou crise pour les renflouer ou les assister. En
définitive l’état, c’est nous, par les impôts que nous payons. Ceux qui crient
haro sur l’état savent qu’ils profitent des bienfaits de la sécurité sociale,
des facilités offertes par les routes, les transports, sans compter l’école
gratuite. Mais ne le reconnaissent pas. Non, l’état responsable de tous nos
maux est une façon simple de ne pas prendre ses responsabilités. Si la France
va mal c’est parce que les Français sont pessimistes.
Troisième bouc-émissaire : L’Europe
A quelques mois
d’élections européennes à hauts risques, l’Europe reste loin, invisible,
inaudible. Le rôle du Parlement reste méconnu. L’Europe serait la cause de
notre déclin, une cathédrale de papier bureaucratique. Les Européens ont
l’impression de payer à un prix très élevé les directives de l’UE, décidées au
nom d’une discipline commune. Certaines catégories sociales ont le sentiment de
financer une solidarité dont ils ne perçoivent pas les bénéfices. Pour les plus
virulents, être européen serait être un traitre à la nation. Quant aux
gouvernements des États-membres, ils ont injustement fait de l’Europe la
responsable de toutes les réformes, souvent impopulaires, qu’ils ont dû
entreprendre. Nombreux sont, parmi eux, ceux qui ne tiennent pas leurs
engagements.
Certes l’Union européenne,
telle qu’elle fonctionne, ne correspond pas vraiment à ce qu’on attend d’une
Europe économique, citoyenne et transparente. La critique est aisée et l’art
est difficile. On passe aux oubliettes l’extraordinaire travail, invisible aux
yeux des publics, accompli depuis des années par l’Europe : la libre
circulation, le Programme Erasmus, la mobilité des jeunes, le marché unique,
l’Euro, le fonds social européen, les fonds régionaux FEDER, la collaboration
entre chercheurs, et les financements européens accordés aux laboratoires, les
aides aux jeunes chercheurs ( bourse Marie Curie), les aides agricoles et
régionales dont la France est l’un des plus gros bénéficiaires. Nous vivons sur
le continent le moins pollué et le plus sûr. Natura 2000, l’étiquettage qualité
des produits…peu d’équivalents existent dans le monde. Sans compter les
innombrables échanges culturels et les progrès économiques et sociaux réels
rendus possibles par la construction européenne. L’Europe reste la zone de
stabilité la plus sûre du monde. En rejetant l’idée européenne et en optant
pour le repli, les populistes qui actionnent l’épouvantail européen, nous
placent devant le plus grand risque, la tentation nationaliste. Une seule
option paraît rompre avec ces peurs : faire du Parlement européen un réel
instrument démocratique de co-décision.
En y regardant de plus
près, ce pessimisme français pourrait bien être une illusion. Une illusion
médiatique. Les médias font plus de vente à parler des trains qui déraillent et
à soupçonner nos politiques d’incompétence en particulier de l’équipe au
pouvoir. Le « Tous nuls » prolonge le « Tous pourris ».
Rarement de bonnes nouvelles. Que du mauvais. Cynisme, dérision, sarcasmes…le
ricanement remplace l’intelligence. Les animateurs et les imitateurs sur les
antennes s’improvisent analystes. Et la presse suit, relaie les (plus ou moins)
bons mots . Quand aux leaders politiques - il faut bien faire bonne figure et
jouer les malins -, ils se prêtent au jeu de la petite phrase et de
l’ironie généralisée.
Mais où sont les paroles
censées, celles des chercheurs, des penseurs, des passionnés d’art. Invisibles.
Ils ne passent plus l’écran. Où sont les architectes du futur ? Où sont
les décrocheurs d’étoiles ? Et les jeunes ? Leur parole ne s’entend
pas. Ou alors quand elle est associée à un désordre.
Notre pays possède des chances extraordinaires, des capacités de recherche et d’ingénierie hors
du commun, des idées et une vie culturelle sans égal. Le problème est que
toutes ces qualités ne se voient pas. Elles sont invisibles. L’infinie richesse
des initiatives, dans l’univers discret des associations et des petites
entreprises, se déplace dans un temps long que les « grands » médias
« immédiats » ne voient pas et dont ils se soucient guère. Les
projets ne manquent pas et les grandes réformes de l’avenir n’attendent que
l’impulsion politique et un peu plus de considération pour se déployer.
Transition énergétique, révolution numérique,
solidarité intergénérationnelle,
économie collaborative, relance de l’Europe, de nombreux chantiers n’attendent
qu’un peu d’esprit positif. Nous avons besoin d’aventure et d’optimisme.
"Optimisme", par nécessité, comme dirait le bon vieux Albert Jacquard
récemment décédé. Aux politiques d’insuffler cet enthousiasme. A la société
civile de leur rappeler leur devoir de gouvernance. « C’est parce que le
monde est malheureux dans son essence, que nous devons faire quelque chose pour
le bonheur, c’est parce qu’il est injuste que nous devrons oeuvrer pour la
justice, c’est parce qu’il est absurde enfin que nous devons lui donner ses
raisons » disait Camus.
Yan de Kerorguen
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