Dur sera le réveil !
« Adieu Sarko, on t’aimait pas tu sais », aurait
chanté le grand Jacques. Mais non, pas Jacques Chirac. Quoique… Jacques Brel
évidemment, doit-on préciser pour les moins de 35 ans qui n’ont plus
grand-chose à se mettre dans les oreilles du point de vue du non-conformisme
nécessaire. Oui, Sarko s’en va. Et l’on n’a pas fini de relater par le menu – ô
combien copieux – son règne calamiteux. Pourtant, l’usurpateur parti, la vie
doit continuer. Il est hélas très probable qu’elle sera riche de déceptions. On
se félicitera bien sûr longtemps d’avoir mis à l’Élysée un hôte plus
présentable, un président faisant moins rire à l’étranger, incapable de se
contredire à une vitesse supersonique contrairement à son prédécesseur. On ne
regrettera certes pas les outrances haineuses des principaux lieutenants du
vaincu qui ont fermé la France en édifiant une xénophobie d’État inconnue
depuis Vichy. Et pourtant, nous déchanterons vite.
Comme elles furent longues
ces cinq années pour ceux qui ne prirent jamais au sérieux « le candidat des
riches », qui ne s’arrêtèrent pas au discours sans grande consistance de
l’enjôleur patenté. C’est peu dire qu’une fois élu il ne les a pas déçus. Ces
cinq années furent particulièrement pénibles pour les plus humbles. Beaucoup
d’entre eux ne furent pas, eux non plus, déçus par l’homme providentiel. Ils
n’en attendaient rien. Cela fait très longtemps qu’ils n’espèrent plus rien de
la classe politique. Ils ne votent pas davantage en 2012 qu’en 2007. C’est
qu’en 2012 ils sont plus pauvres encore qu’en 2007. Nous ne disposons pas
encore des chiffres de 2011, mais l’étude d’Eurostat sur les revenus et les
conditions de vie (EU-SILC) dans l’Europe communautaire démontre que pour la
période 2007-2010 la France est l’un des pays où les inégalités de revenus se
sont le plus accrues. Il n’est guère que l’Espagne pour faire pire. La
dégradation du ratio rapportant le revenu moyen des 20 % les plus riches au
revenu moyen des 20 % les plus pauvres est due essentiellement en France à la
politique fiscale menée depuis 2007. Souvenons-nous une dernière fois : « Je
serai le président du pouvoir d’achat. » Les pauvres ont cru que le bonimenteur
parlait du leur quand il ne faisait qu’agiter un leurre.
On ne saurait s’arrêter à
ces quelques chiffres déjà alarmants. Il est d’autres signes de
l’appauvrissement des catégories sociales les moins favorisées que les
statisticiens ne s’empressent pas de mesurer. Les défaillances croissantes – et
volontaires – de l’assurance-maladie font augmenter chaque année le nombre de
personnes négligeant de se soigner ou se soignant insuffisamment. La CMU ne
suffit plus. Un nombre croissant de familles n’en relevant pas connaissent des
difficultés dans l’accès aux soins faute d’un revenu suffisant. Pas assez
pauvres pour bénéficier de la CMU, pas assez riches pour cotiser à une mutuelle
ou à une assurance complémentaire privée. On ne mesure pas non plus
sérieusement un autre phénomène, en forte expansion lui aussi : « la souffrance
au travail ». Le détricotage du code du travail sous l’alibi de sa
modernisation et la soumission facile à l’impératif de la concurrence –
internationale ou intérieure – dégradent chaque jour davantage les conditions
de travail des salariés tant dans les entreprises que dans les administrations.
Tout cela n’est rien d’autre que le résultat prévisible de l’emprise
grandissante des conditions financières du Marché dérégulé imposées aux
politiques publiques par le renoncement des « élus du peuple » à y résister.
Souvenons-nous une dernière fois que le gesticulateur en chef est l’ami de la
plupart des « patrons du CAC 40 ».
Il faudrait rompre avec
tout cela. Le vainqueur du 6 mai ne le fera pas. Certes, il aura négligé, pour
sa part, d’aller fêter la victoire avec « la bande du Fouquet’s. C’est elle qui
ne tardera pas à venir à lui pour le persuader, au nom de l’impitoyable
compétition internationale, de renoncer aux timides réformes promises au peuple
désabusé. Il en recevra les représentants les plus éminents, défenseurs
faussement désintéressés des plus beaux fleurons du savoir-faire et du bon goût
français. Leur enthousiasme cachera mal le chantage à l’emploi dont ils usent
si souvent. Les choses auraient été évidemment plus faciles avec DSK. Il est
tombé, n’en parlons plus. Son remplaçant saura bien entendre raison. Il
pourrait leur résister. Il s’en dispensera car il sait qu’ils ne sont que les
modestes porte-voix du Pacte financier européen scellé par Mercozy, pacte qu’il
ne pourra dénoncer sous peine de sortir la France de la zone Euro, ce à quoi il
se refusera indéfectiblement. Il sera donc contraint dans ces conditions à
poursuivre – voire à amplifier – la libéralisation des marchés. La prochaine
étape pourrait être la destruction du pilier central de notre droit du travail
: le Contrat à durée indéterminée. L’Italie et l’Espagne y ont déjà renoncé ;
pourquoi ne pas en faire autant au nom de la « légitime harmonisation
européenne » et de l’hypocrite « libre circulation des travailleurs »
intracommunautaire. En avant toute vers la précarité générale.
Il s’agira donc de
continuer de nier la réalité des périls qui frappent le monde contemporain. Le
capitalisme se perpétue tragiquement, incapable qu’il est désormais de dépasser
ses contradictions internes. La crise majeure du régime d’accumulation du
capital, que les artifices de plus en plus grossiers de la finance globalisée
ne parviennent plus à dissimuler, est irrémédiable. La prédation générale que
le capitalisme inflige aux écosystèmes fournit la seconde raison cardinale de
rupture impérative d’avec un système économique devenu définitivement
mortifère. Repousser encore le moment de construire une économie écologique et
équitable ne peut qu’aboutir à livrer nos sociétés à l’autoritarisme de régimes
essentiellement soucieux de la défense meurtrière des intérêts d’oligarchies
richissimes et à des mouvements politiques fondés exclusivement sur la
désignation de boucs émissaires. Le fascisme serait alors de retour. Il est
temps de nous réveiller vraiment.
Yann Fiévet
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire