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vendredi 26 avril 2013

Vers des transformations sociales...



Capitalisme de désastre ou écosocialisme?
J’aimerais dis­cuter de l’alternative entre un « ca­pi­ta­lisme de sac­cage et de des­truc­tion », d’une part, et un projet de so­ciété qui in­tègre les pré­oc­cu­pa­tions éco­lo­giques et so­ciales, d’autre part, c’est-à-dire l’écosocialisme. Cette réflexion des 2005 n’a rien à voir avec le Parti de Gauche, candide,  qui découvre actuellement l’Ecosocialisme. 
On peut ré­sumer l’alternative pré­sentée en ces termes : «éco­so­cia­lisme ou bar­barie». En fait, c’est la mise à jour du fa­meux slogan que Rosa Luxem­bourg a for­mulé lors de la Pre­mière Guerre mon­diale. Le monde, di­sait cette di­ri­geante du mou­ve­ment so­cia­liste, fait face à un choix : soit s’engager dans la construc­tion d’une so­ciété sans ex­ploi­ta­tion et sans guerre, le so­cia­lisme, soit subir des guerres in­ter­mi­nables et des crises de plus en plus ter­ribles, la bar­barie. D’où le slogan «so­cia­lisme ou bar­barie» qu’elle lança en 1915.
La thé­rapie de choc des néolibéraux
Dans son der­nier livre, The Schock Doc­trine, The Rise of Di­saster Ca­pi­ta­lism, Naomi Klein ex­plore lon­gue­ment le scé­nario de sac­cage et de des­truc­tion, qu’elle nomme le « ca­pi­ta­lisme de dé­sastre ». Elle consi­dère ce scé­nario comme une op­tion plau­sible dé­cou­lant des choix politico-économiques que font aujourd’hui les te­nants du néo-libéralisme, par­ti­cu­liè­re­ment ceux qui sont re­pré­sentés par l’administration Bush, et les di­ri­geants des grandes en­tre­prises multinationales.
De­puis les an­nées 1970, les idéo­logues de la droite dure comme l’économiste Milton Friedman, le gourou du néo­li­bé­ra­lisme, af­firment que les ré­formes néo­li­bé­rales doivent être ad­mi­nis­trées non pas gra­duel­le­ment, mais par de grands coups à la fa­veur de crises éco­no­miques, po­li­tiques ou so­ciales, au mo­ment ou les po­pu­la­tions sont les moins aptes à ré­sister. C’est ce qui a été fait au Chili, en Ar­gen­tine, au Brésil par des coups d’État dans les an­nées 70, de même que dans maints pays du tiers-monde lors de la crise de la dette du début des an­nées 80 avec les in­fâmes « ré­formes struc­tu­relles » du Fonds mon­dial in­ter­na­tional (FMI) et de la Banque mondiale.
Ces crises peuvent être aussi bien des crises pro­vo­quées sciem­ment, telles que des coups d’État ou des guerres, que des crises non pla­ni­fiées, comme les grandes ca­tas­trophes na­tu­relles, les épi­dé­mies ou les accidents.
L’essentiel, selon ces idéo­logues conser­va­teurs, est d’avoir tout un at­ti­rail de me­sures éco­no­miques (telles que des pri­va­ti­sa­tions mas­sives, des aug­men­ta­tions de prix sur des den­rées de base ou bien l’abolition de pro­gramme so­ciaux) et de me­sures po­li­tiques (comme des ré­formes consti­tu­tion­nelles, des sus­pen­sion de droits fon­da­men­taux ou bien même l’application de lois d’exception) déjà prêtes à être appliquées.
La feuille de route doit être prête et il ne s’agit que d’attendre l’occasion de la mettre en pratique.
Un com­plexe politico-militaro-industriel
À la fa­veur de ces crises, toute une nou­velle grappe in­dus­trielle for­te­ment sou­tenue par l’État se met en place. Ce sont les grandes so­ciétés privés de sé­cu­rité comme Bla­ck­water, en fait des mer­ce­naires à la solde des États-Unis, les grands groupes de construc­tion comme Bechtel, les grandes so­ciétés pé­tro­lières et celles qui les des­servent comme Ha­li­burton, la my­riade de conseillers fi­nan­ciers, de com­pa­gnies d’assurance, de banques et d’intermédiaires de tout ordre. Cette in­té­gra­tion de l’État et du très grand ca­pital forme un nou­veau com­plexe que Klein nomme le « com­plexe du ca­pi­ta­lisme de dé­sastre ». Ce com­plexe car­bure aux ca­tas­trophes. Son es­sence même est de croître et de pro­fiter des grands dé­sastres pour lit­té­ra­le­ment dé­pos­séder le peuple de ses ac­quis so­ciaux et de ses biens communs.
