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lundi 2 décembre 2013

« Il faut allier le pessimisme de l'intelligence à l'optimisme de la volonté » Gramsci



Eloge de l’optimisme, honneur aux invisibles
Comment concilier une pensée pessimiste et une action optimiste se demandait déjà Albert Camus, il y a un demi siècle ? Cette reflexion de celui dont on fête le centenaire de la naissance est plus vraie que jamais. La France est l’un des pays les plus pessimistes du monde. Or la situation économique nous oblige à agir. Comment résoudre cette apparente contradiction ? Pourquoi sommes-nous si défaitistes ?
Regret d’une grandeur passée, notre pessimisme est aussi lié à une autre caractéristique fançaise : le dévoiement du doute cartésien. Par une sorte de dérive de la pensée, ce doute s’est transformé en soupçon. Aujourd’hui, le soupçon, la méfiance font office de raison et nous empêche de progresser. La méfiance est particulièrement nette à l’égard des dirigeants politiques. Le pouvoir ne serait pas à la hauteur. A droite, mais aussi à gauche, le soupçon d’incapacité des gouvernants actuels tient lieu d’analyse politique. Les lobbys et les corporatismes donnent le ton. C’est toujours la faute de l’autre. L’usage appliqué du bouc émissaire est ainsi devenu un principe du raisonnement, une commodité dont nous faisons aujourd’hui les frais politiques.
Le premier soupçon se porte sur le pouvoir en la personne du président.
Que n’a-t-on entendu depuis le début de son mandat sur la molesse de « Flamby » ! François Hollande serait faible, inconsistant, jargonneux, sans charisme. Un homme trop normal, qui rougit. Ses faiblesses se voient sur son visage. Sa faute serait de ne pas communiquer assez. Il n’a pas la maestria de ses prédécesseurs qui savaient conjuguer bling bling, paraître et illusionnisme. Hollande ne fait pas semblant. Il agit et veut être jugé sur ses résultats. Le problème, c’est que son action ne se voit pas, car elle se place dans un long terme, le temps long d’un mandat de cinq ans.
Doit-on réduire la capacité d’un dirigeant à son paraître ? Gouverner est-ce communiquer ? Convenons d’une chose : chacun d’entre nous, à gauche comme à droite, n’aura jamais le président de ses rêves, correpondant exactement à son idéal. On le sait, au moins pour l’avoir peut-être chanté : « il n’est pas de sauveur suprême ni dieu, ni césar, ni tribun ». Mais au moins, pouvons-nous préférer un président qui « fait » à un président qui se « fait voir », un président de réforme et non un dirigeant marketing qui donne l’impression d’agir. Entreprendre des réformes de fond, cela ne se voit pas. Nous sommes dans l’ère du développement durable et, en la matière, les résultats sont, par définition, lents. On n’inverse pas la statistique en quelques mois. Au moins pouvons-nous lui reconnaître son courage politique et sa réelle volonté de stopper la crise, au risque de l’impopularité. Hollande a choisi la stratégie du coureur de fond sur le durable plutôt que celle du sprinter courant après l’urgence. L’urgence est superficielle, elle est populiste, cherchant à soigner le symptôme, plutôt qu’à soigner la maladie. Combien de lois inopérantes Nicolas Sarkozy a-t-il édicté par souci de calmer l’opinion publique ? Combien de mesures poudre aux yeux ? Hollande a opté pour la stratégie au lieu de la tactique. Cette stratégie lui vaut quelques compliments de l’OCDE qui affiche son optimisme pour la reprise économique en France.
Que l’actuel président soit normal est plutôt une bonne chose. Certes on peut reprocher à François Hollande de ne pas être un animal politique. Et alors un pays ne serait-il gouvernable que par un être d’exception ? Faudrait-il être un histrion, un génie politique ou un homme de destin historique ? Non, Pourquoi Hollande ne serait-il pas enfin un président normal, comme le sont les dirigeants scandinaves ? Reconnaissons que « si l’homme n’est pas capable d’un grand sentiment, il n’intéresse guère » disait Camus. C’est là le principal reproche qu’on peut faire au locataire de l’Elysée. Il écoute mais ne sent pas.
Autre bouc-émissaire : l’Etat
Les Usines qui ferment ? La faute à l’état. L’école qui ne s’entend pas sur les rythmes scolaires ? La faute à l’état. Tous les corporatismes et les lobbys s’accordent à penser que c’est l’état, le fautif. Trop simple. Pourquoi prêtons nous à l’état autant de fautes ? Comme s’il était un monstre étranger, voleur, tricheur, glouton. Pouvons-nous admettre, avec bonne foi, que ce que que l’état prélève c’est pour le bien commun, l’intérêt général. En vérité, l’état est un bouc émissaire assez commode pour les paresseux de la pensée. Une chose est sûre, il n’est pas parfait. Il faut l’améliorer pour qu’il soit plus régulateur. Les entreprises, les banques en premier, sont contentes de le trouver quand il y problème ou crise pour les renflouer ou les assister. En définitive l’état, c’est nous, par les impôts que nous payons. Ceux qui crient haro sur l’état savent qu’ils profitent des bienfaits de la sécurité sociale, des facilités offertes par les routes, les transports, sans compter l’école gratuite. Mais ne le reconnaissent pas. Non, l’état responsable de tous nos maux est une façon simple de ne pas prendre ses responsabilités. Si la France va mal c’est parce que les Français sont pessimistes.
