Enfers Fiscaux
C’était en 1999, deux
jeunes députés socialistes travaillaient d’arrache-pied à la tête d’une mission
parlementaire sur la «délinquance financière et le blanchiment de capitaux en
Europe». Vincent Peillon et Arnaud Montebourg, aujourd’hui ministres,
consacrent alors des monographies à différents pays, parfois nos voisins, où
l’argent circule en toute opacité. C’était en 2009, alors qu’en pleine crise
bancaire il s’agissait encore et toujours de moraliser le capitalisme. Nicolas
Sarkozy : «Il n’y a plus de paradis
fiscaux. Les paradis fiscaux, le secret bancaire, c’est fini.»
Trois ans plus tard, la lutte contre l’argent sale reste devant nous.
François Hollande, hier : «Les paradis
fiscaux doivent être éradiqués en Europe et dans le monde.»
Lassante rengaine.
Désespérant sentiment que la libéralisation des échanges et la
financiarisation de l’économie s’enracinent dans une part d’ombre inexpugnable
et requièrent ces zones de non-droit off-shore pour prospérer. Espérons, pleins
d’entrain, que cette économie soit enfin démantelée. Restera alors la lutte
contre des pratiques légales mais, au risque du gros mot, immorales :
l’optimisation fiscale, le fait de localiser ses biens et ses avoirs dans de
clémentes contrées où l’impôt est une si légère caresse. Avant la loi qui
pourrait interdire ces pratiques ou harmoniser l’impôt, réjouissons-nous que la
honte publique retienne certains candidats à l’exil fiscal d’échapper aux
formes élémentaires de la solidarité.
NICOLAS DEMORAND
«L’évasion fiscale est une
menace de plus pour le pacte républicain»
Conseiller économique de
Jersey devenu militant, John Christensen dénonce l’imbrication des pouvoirs
politique et financier en Europe :
John Christensen est
directeur exécutif de Tax Justice Network, un centre de recherche indépendant,
basé à Londres (1). Ex-conseiller économique du gouvernement de l’île de
Jersey, où il est né, cet ex-infiltré (Libération du 13 mai 2009) connaît
parfaitement les rouages de la finance internationale hors-sol. Les actuelles
révélations sur les 2,5 millions de fichiers et les 120 000 firmes et
trusts basées dans des paradis fiscaux peuvent-elles être décisives dans la
lutte contre l’évasion...
CHRISTIAN LOSSON
Paris, Berlin, Londres,
Rome et Madrid demandent à l’UE que les comptes des ressortissants européens
soient surveillés. Une mesure efficace déjà appliquée par les Etats-Unis.
«Les paradis fiscaux, le secret bancaire,
c’est fini», claironnait Nicolas
Sarkozy en 2009. On sait ce qu’il est advenu… Hier, François Hollande a déclaré
vouloir «éradiquer» ces
territoires «en Europe et dans le monde».
Ces paroles auront-elles plus de portée que celles de son prédécesseur ? A
écouter les ONG, l’espoir est là, en tout cas. «Les mesures présentées sont celles portées depuis des années par la
société civile. On ne peut que s’en féliciter», commente Mathilde
Dupré, du CCFD-Terre Solidaire. Et l’initiative française n’est pas isolée : au
niveau Européen, tout bouge très vite.
Vis-à-vis des banques, les
mesures annoncées par l’Elysée reprennent les propositions des ONG. Hollande
veut que les établissements rendent publique la liste de toutes leurs filiales,
pays par pays, avec le détail du chiffre d’affaires, des effectifs, des
résultats et des impôts payés. Mais le Président arrive après la bataille : la
mesure a déjà été adoptée en mars par le Sénat, dans le cadre de la loi
bancaire. Et, pour l’histoire, le gouvernement s’opposait alors à une telle
transparence…
Volonté politique
Deuxième axe d’offensive
de Hollande, les territoires offshore. «La
France établira chaque année une liste de paradis fiscaux», a
déclaré le chef de l’Etat. Là encore, rien de neuf. Une liste noire d’Etats et
territoires «non coopératifs» existe depuis 2010. Mais aucun des vrais paradis
fiscaux ne s’y trouve (la liste est composée du Botswana, Montserrat, Brunei,
Nauru, le Guatemala, Niue, les îles Marshall et les Philippines). Tout l’enjeu
est de savoir si la France aura la volonté politique d’y intégrer des places
comme les îles Caïman, la Suisse ou le Luxembourg.