Klein voit ce ca­pi­ta­lisme de dé­sastre prendre son envol à la fa­veur des mul­tiples ca­tas­trophes na­tu­relles que la crise éco­lo­gique nous ré­serve dans les pro­chaines an­nées : ou­ra­gans et inon­da­tions plus fré­quentes, grands in­cen­dies de forêt, crise de l’eau po­table, épi­dé­mies de toutes sortes.
Le mo­dèle de Bagdad : « zones vertes » et « zones rouges »
La ré­ponse de ce com­plexe politico-militaro-industriel, nous dit-elle, sera calqué sur le mo­dèle de Bagdad. Nous ver­rons ap­pa­raître, d’une part, des en­claves sur­pro­té­gées pour les élites et les riches : des zones où tous les ser­vices et conforts se­ront as­surés et main­tenus, pour un prix, bien sûr. C’est ce que Klein ap­pelle les « zones vertes ».
D’autre part sur­gi­ront des « zones rouges », des­quelles l’État se sera désen­gagé de presque toutes ses res­pon­sa­bi­lités so­ciales. Ce se­ront de vastes ter­ri­toires où l’État ne se li­mi­tera qu’à l’exercice de ses fonc­tions ré­pres­sives, des zones de guerre, d’insécurité, de pau­vreté et de ma­la­dies où vi­vo­tera le reste de la population.
Ce sera un sys­tème d’apartheid pla­né­taire où l’accès aux res­sources en­vi­ron­ne­men­tales, à la sé­cu­rité et au confort sera for­te­ment dif­fé­rencié selon le statut so­cial. En fait, il consis­tera en la créa­tion de bulles de ri­chesse et de pri­vi­lèges qui sur­na­ge­ront sur un océan de mi­sère et de pau­vreté. Les élites cher­che­ront de la sorte à stopper aux portes de leur for­te­resse la bar­barie qui s’abattra sur le reste du monde.
Selon Klein, ce scé­nario est déjà en marche. À la suite de l’ouragan Ka­trina, le mo­dèle de Bagdad s’installerait tran­quille­ment à la Nouvelle-Orléans. On en ver­rait aussi des ru­di­ments au Sri Lanka après le tsu­nami dé­vas­ta­teur de 2004. En Flo­ride éga­le­ment, cer­tains mi­lieux d’affaires y son­ge­raient sé­rieu­se­ment en ré­ponse aux cy­clones qui s’abattent de plus en plus fré­quem­ment sur cet État du sud.
La ri­poste des peuples au choc : le so­cia­lisme du 21e siècle
Loin de conclure dans la dé­prime et le ca­tas­tro­phisme, Klein au contraire nous parle de la ri­poste ci­toyenne et po­pu­laire aux excès du ca­pi­ta­lisme sau­vage. Elle dé­crit avec beau­coup d’enthousiasme la montée de la gauche latino-américaine et l’appel d’Hugo Chavez à construire un so­cia­lisme du 21e siècle. Ceci est nou­veau pour Klein, car jusqu’à ce der­nier livre, elle s’était tou­jours gardée d’appuyer des idéo­lo­gies « glo­ba­li­santes », pré­fé­rant plutôt pro­mou­voir des ri­postes lo­cales et com­mu­nau­taires faites de dé­mo­cratie par­ti­ci­pa­tive et d’autogestion.
C’est donc toute une évo­lu­tion qu’elle fait ici, une évo­lu­tion mo­tivée par la prise de conscience du danger aigu qui guette la pla­nète en raison du ca­pi­ta­lisme dé­bridé. Bien qu’elle n’utilise pas le terme d’écosocialisme, sa ré­flexion s’inspire néan­moins des pistes ex­plo­rées par les te­nants de ce projet so­cial, no­tam­ment en ce qui a trait aux pré­oc­cu­pa­tions d’équité so­ciale et de dé­fense de la nature.
Qu’est-ce que l’écosocialisme?