Troisième bouc-émissaire : L’Europe
A quelques mois d’élections européennes à hauts risques, l’Europe reste loin, invisible, inaudible. Le rôle du Parlement reste méconnu. L’Europe serait la cause de notre déclin, une cathédrale de papier bureaucratique. Les Européens ont l’impression de payer à un prix très élevé les directives de l’UE, décidées au nom d’une discipline commune. Certaines catégories sociales ont le sentiment de financer une solidarité dont ils ne perçoivent pas les bénéfices. Pour les plus virulents, être européen serait être un traitre à la nation. Quant aux gouvernements des États-membres, ils ont injustement fait de l’Europe la responsable de toutes les réformes, souvent impopulaires, qu’ils ont dû entreprendre. Nombreux sont, parmi eux, ceux qui ne tiennent pas leurs engagements.
Certes l’Union européenne, telle qu’elle fonctionne, ne correspond pas vraiment à ce qu’on attend d’une Europe économique, citoyenne et transparente. La critique est aisée et l’art est difficile. On passe aux oubliettes l’extraordinaire travail, invisible aux yeux des publics, accompli depuis des années par l’Europe : la libre circulation, le Programme Erasmus, la mobilité des jeunes, le marché unique, l’Euro, le fonds social européen, les fonds régionaux FEDER, la collaboration entre chercheurs, et les financements européens accordés aux laboratoires, les aides aux jeunes chercheurs ( bourse Marie Curie), les aides agricoles et régionales dont la France est l’un des plus gros bénéficiaires. Nous vivons sur le continent le moins pollué et le plus sûr. Natura 2000, l’étiquettage qualité des produits…peu d’équivalents existent dans le monde. Sans compter les innombrables échanges culturels et les progrès économiques et sociaux réels rendus possibles par la construction européenne. L’Europe reste la zone de stabilité la plus sûre du monde. En rejetant l’idée européenne et en optant pour le repli, les populistes qui actionnent l’épouvantail européen, nous placent devant le plus grand risque, la tentation nationaliste. Une seule option paraît rompre avec ces peurs : faire du Parlement européen un réel instrument démocratique de co-décision.
En y regardant de plus près, ce pessimisme français pourrait bien être une illusion. Une illusion médiatique. Les médias font plus de vente à parler des trains qui déraillent et à soupçonner nos politiques d’incompétence en particulier de l’équipe au pouvoir. Le « Tous nuls » prolonge le « Tous pourris ». Rarement de bonnes nouvelles. Que du mauvais. Cynisme, dérision, sarcasmes…le ricanement remplace l’intelligence. Les animateurs et les imitateurs sur les antennes s’improvisent analystes. Et la presse suit, relaie les (plus ou moins) bons mots . Quand aux leaders politiques - il faut bien faire bonne figure et jouer les malins -, ils se prêtent au jeu de la petite phrase et de l’ironie généralisée.
Mais où sont les paroles censées, celles des chercheurs, des penseurs, des passionnés d’art. Invisibles. Ils ne passent plus l’écran. Où sont les architectes du futur ? Où sont les décrocheurs d’étoiles ? Et les jeunes ? Leur parole ne s’entend pas. Ou alors quand elle est associée à un désordre.
Notre pays possède des chances extraordinaires, des capacités de recherche et d’ingénierie hors du commun, des idées et une vie culturelle sans égal. Le problème est que toutes ces qualités ne se voient pas. Elles sont invisibles. L’infinie richesse des initiatives, dans l’univers discret des associations et des petites entreprises, se déplace dans un temps long que les « grands » médias « immédiats » ne voient pas et dont ils se soucient guère. Les projets ne manquent pas et les grandes réformes de l’avenir n’attendent que l’impulsion politique et un peu plus de considération pour se déployer.
Transition énergétique, révolution numérique, solidarité intergénérationnelle, économie collaborative, relance de l’Europe, de nombreux chantiers n’attendent qu’un peu d’esprit positif. Nous avons besoin d’aventure et d’optimisme. "Optimisme", par nécessité, comme dirait le bon vieux Albert Jacquard récemment décédé. Aux politiques d’insuffler cet enthousiasme. A la société civile de leur rappeler leur devoir de gouvernance. « C’est parce que le monde est malheureux dans son essence, que nous devons faire quelque chose pour le bonheur, c’est parce qu’il est injuste que nous devrons oeuvrer pour la justice, c’est parce qu’il est absurde enfin que nous devons lui donner ses raisons » disait Camus.
Yan de Kerorguen

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