La France estime en fait
qu’elle ne peut agir qu’à la marge à l’échelle nationale et que le niveau
européen est le bon terrain de jeu. Cela tombe bien, ses partenaires européens
sont, pour une fois, sur la même longueur d’onde. Ainsi, hier, les cinq poids lourds
de l’UE (Allemagne, France, Grande-Bretagne, Italie et Espagne) ont écrit à la
Commission pour demander que soit mis en place, au sein de l’Union, un échange
automatique d’informations sur les comptes bancaires détenus par les
ressortissants européens. Surtout, afin de contraindre les pays tiers à mettre
fin au secret bancaire, ils demandent que l’Union adopte l’équivalent du
«Foreign Account Tax Compliance Act» américain (Facta) de 2010. Une législation
particulièrement efficace, qui permettra à Washington, à compter de janvier
2014, de sanctionner durement (via une surtaxe de 30% sur leurs activités
locales) les banques présentes sur leur territoire qui ne déclareraient pas les
avoirs détenus à l’étranger par des citoyens américains.
Cette mobilisation a déjà
eu un premier effet : le Luxembourg et l’Autriche, les deux derniers Etats
membres de l’UE à pratiquer le secret bancaire (en échange d’une taxe sur les
intérêts reversé au pays du ressortissant qui y possède un compte), ont annoncé
qu’ils allaient y mettre partiellement fin. L’Autriche envisage de le faire
pour les seuls étrangers, le secret bancaire étant inscrit dans sa
Constitution. Mais cela risque de ne pas passer la barre de la Cour de justice
européenne, qui veille à interdire toute discrimination entre Européens.
«Cerise sur le gâteau»
Les efforts du Luxembourg
sont encore plus limités : le Premier ministre, Jean-Claude Juncker, a accepté
l’échange automatique d’informations à partir du 1er janvier 2015,
mais seulement pour les personnes physiques ressortissantes d’un Etat membre de
l’UE, qui ne résident pas fiscalement au Grand-Duché. Autrement dit, cette
levée du secret bancaire ne s’appliquera ni aux entreprises, ni aux
non-Européens… Là aussi, ses partenaires risquent de ne pas trouver cela
suffisant.
Ce branle-bas de combat
européen ne doit rien à l’affaire Cahuzac. «C’est
la cerise sur le gâteau, mais pas l’élément déclencheur», s’amuse
Olivier Bailly, l’un des porte-parole de la Commission. «En réalité, ce sont les Etats-Unis qui, avec le
Facta, sont en train de faire sauter le verrou au sein de l’Union, poursuit-il.
Les Britanniques ont aussi sérieusement évolué depuis l’été dernier lorsqu’ils
ont découvert que les grandes compagnies américaines installées chez eux, comme
Google ou Amazon, réussissaient à ne payer quasiment aucun impôt.»
Si l’on ajoute à cela le sauvetage de Chypre, qui a montré le danger que
représentait pour la zone euro un trou noir de la finance, on comprend que les
temps soient mûrs pour mettre en œuvre les résolutions prises en 2007-2008 par
la communauté internationale afin de lutter contre les paradis fiscaux. Et qui
étaient restées depuis lettres mortes.
NICOLAS CORI, JEAN
QUATREMER
Repères. Paradis fiscaux
72 C’est le
nombre des paradis fiscaux dans le monde, multiplié par 3 en trente ans. Ils abritent 2
fonds spéculatifs sur 3 et hébergent 2 400 000 sociétés écrans.
Lexique
Un paradis fiscal,
législatif et réglementaire
se caractérise par 5 critères non cumulatifs : l’opacité ; la fiscalité très
basse, voire nulle ; des facilités législatives pour créer des sociétés écrans
; l’absence de coopération avec les administrations fiscales, douanières et/ou
judiciaires des autres pays ; la faiblesse ou l’absence de la régulation
financière.
La fraude fiscale suppose une intention délibérée de frauder en
contournant l’impôt et des éléments matériels pour le prouver. A l’inverse,
L’optimisation
fiscale est l’utilisation
légale (mais pas forcément légitime) de failles du système fiscal pour réduire
au maximum le montant de l’imposition.
L’évasion fiscale est l’évitement
de l’impôt en déplaçant tout ou partie d’un patrimoine ou d’une activité vers
un autre pays (le plus souvent un paradis fiscal), sans que le citoyen ou la
société s’expatrient eux-mêmes. En pratique, la frontière est ténue : la fraude
fiscale peut facilement n’être que le versant illégal de l’évasion fiscale.
Inversement, l’évasion fiscale peut n’être qu’une forme d’optimisation…
ICIJ, c’est l’International Consortium of Investigative
Journalists, une initiative du Center for Public Integrity à Washington.
L’enquête Offshore Leaks a commencé
à être publiée le 4 avril par 36 médias : 2,5 millions de
fichiers, sur 170 Etats et territoires, 120 000 trusts et sociétés écrans-voyous.
Rappels : «Au
G20 de Londres, la France s’est battue pour que les paradis fiscaux, le secret
bancaire, la fraude organisée, ça soit terminé. Les paradis fiscaux, le secret
bancaire, c’est fini...» Nicolas Sarkozy le 23
septembre 2009. Et «Les paradis fiscaux doivent être éradiqués en
Europe et dans le monde parce que c’est la condition pour préserver et protéger
l’emploi.» : François Hollande,
hier, à l’Elysée.
On attend…
MCD
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