L’écosocialisme constitue la syn­thèse des im­pé­ra­tifs éco­lo­gique et des im­pé­ra­tifs d’équité so­ciale. C’est la prise de conscience de l’importance de mé­nager les rap­ports de l’être hu­main à la na­ture tout en trans­for­mant les rap­ports des êtres hu­mains entre eux.
Selon Ian Angus, le ré­dac­teur de Cli­mate and Ca­pi­ta­lism, un des sites Web les plus res­pectés dans le do­maine, le but de l’écosocialisme est de rem­placer le ca­pi­ta­lisme par une so­ciété dans la­quelle les moyens de pro­duc­tion se­ront dé­tenus en commun et la pré­ser­va­tion ainsi que de la res­tau­ra­tion des éco­sys­tèmes se­ront une pré­oc­cu­pa­tion cen­trale de toutes ses activités.
L’écosocialisme s’articulerait sur trois grands axes :
La crois­sance in­finie fa­vo­risée par le ca­pi­ta­lisme est in­sou­te­nable à long terme.
Comme le dit John Bel­lamy Foster dans son livre Eco­logy Against Ca­pi­ta­lism, le sys­tème ca­pi­ta­liste est in­com­pa­tible avec la pré­ser­va­tion de la na­ture. L’essence même de ce sys­tème est la re­cherche du profit maximum par l’expansion continue. Très sim­ple­ment, pour le ca­pital, s’arrêter, c’est mourir. Cette course ef­frénée à la crois­sance l’amène fa­ta­le­ment à se buter à la na­ture dont les res­sources sont li­mi­tées. L’expansion in­finie du sys­tème se bute donc aux li­mites de la biosphère.
Les so­cia­lismes de la pre­mière vague ont tous échoués tant sur le plan éco­lo­gique que sur celui de l’équité so­ciale.
Comme le sou­tient Joel Kovel dans The Enemy of Na­ture, ces pre­miers so­cia­lismes ont été mar­qués par les condi­tions de leur ge­nèse. Venus au monde dans la guerre et les tour­mentes, ils ont pris un pli mi­li­ta­riste, hié­rar­chique et éli­tiste dont ils ne se sont ja­mais dé­bar­rassés. De plus, ils ont confondu na­tio­na­li­sa­tion et so­cia­li­sa­tion. Le so­cia­lisme de Marx ne prô­nait pas la na­tio­na­li­sa­tion, mais plutôt la so­cia­li­sa­tion des moyens de pro­duc­tion, c’est-à-dire leur mise en commun par la so­ciété. L’étatisation n’est qu’une seule des formes que peut prendre la so­cia­li­sa­tion, contrai­re­ment à ce que nous avons vu dans les « so­cia­lismes » ins­pirés de l’URSS.
L’écosocialisme, lui, se doit d’être plu­ra­liste, dé­mo­cra­tique, au­to­ges­tion­naire et éga­li­taire. Il doit cher­cher à ré­vo­lu­tionner les rap­ports so­ciaux ainsi que les forces pro­duc­tives. En d’autres termes, il se doit de changer la façon de tra­vailler et de vivre (ce qui constitue les rap­ports so­ciaux) ainsi que la façon de pro­duire et d’agir sur la na­ture (au­tre­ment dit, les forces productives).
L’unité des mou­ve­ments so­ciaux anti-systémiques doit être réa­lisée.
Une pré­oc­cu­pa­tion ma­jeure des éco­so­cia­listes est d’unir l’ancien mou­ve­ment so­cial, celui de la classe ou­vrière, aux nou­veaux mou­ve­ments so­ciaux, comme le mou­ve­ment des femmes, le mou­ve­ment éco­lo­gique et le mou­ve­ment anti-guerre.
Que ce soit dans les an­nées 70 et 80 avec André Gorz (photo), ou plus ré­cem­ment avec Joel Kovel, Mi­chael Löwy ou John Bel­lamy Foster, tous les pen­seurs de ce cou­rant prônent l’unité des mou­ve­ments an­ti­sys­té­miques, et s’opposent à la di­vi­sion ar­ti­fi­cielle que cer­tains cherchent à en­tre­tenir entre les di­verses forces de chan­ge­ment social.
Pour­quoi re­prendre le terme de socialisme?
