Qu’il
s’agisse du rejet des veuves ou de leur suicide, du mariage forcé des enfants,
de l’infanticide ou du viol mortel, dans maintes situations les femmes
indiennes sont brutalisées par une seule et même politique relationnelle.
A
la différence de Montaigne, je ne peux soutenir : «Il n’y a rien de barbare et sauvage en cette
nation, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage.»
Connaître les us et coutumes d’un peuple ne signifie pas accepter ses violences.
Où que ce soit, la barbarie n’est pas justifiable sous couvert de croyance.
Entendre que la vie doit être martyrisée, parce qu’ainsi elle donne accès
à la félicité de l’au-delà, glace le sang. «Souffre
et meurs ici bas, tu bénéficieras des béatitudes de l’autre monde»
: cette parole d’un traditionaliste indien en dit long. Elle appelle la
réplique : «Pourquoi ne meurs-tu pas à l’instant ?» En Inde, l’esprit déifiant
qui tourmente les hommes, les femmes et les enfants est souverain. En lui, un
imaginaire, mâtiné de superstitions, décide des conduites des individus.
La finalité sadomasochiste propre à de nombreux rites religieux est
omniprésente : elle juge du pur et de l’impur, du bien et du mal, du permis et
de l’interdit.
Naître fille au pays de Krishna et
Rada est une calamité. En ce pays, l’idée persiste que la génitrice
d’un garçon est la vraie femme. La mise au monde d’une fille est souvent
condamnée. La naissance d’un garçon est par contre célébrée. C’est lui, le
garant des biens matériels et spirituels du père ; lui, le préféré. La fille
est assignée à une position subalterne. Sa fonction est de satisfaire un idéal
tyrannique, source de masochisme. En Inde, la femme valorisée est celle qui
donne un garçon à l’époux. Privée de cette possibilité, elle est rabaissée,
dans certains cas abandonnées.
Distinguons,
au vu de la diversité des communautés, que certains Etats font exception. Les
filles y sont bien agréées : c’est le cas au Tamil Nadu, au Kerala ou à Goa par
exemple. Bien sûr, les esprits évoluent, en particulier parmi les couches
moyennes et aisées, et, ce, grâce à la scolarisation. La ségrégation misogyne
perdure néanmoins : elle est inscrite dans la tradition et protégée par
l’ignorance. Une volonté d’émancipation s’exprime malgré les avilissements.
La
révolte féminine est au rendez-vous d’une nouvelle espérance. Nombre de jeunes
femmes refusent de subir l’oppression comme leurs mères. On les voit combattre
les injustices qui les privent de la belle réciprocité en amour. L’opprobre
patriarcal continue de conduire à des comportements infâmes. Dans maintes
contrées pauvres, si une mère tue sa fille à la naissance, son geste est
approuvé.
Parmi les riches, les filles sont
encore plus malvenues. Tant chez les pères que chez les mères, il y a une
préférence inconditionnelle pour le garçon : le garant du nom du père et du
patrimoine. Parler d’amour d’enfant est ici sélectif. «Par un fils, un homme gagne les mondes
célestes», déclarent les anciennes lois de Manou. A cette enseigne,
le rituel de la crémation de la dépouille du père est significatif d’un sexisme
profondément ancré. Pour que le père puisse bénéficier des faveurs des dieux et
accéder à une réincarnation, seul le fils est en droit de bouter le feu au
bûcher funéraire. Il en va de la transmigration des âmes et de
la béatification céleste. A ce jour, l’Inde manque de plus de
40 millions de femmes. C’est un fait dont le fœticide est
responsable. «Je ne trouve pas de femme»,
dit un homme. «On prend de mauvaises
habitudes. Les femmes nous manquent.» Dans les villages et les
bidonvilles, la prostitution, l’enlèvement et le viol sont fréquents. A
l’occasion des fêtes, les hommes dansent entre eux. L’amour entre les êtres est
blessé. Des conséquences néfastes en résultent.
Dans
une société trop inhumaine, le désir sexuel est l’esclave de la misère.
Parfois, comme ce fut le cas lors des événements du 16 décembre, la vérité
scandaleuse fait irruption. Une horde de mâles a violé et tué une jeune
femme et laissé pour mort son ami [le 15 mars,
une touriste suisse a également été l’objet d’un viol collectif, ndlr].
En la circonstance, l’horreur du plus bestial des instincts terrifie. L’acte
criminel, propre au retour du refoulé sexuel, déclenche la rage de quantité
d’Indiens. Femmes et hommes descendent dans la rue. Ils condamnent à raison la
barbarie. Reste à savoir si la masse de la plus grande des nations, qui se
réclame démocrate, saura les entendre.
MARIO CIFALI Psychanalyste et
écrivain
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