Elus ou citoyens, de tendance écolo et acharnés, ils ont déjà changé la France
Il est de petits livres qu'on attend parfois de pied ferme pour montrer que l'écologie n'est pas qu'un truc de beatniks. Des livres qui ne sont pas dans la théorie, qui dépassent l'idéologie et le dogmatisme pour simplement prouver que les alternatives fonctionnent en pratique. Explications avec Pascale d'Erm, auteure d'"Ils l'ont fait et ça marche", paru le 2 début janvier 2014 aux Ed. Les Petits Matins.
Pourquoi ce livre ?
Je m'intéresse aux questions écologiques depuis le milieu des années 1990. A l'époque je travaillais pour la Fondation Nicolas Hulot et produisais une série intitulée "un autre regard", pour aller sur le fond des choses. J'ai déjà écrit plusieurs ouvrages et réalisé plusieurs documentaires (notamment pour Ushuaïa TV), mais avec ce livre j'avais envie mettre des mètres cubes et des kilowatt heure à côté des utopies et des idées. Avec l'écologie nous ne sommes pas sur le rêve mais sur le besoin.
Les 17 projets détaillés dans l'ouvrage sont décrits avec force de chiffres et de budgets, on sait combien ça coûte et combien ça rapporte. Je voulais aussi prouver que la mise en place d'alternatives ne relève pas d'éco-gestes, mais d'initiatives qui répondent au plus profond au besoins des villes et des territoires.
Je retiens aussi surtout de cette enquête une autre vision des élus, d'hommes de terrain qui agissent pour le bien commun, qui innovent, investissent, soutiennent des initiatives citoyennes. En 2009 par exemple, quand Strasbourg a commencé à soutenir le co-habitat personne n’en voulait. Pourtant la mairie s'est engagée, et cet engagement des élus qui sont dans le réel et agissent dans l'ombre prouve qu'il est possible d'innover tout en répondant à nombre de contraintes, de besoins, en intégrant les ressources locales, etc. Aujourd'hui, les dix immeubles participatifs qui sont sortis de terre créent une nouvelle façon de vivre ensemble.
Que retenez-vous des exemples que vous avez étudiés ?
Je crois que mon livre met en avant les freins et les difficultés dans la mise en place du changement. Règlementations administratives, financements, obtention de subventions, etc. sont autant d'obstacles qui se présentent sur cette voie, mais la volonté des porteurs de projet leur permet d'en venir à bout. ATramayes par exemple, la mise en place de la chaufferie bois coûtait un million d'euros - un budget surréaliste pour la taille de la commune, si bien que la collectivité a emprunté à titre privé et pris le risque de son ambition… au point de réussir, et d'économiser désormais 110 000 litres de fuel par an !
Idem à Nantes, où les organisateurs des Ecossolies ont essuyé plusieurs moqueries au début de leur projet: on a comparé leur initiative à une kermesse, et au final ils ont réuni 30 000 personnes ! C'est dire à quel point il est nécessaire de franchir les barrages psychologiques.
Le maire de l'Île Saint Louis a su m'expliquer tout cela avec grand discernement: le plus difficile d'après lui, ce n’est pas de trouver des financements, mais de briser la routine et les habitudes, d’inciter les gens à agir autrement… "Il est plus difficile de désagréger un atome qu’un préjugé" disait Einstein, et avec l'écologie c'est toute une culture que nous devons changer !
Cela fait-il sens d’appliquer les solutions qui existent à l’étranger ?
Je ne peux pas répondre de manière générale. Le cohabitat vient de l’étranger, et plus précisément de Fribourg en Allemagne. Sur la transition énergétique, l'inspiration nous vient d'Angleterre, avec les mouvements en transition. Ce que fait Lyon en aménageant de nombreux projets pour les seniors est clairement inspiré par l’appartenance au réseau OMS "ami des aînés". Appartenir à des réseaux internationaux facilite donc le travail. Mais nous avons aussi des innovations françaises, notamment dans le cadre de l'économie sociale et solidaire.
A mon sens, nous innovons quand nous sommes face à des besoins qui répondent à des soucis de précarité énergétique, d'alimentation, de liens social et culturel… même si on est un "pays riche", ce sont ces besoins qui poussent l’innovation.
Comment faire bouger les lignes, faut-il forcer les règlements en vigueur ?
Ce n'est pas forcément par une action illégale et militante hors les règles que tout se résout… Il est possible d'agir à l’intérieur des règles, mais dans un esprit pirate. Ainsi, quand les organisations veulent appliquer des mesures, elles anticipent les règlements avant même que la loi facilite les choses. Si ce n'est pas possible ou légal, ça ne les dérange pas. Ils vont anticiper les lois. Ne dit-on pas qu'il n'y a rien de plus puissant qu’une idée dont le temps est venu…? Ceux qui agissent forcent les lignes, militent, illustrent le principe de l’écologie de l’action d’Edgar Morin.
Forcément, c’est long et c'est un vrai processus d’essais et d’erreurs: c'est par tâtonnements qu'une ville comme Tramayes arrive à économiser des litres de fuels, que l'Île Saint Denis est en avance de sept ans sur les objectifs européens de transition énergétique, que la soixantaine d'entreprises réunies dans l'écosystème Darwin génèrent 50 millions d’euros... Ces initiatives vont de l'avant et rectifient souvent le tir en route.
Est-ce duplicable plus rapidement par la suite ? Oui, d’autres élus peuvent s’en emparer, capitaliser sur l’expérience d'ores et déjà menée. La "bataille homérique" dont parle un ancien conseiller municipal de Besançon ayant travaillé sur l'instauration de la redevance incitative n'aura pas servi qu'à cette commune où, depuis 2008, le volume des ordures ménagères résiduelles du Grand Besançon a baissé de 27% !
Sans oublier l'implication des citoyens, qu'il faut soigner tant elle est indispensable à la longévité des projets.
Est-ce tant l’écologie que l’envie de vivre autrement, localement, au quotidien qui anime ces projets ?
Ce n’est plus l’écologie, c’est le principe du réel. C’est le besoin de se chauffer autrement, de se nourrir en circuit court, d’économiser du fuel, etc. Ces motivations sont celles qui poussent vraiment les projets. Mais les valeurs qui les animent ont l'écologie pour pivot, bien souvent !
J'aime aussi cette image de la ville comme un cerveau qui se réinvente et s'adapte de lui-même. Confrontées à des problématiques nouvelles ou à des situations complexes, voire à des dangers, les synapses créent d'elles-même des nouvelles connexions entre les neurones pour trouver des solutions ou des échappatoires. Les villes, confrontées à de nombreux défis, doivent réduire leurs émissions de gaz à effets de serre, trouver des solutions à la raréfaction des ressources fossiles, ou encore favoriser l'intégration sociale et intergénérationnelle. Face à l'urgence de ces enjeux, les habitants sont autant de millions de petits neurones qui tissent de nouveaux liens, et forme une "plasticité synaptique" urbaine qui se traduit par un foisonnement d'initiatives. Ceux qui les portent n'ont pas la prétention de changer le monde, et pourtant ils changent leur monde, quitte à forcer un peu les règlements en vigueur.
Ces minorités actives à l'oeuvre aujourd'hui forment autant de laboratoires qui peu à peu font système, et changent le système de l'intérieur. Cela prend du temps, mais l'évolution de la société dépend d'eux.
Anne-Sophie Novel
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