Pas de pitié pour Haïti. Haïti en a plein le dos de votre compassion. Haïti crève d'être champion du monde de la pauvreté. Haïti et sa "malédiction" vous emmerdent. Pas la moindre malédiction qui pèse sur Haïti. Pas plus que d'injustice divine. Sur tous les tons, les poètes d'Haïti, les jeunes Haïtiens de France, Dany Laferrière dans Le Monde (17-18 janvier) le disent.
Son dernier séisme l'a d'autant mieux frappée que la malédiction d'Haïti porte des noms et des dettes très humains. Tyrans, profiteurs, Etats, la France donnant le bras à l'Amérique depuis 1825, plus l'armée de revanchards qui n'encaisseront jamais Toussaint Louverture, l'insolente révolte d'esclaves et la création de la première république nègre.
De sa voix douce de sage inquiet, Jean Métellus, médecin, poète, égrène les forfaits que son île a subis. Entre les malfaiteurs, il nomme à regret Jules Ferry. Métellus ne vit ni dans le ressentiment ni dans l'idée obscène qu'Haïti serait victime de son sort. Il vit dans l'espoir, et s'en ouvre à Jean-Jacques Bourdin, sur RMC. Bourdin, je n'ai jamais bien compris qui c'était : grande gueule, démagogue ou redresseur de torts ?
Il me suffit qu'il invite Métellus, le jour où la télévision de service public (France 2) se vautre dans un faux débat entre un faux jeton et une faire-valoir haineuse, sur l'inépuisable thème de l'immigration. Eric Besson a donné le matin même "instruction à ses services de suspendre immédiatement toutes procédures de reconduite dans leur pays d'origine des ressortissants haïtiens en situation irrégulière sur le territoire national" ? Sympa, Besson. Continuez de suspendre. Si la corde tient bien, le Nègre ne gigotera pas longtemps.
Cependant que Métellus, auteur d'une Nation pathétique, devisait avec Bourdin, les mails pleuvaient en studio. Bourdin les lisait : "Assez avec Haïti !", piaillaient les mails. "Ça suffit !", râlaient les mails, "Nous aussi, nous avons nos problèmes !". Nous aussi. Oui, braves gens, vous avez raison d'en avoir marre d'Haïti. Marre de la médiatisation de ces René Depestre, Dany Laferrière, Trouillot, Danticat, avec lesquels on vous casse la tête. Marre des musiciens d'Haïti, marre des peintres d'Haïti. Marre de l'intelligence d'Haïti. Vous en avez marre d'Haïti, parce qu'Haïti ne réveille en vous que la pitié, cette grimace du mépris.
Ne craignez rien. Dans trois semaines, vous aurez tout oublié d'Haïti. La scène se passe dans un quartier populaire de Port-au-Prince, Carrefour. Eux là, ceux de Carrefour, tout le monde les a déjà oubliés, de toute éternité. L'une après l'autre, sous les décombres, leurs voix se sont éteintes. Restent quelques Nègres errants qui ont besoin de tout. Passe un camion canadien qui a de l'eau, des vivres, des médicaments. Il s'arrête. Le camion jette un oeil. Pas un Canadien en vue. Le camion s'en va. Nous sommes tous des camions canadiens.
Francis Marmande
Courriel : marmande@lemonde.fr
http://www.lemonde.fr/opinions/article/2010/01/19/pas-de-pitie-pour-haiti-par-francis-marmande_1293702_3232.html
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