J’aimerais discuter
de l’alternative entre un « capitalisme de saccage et de destruction »,
d’une part, et un projet de société qui intègre les préoccupations écologiques
et sociales, d’autre part, c’est-à-dire l’écosocialisme. Cette réflexion des
2005 n’a rien à voir avec le Parti de Gauche, candide, qui découvre actuellement
l’Ecosocialisme.
On peut résumer
l’alternative présentée en ces termes : «écosocialisme ou barbarie». En
fait, c’est la mise à jour du fameux slogan que Rosa Luxembourg a formulé
lors de la Première Guerre mondiale. Le monde, disait cette dirigeante du
mouvement socialiste, fait face à un choix : soit s’engager dans la
construction d’une société sans exploitation et sans guerre, le socialisme,
soit subir des guerres interminables et des crises de plus en plus terribles,
la barbarie. D’où le slogan «socialisme ou barbarie» qu’elle lança en 1915.
La thérapie de choc des néolibéraux
La thérapie de choc des néolibéraux
Dans son dernier livre, The Schock Doctrine, The Rise of Disaster Capitalism,
Naomi Klein explore longuement le scénario de saccage et de destruction,
qu’elle nomme le « capitalisme de désastre ». Elle considère ce scénario
comme une option plausible découlant des choix politico-économiques que
font aujourd’hui les tenants du néo-libéralisme, particulièrement ceux
qui sont représentés par l’administration Bush, et les dirigeants des
grandes entreprises multinationales.
Depuis les années 1970, les idéologues de la droite dure comme l’économiste
Milton Friedman, le gourou du néolibéralisme, affirment que les réformes
néolibérales doivent être administrées non pas graduellement, mais par de grands coups à la faveur de crises
économiques, politiques ou sociales, au moment ou les populations
sont les moins aptes à résister. C’est ce qui a été fait au Chili, en Argentine,
au Brésil par des coups d’État dans les années 70,
de même que dans maints pays du tiers-monde lors de la crise de la dette du
début des années 80 avec les infâmes « réformes
structurelles » du Fonds mondial international (FMI)
et de la Banque mondiale.
Ces crises peuvent être
aussi bien des crises provoquées sciemment, telles que des coups d’État ou
des guerres, que des crises non planifiées, comme les grandes catastrophes
naturelles, les épidémies ou les accidents.
L’essentiel, selon ces
idéologues conservateurs, est d’avoir tout un attirail de mesures économiques
(telles que des privatisations massives, des augmentations de prix sur
des denrées de base ou bien l’abolition de programme sociaux) et de mesures
politiques (comme des réformes constitutionnelles, des suspension de
droits fondamentaux ou bien même l’application de lois d’exception) déjà
prêtes à être appliquées.
La feuille de
route doit être prête et il ne s’agit que d’attendre l’occasion de la mettre en
pratique.
Un complexe
politico-militaro-industriel
À la faveur de ces
crises, toute une nouvelle grappe industrielle fortement soutenue par
l’État se met en place. Ce sont les grandes sociétés privés de sécurité
comme Blackwater, en fait des mercenaires à la solde des États-Unis, les
grands groupes de construction comme Bechtel, les grandes sociétés pétrolières
et celles qui les desservent comme Haliburton, la myriade de conseillers financiers,
de compagnies d’assurance, de banques et d’intermédiaires de tout ordre. Cette intégration de l’État et du très grand capital
forme un nouveau complexe que Klein nomme le « complexe du capitalisme de
désastre ». Ce complexe carbure aux catastrophes. Son essence
même est de croître et de profiter des grands désastres pour littéralement
déposséder le peuple de ses acquis sociaux et de ses biens communs.
Klein voit ce capitalisme
de désastre prendre son envol à la
faveur des multiples catastrophes naturelles que la crise
écologique nous réserve dans les prochaines années : ouragans et inondations
plus fréquentes, grands incendies de forêt, crise de l’eau potable, épidémies
de toutes sortes.
Le modèle de Bagdad : «
zones vertes » et « zones rouges »
La réponse de ce complexe
politico-militaro-industriel, nous dit-elle, sera calqué sur le modèle de Bagdad. Nous verrons apparaître,
d’une part, des enclaves surprotégées pour les élites et les riches : des
zones où tous les services et conforts seront assurés et maintenus, pour un
prix, bien sûr. C’est ce que Klein appelle les « zones vertes ».
D’autre part surgiront
des « zones rouges »,
desquelles l’État se sera désengagé de presque toutes ses responsabilités
sociales. Ce seront de vastes territoires où l’État ne se limitera qu’à
l’exercice de ses fonctions répressives, des zones de guerre, d’insécurité,
de pauvreté et de maladies où vivotera le reste de la population.
Ce sera un système
d’apartheid planétaire où l’accès aux ressources environnementales, à
la sécurité et au confort sera fortement différencié selon le statut social.
