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jeudi 26 décembre 2013

La maladie des méga-entreprises de déforestation...

Morvan : La méga-scierie « durable » a-t-elle un avenir ?
Une scierie couplée à une centrale électrique alimentée par de la biomasse ? A priori, le projet a tout pour séduire les défenseurs de l'environnement et de l'emploi. Pourtant, associations et habitants s'y opposent. Explications.
Victoire pour les opposants. Le 9 octobre, le Conseil d’Etat a rejeté les pourvois déposés par Escia, le ministère de l’Ecologie et Nièvre Aménagement (chargé des travaux de défrichement), a annoncé l’association Adret Morvan. Le Conseil d’Etat confirme ainsi la décision du tribunal administratif de Dijon et interdit le déplacement d’espèces protégées sur le site de la future scierie. En attendant le jugement sur le fond, qui ne sera sans doute pas rendu avant la mi-2014, le dossier est au point mort et les travaux suspendus. Dans un communiqué, Adret Morvan a appelé les élus à la « sagesse » et à l’ « abandon définitif » du projet.
Dans la lumière des premiers jours d’automne, le petit bois du Tronçay, à Sardy-lès-Epiry (Nièvre), jaunit placidement en attendant que son sort soit scellé. Le Conseil d’Etat doit en effet, d’un jour à l’autre, valider ou non une dérogation permettant de déplacer plusieurs espèces protégées afin de déboiser cette zone de 60 hectares, en bordure du massif du Morvan. A l’issue de cette coupe en règle débuteraient les travaux du projet Erscia, une méga-scierie que les élus de la Nièvre appellent de leurs vœux.
Arbres, batraciens et humains sont suspendus à cette décision qui devrait conclure plus d’un an et demi d’affrontement entre pro et anti-Erscia. Ce mercredi, Pascal Jacob, le directeur d’Erscia France qui menait le projet a annoncé sa démission. Pas encore assez pour que les antis y voient une victoire. « C’est fatigant d’attendre : on ne sait pas si on va devoir passer notre hiver dans les bois et, à vrai dire, on n’en a pas vraiment envie », lance Muriel André, porte-parole de l’association Adret Morvan qui milite pour l’arrêt du projet. En février dernier, un groupe de riverains a investi un champ adjacent pour faire barrage aux tronçonneuses, avant qu’un énième recours ne suspende les opérations. Les téléphones portables sont de nouveau prêts et le réseau d’alerte rôdé : pas question aujourd’hui d’abandonner la partie. Dans ce petit Notre-Dames-des-Bois, on parle de guerre d’usure. Car, aux yeux des défenseurs du bois du Tronçay, derrière les grenouilles se cache l’avenir de la forêt morvandelle.
Des loups dans le dossier
Le projet a pourtant de séduisants atours. Sur les contreforts du massif, un pôle bois doit naître dont la pièce maîtresse sera l’usine du Belgo-luxembourgeois Wood & Energy : une scierie couplée à une centrale électrique alimentée par de la biomasse. L’ensemble a prévu d’engloutir 500 000 mètres cubes de grumes par an en 2020, et de produire du bois d’oeuvre, assez d’électricité « verte » pour alimenter l’équivalent de 25 000 foyers et 250 000 tonnes de pellets (des granulés de bois) à destination de chaudières industrielles. « Produire du bois et utiliser les déchets pour faire de l’énergie, c’est une réponse aux objectifs du Grenelle de l’environnement », argumente Jean-Paul Magnon, président de la communauté de communes du pays corbigeois qui chapeaute le territoire.
En plein débat sur la transition énergétique, ce médecin de profession défend sa future usine, vertueuse et pourvoyeuse de travail. A la clé du complexe de 150 millions d’euros, il espère quelque 120 emplois directs et cinq fois plus par ricochets. « Ici, c’est un pays d’où les gens partent, nous sommes de moins en moins nombreux, de plus en plus âgés, les services publics se retirent : une occasion pareille ne se représentera peut-être plus », plaide Jean-Paul Magnon.
Mais pour les opposants morvandiaux, il y a des loups dans le dossier. Dans le village de Marcilly, en bordure du terrain, on ne parle plus de co-générateur, mais d’incinérateur. C’est dans les conclusions de l’enquête publique que les habitants ont découvert que l’électricité vendue à EDF à prix subventionné pourrait être produite en grande partie grâce à un approvisionnement en bois usé récupéré dans les décharges des départements limitrophes. Les opposants craignent des infiltrations des produits de traitement dans les eaux des rivières et des retombées aériennes sur les terrains adjacents.
« Croqueurs de subventions »
Une vive polémique entoure également les pellets de bois. Le projet initial les destinait au marché belge. Ce produit issu de forêts hexagonales et transporté en camion sur plusieurs centaines de kilomètres aurait permis au groupe industriel de toucher des certificats verts de l’autre côté de la frontière. « Croqueurs de subventions », grince-t-on vers le bois de Tronçay. « Ce point a été amendé : les pellets resteront en France », argue Jean-Paul Magnon. L’industriel, lui, sollicité sur plusieurs points par Terra Eco, reste muet. Impossible de savoir si un bilan carbone a livré une quelconque information sur l’intérêt environnemental de l’opération. « Ils se sont toujours réfugiés derrière le secret industriel, explique Jérôme Bognard, éleveur d’escargot militant de Marcilly. Finalement, on a vraiment l’impression de s’être fait balader. »
Mais plus encore, c’est le gigantisme de l’usine qui laisse désormais songeur. Les 128 000 hectares du massif du Morvan sont pour moitié plantés de résineux, la famille d’arbres qui intéresse Erscia. Ceux-ci arriveront à maturité d’ici quelques années à peine. En 2018, il y aura 1,4 million de mètres cubes de résineux à couper, puis la production s’effondrera. La méga-scierie est prévue pour absorber à elle seule un tiers de ce volume, alors que de plus petites structures consomment déjà ce qui est disponible. « Ce sera la guerre sur la matière première et au final il y aura des morts : quand il n’y a plus rien pour alimenter votre boutique, vous tirez le rideau », explique Rémy Petitrenaud, scieur de feuillus, représentant de la Fédération National du Bois.
Des usines criquets
Le groupe Wood & Energy a annoncé qu’il irait, si besoin, se servir plus loin : Jura, Vosges, Limousin….. Mais les scieurs bourguignons n’y croient pas. Ils ne sont pas les seuls. « Ces grosses usines, nous les appelons les criquets : il leur faut entre 8 et 15 ans pour amortir leur outil de production et ensuite ils partent dévorer ailleurs, en abandonnant un massif appauvri », lance Philippe Canal, délégué du Snupfen, le syndicat majoritaire de l’Office National des Forêts. D’ici là, le forestier redoute un scénario catastrophe où l’équilibre entre les humains et la forêt s’inverserait. « Les propriétaires forestiers seront tentés de vendre leurs arbres et c’est la forêt qui devra s’adapter à l’industrie », lance-t-il. A l’horizon de ce sombre avenir, des coupes rases d’arbres trop jeunes et la possibilité de produire vite grâce à des outils déjà expérimentés en agriculture : fertilisants et, pourquoi pas un jour, OGM. Les paysages en seraient bouleversés et les services rendus par la forêt - protection de la biodiversité, de l’eau, de l’air - probablement anéantis. De quoi réfléchir à deux fois avant de faire entrer le Morvan dans l’ère industrielle.
Cécile Cazenave

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