Le so­cia­lisme est un mou­ve­ment de lutte bi­cen­te­naire pour la jus­tice so­ciale. C’est le pre­mier mou­ve­ment à avoir af­firmé qu’un autre monde était pos­sible et qu’il fal­lait se battre ici et main­te­nant pour l’atteindre. C’est un mou­ve­ment qui a voulu fonder une utopie réa­li­sable et dont nous pou­vons ap­prendre énor­mé­ment, tant de ses er­reurs que de ses succès. Aujourd’hui, tout en se ré­cla­mant de la conti­nuité his­to­rique de ce mou­ve­ment, il faut le re­fonder, le re­nou­veler, en s’inspirant, entre autres, de l’écosocialisme.
En son temps, Karl Marx a réa­lisé une syn­thèse ma­gis­trale qui a permis au mou­ve­ment so­cia­liste de prendre son envol pen­dant près d’un siècle. Ce grand pen­seur a fu­sionné l’objectif de l’aile li­ber­taire du mou­ve­ment, « la so­ciété sans classes dans la­quelle les pro­duc­teurs as­so­ciés mettent en commun les moyens de pro­duc­tion », avec la stra­tégie prônée par l’aile po­li­tique qui était de « prendre le pou­voir pour trans­former la société ».
Il s’agit aujourd’hui de re­faire cette grande syn­thèse entre pôle li­ber­taire et pôle po­li­tique du mou­ve­ment et de fonder ainsi un projet so­cial éman­ci­pa­teur pour le 21e siècle. L’écosocialisme, qui est lui-même la syn­thèse de la vo­lonté d’émancipation des classes po­pu­laires et de l’impératif de pré­server la na­ture, est bien placé pour contri­buer à cette tâche historique.
Par Roger Rashi
Lec­tures suggérées
Löwy, Mi­chael. « Qu’est-ce-que l’écosocialisme? » La Gauche. 6 fé­vrier 2005.
Ex­traits :
« James O’Connor dé­finit comme éco­so­cia­listes les théo­ries et les mou­ve­ments qui as­pirent à su­bor­donner la va­leur d’échange à la va­leur d’usage, en or­ga­ni­sant la pro­duc­tion en fonc­tion des be­soins so­ciaux et des exi­gences de la pro­tec­tion de l’environnement. Leur but, un so­cia­lisme éco­lo­gique, se­rait une so­ciété éco­lo­gi­que­ment ra­tion­nelle fondée sur le contrôle dé­mo­cra­tique, l’égalité so­ciale, et la pré­do­mi­nance de la va­leur d’usage. J’ajouterais que cette so­ciété sup­pose la pro­priété col­lec­tive des moyens de pro­duc­tion, une pla­ni­fi­ca­tion dé­mo­cra­tique qui per­mette à la so­ciété de dé­finir les buts de la pro­duc­tion et les in­ves­tis­se­ments, et une nou­velle struc­ture tech­no­lo­gique des forces productives. »
« Une ré­or­ga­ni­sa­tion d’ensemble du mode de pro­duc­tion et de consom­ma­tion est né­ces­saire, fondée sur des cri­tères ex­té­rieurs au marché ca­pi­ta­liste : les be­soins réels de la po­pu­la­tion (pas né­ces­sai­re­ment “sol­vables”) et la sau­ve­garde de l’environnement. […]
En d’autres termes, une pla­ni­fi­ca­tion dé­mo­cra­tique lo­cale, na­tio­nale, et, tôt ou tard, in­ter­na­tio­nale, définissant :
quels pro­duits de­vront être sub­ven­tionnés ou même dis­tri­bués gratuitement;
quelles op­tions éner­gé­tiques de­vront être pour­sui­vies, même si elles ne sont pas, dans un pre­mier temps, les plus “rentables”;
com­ment ré­or­ga­niser le sys­tème des trans­ports, en fonc­tion de cri­tères so­ciaux et écologiques;
quelles me­sures prendre pour ré­parer, le plus vite pos­sible, les gi­gan­tesques dé­gâts en­vi­ron­ne­men­taux laissés “en hé­ri­tage” par le capitalisme.
Et ainsi de suite…
Cette tran­si­tion condui­rait non seule­ment à un nou­veau mode de pro­duc­tion et à une so­ciété éga­li­taire et dé­mo­cra­tique, mais aussi à un mode de vie al­ter­natif, à une ci­vi­li­sa­tion nou­velle, éco­so­cia­liste, au-delà du règne de l’argent, des ha­bi­tudes de consom­ma­tion ar­ti­fi­ciel­le­ment in­duites par la pu­bli­cité, et de la pro­duc­tion à l’infini de mar­chan­dises nui­sibles à l’environnement (la voi­ture individuelle!). »

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