En fait, il consistera en la création de bulles de richesse et de privilèges
qui surnageront sur un océan de misère et de pauvreté. Les élites chercheront
de la sorte à stopper aux portes de leur forteresse la barbarie qui
s’abattra sur le reste du monde.
Selon Klein, ce scénario
est déjà en marche. À la suite de l’ouragan Katrina, le modèle de Bagdad
s’installerait tranquillement à la Nouvelle-Orléans. On en verrait aussi des
rudiments au Sri Lanka après le tsunami dévastateur de 2004. En Floride également, certains milieux
d’affaires y songeraient sérieusement en réponse aux cyclones qui
s’abattent de plus en plus fréquemment sur cet État du sud.
La riposte des peuples au
choc : le socialisme du 21e siècle
Loin de conclure dans la
déprime et le catastrophisme, Klein au contraire nous parle de la riposte
citoyenne et populaire aux excès du capitalisme sauvage. Elle décrit
avec beaucoup d’enthousiasme la montée de la gauche latino-américaine et
l’appel d’Hugo Chavez à construire un socialisme du 21e
siècle. Ceci est nouveau pour Klein, car jusqu’à ce dernier livre, elle
s’était toujours gardée d’appuyer des idéologies « globalisantes », préférant
plutôt promouvoir des ripostes locales et communautaires faites de démocratie
participative et d’autogestion.
C’est donc toute une évolution
qu’elle fait ici, une évolution motivée par la prise de conscience du danger
aigu qui guette la planète en raison du capitalisme débridé. Bien qu’elle n’utilise pas le terme
d’écosocialisme, sa réflexion s’inspire néanmoins des pistes explorées par
les tenants de ce projet social, notamment en ce qui
a trait aux préoccupations d’équité sociale et de défense de la
nature.
Qu’est-ce que
l’écosocialisme?
L’écosocialisme constitue
la synthèse des impératifs écologique et des impératifs d’équité sociale.
C’est la prise de conscience de
l’importance de ménager les rapports de l’être humain à la nature tout en
transformant les rapports des êtres humains entre eux.
Selon Ian Angus, le rédacteur
de Climate and Capitalism, un des sites Web les plus respectés dans le domaine,
le but de l’écosocialisme est de remplacer le capitalisme par une société
dans laquelle les moyens de production seront détenus en commun et la préservation
ainsi que de la restauration des écosystèmes seront une préoccupation
centrale de toutes ses activités.
L’écosocialisme
s’articulerait sur trois grands axes :
La croissance infinie
favorisée par le capitalisme est insoutenable à long terme.
Comme le dit John Bellamy Foster dans son livre Ecology Against Capitalism, le système capitaliste est incompatible avec la préservation de la nature. L’essence même de ce système est la recherche du profit maximum par l’expansion continue. Très simplement, pour le capital, s’arrêter, c’est mourir. Cette course effrénée à la croissance l’amène fatalement à se buter à la nature dont les ressources sont limitées. L’expansion infinie du système se bute donc aux limites de la biosphère.
Comme le dit John Bellamy Foster dans son livre Ecology Against Capitalism, le système capitaliste est incompatible avec la préservation de la nature. L’essence même de ce système est la recherche du profit maximum par l’expansion continue. Très simplement, pour le capital, s’arrêter, c’est mourir. Cette course effrénée à la croissance l’amène fatalement à se buter à la nature dont les ressources sont limitées. L’expansion infinie du système se bute donc aux limites de la biosphère.
Les socialismes
de la première vague ont tous échoués tant sur le plan écologique que sur
celui de l’équité sociale.
Comme le soutient Joel Kovel dans The Enemy of Nature, ces premiers socialismes ont été marqués par les conditions de leur genèse. Venus au monde dans la guerre et les tourmentes, ils ont pris un pli militariste, hiérarchique et élitiste dont ils ne se sont jamais débarrassés. De plus, ils ont confondu nationalisation et socialisation. Le socialisme de Marx ne prônait pas la nationalisation, mais plutôt la socialisation des moyens de production, c’est-à-dire leur mise en commun par la société. L’étatisation n’est qu’une seule des formes que peut prendre la socialisation, contrairement à ce que nous avons vu dans les « socialismes » inspirés de l’URSS.
L’écosocialisme, lui, se doit d’être pluraliste, démocratique, autogestionnaire et égalitaire. Il doit chercher à révolutionner les rapports sociaux ainsi que les forces productives. En d’autres termes, il se doit de changer la façon de travailler et de vivre (ce qui constitue les rapports sociaux) ainsi que la façon de produire et d’agir sur la nature (autrement dit, les forces productives).
Comme le soutient Joel Kovel dans The Enemy of Nature, ces premiers socialismes ont été marqués par les conditions de leur genèse. Venus au monde dans la guerre et les tourmentes, ils ont pris un pli militariste, hiérarchique et élitiste dont ils ne se sont jamais débarrassés. De plus, ils ont confondu nationalisation et socialisation. Le socialisme de Marx ne prônait pas la nationalisation, mais plutôt la socialisation des moyens de production, c’est-à-dire leur mise en commun par la société. L’étatisation n’est qu’une seule des formes que peut prendre la socialisation, contrairement à ce que nous avons vu dans les « socialismes » inspirés de l’URSS.
L’écosocialisme, lui, se doit d’être pluraliste, démocratique, autogestionnaire et égalitaire. Il doit chercher à révolutionner les rapports sociaux ainsi que les forces productives. En d’autres termes, il se doit de changer la façon de travailler et de vivre (ce qui constitue les rapports sociaux) ainsi que la façon de produire et d’agir sur la nature (autrement dit, les forces productives).
L’unité des mouvements
sociaux anti-systémiques doit être réalisée.
Une préoccupation majeure des écosocialistes est d’unir l’ancien mouvement social, celui de la classe ouvrière, aux nouveaux mouvements sociaux, comme le mouvement des femmes, le mouvement écologique et le mouvement anti-guerre.
Une préoccupation majeure des écosocialistes est d’unir l’ancien mouvement social, celui de la classe ouvrière, aux nouveaux mouvements sociaux, comme le mouvement des femmes, le mouvement écologique et le mouvement anti-guerre.
Que ce soit dans les années
70 et 80 avec André Gorz (photo),
ou plus récemment avec Joel Kovel, Michael Löwy ou John Bellamy Foster,
tous les penseurs de ce courant prônent l’unité des mouvements antisystémiques,
et s’opposent à la division artificielle que certains cherchent à entretenir
entre les diverses forces de changement social.
Pourquoi reprendre le
terme de socialisme?
Le socialisme est un mouvement
de lutte bicentenaire pour la justice sociale. C’est le premier mouvement
à avoir affirmé qu’un autre monde était possible et qu’il fallait se battre
ici et maintenant pour l’atteindre. C’est un mouvement qui a voulu
fonder une utopie réalisable et dont nous pouvons apprendre énormément,
tant de ses erreurs que de ses succès. Aujourd’hui, tout en se réclamant de
la continuité historique de ce mouvement, il faut le refonder, le renouveler,
en s’inspirant, entre autres, de l’écosocialisme.
En son temps, Karl Marx
a réalisé une synthèse magistrale qui a permis au mouvement socialiste
de prendre son envol pendant près d’un siècle. Ce grand penseur a fusionné
l’objectif de l’aile libertaire du mouvement, « la société sans classes
dans laquelle les producteurs associés mettent en commun les moyens de production
», avec la stratégie prônée par l’aile politique qui était de « prendre le
pouvoir pour transformer la société ».
Il s’agit aujourd’hui de
refaire cette grande synthèse entre pôle libertaire et pôle politique du
mouvement et de fonder ainsi un projet social émancipateur pour le 21e siècle. L’écosocialisme, qui est lui-même la synthèse
de la volonté d’émancipation des classes populaires et de l’impératif de préserver
la nature, est bien placé pour contribuer à cette tâche historique.
Lectures suggérées
Löwy, Michael. « Qu’est-ce-que
l’écosocialisme? » La Gauche.
6 février 2005.
Extraits :
« James O’Connor définit comme écosocialistes
les théories et les mouvements qui aspirent à subordonner la valeur
d’échange à la valeur d’usage, en organisant la production en fonction
des besoins sociaux et des exigences de la protection de l’environnement.
Leur but, un socialisme écologique, serait une société écologiquement
rationnelle fondée sur le contrôle démocratique, l’égalité sociale, et la
prédominance de la valeur d’usage. J’ajouterais que cette société suppose
la propriété collective des moyens de production, une planification démocratique
qui permette à la société de définir les buts de la production et les investissements,
et une nouvelle structure technologique des forces productives. »
« Une réorganisation d’ensemble du mode de production
et de consommation est nécessaire, fondée sur des critères extérieurs au
marché capitaliste : les besoins réels de la population (pas nécessairement
“solvables”) et la sauvegarde de l’environnement. […]
En d’autres
termes, une planification démocratique locale, nationale, et, tôt ou
tard, internationale, définissant :
quels produits devront
être subventionnés ou même distribués gratuitement;
quelles options
énergétiques devront être poursuivies, même si elles ne sont pas, dans un
premier temps, les plus “rentables”;
comment réorganiser
le système des transports, en fonction de critères sociaux et écologiques;
quelles mesures
prendre pour réparer, le plus vite possible, les gigantesques dégâts environnementaux
laissés “en héritage” par le capitalisme.
Et ainsi
de suite…
Cette transition conduirait
non seulement à un nouveau mode de production et à une société égalitaire
et démocratique, mais aussi à un mode de vie alternatif, à une civilisation
nouvelle, écosocialiste, au-delà du règne de l’argent, des habitudes de
consommation artificiellement induites par la publicité, et de la production
à l’infini de marchandises nuisibles à l’environnement (la voiture
individuelle!). »
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