Le sarkozysme se débonde comme une bouche d’égout
Dans quel état
errerons-nous, dimanche soir, après que, au top 20 heures des machines
communicantes, la ville aura résonné, par les fenêtres ouvertes, des
acclamations saluant l’élection de François Hollande à la présidence de la
République ? Sous quel tiède crachin, quelle pluie battante ou crépuscule
ensoleillé irons-nous expirer notre soulagement dans un minimaliste «ça, c’est
fait» ? Sera-ce liesse ou pause, sortie des classes ou brève récréation ?
On se demandait cela,
mardi 1er de mai, entre Denfert et la Bastille, rive
droite-rive gauche, en regardant passer les fleuves de foules, Boulevard
Henri-IV où, perché sur un plot devant la caserne des Célestins, nous tenions
notre dernier affût. Entre la Seine et la colonne de Juillet, avant même que se
distinguent dans un lointain les ballons signalant l’arrivée des syndicats,
l’artère se vit envahie de milliers de manifestants silencieux et placides,
sans guère de banderoles ni drapeaux, quelques-uns badgés, quelques autres
brandissant de discrets cartels annonçant tous une fin de partie. Ils seraient
plus compacts, plus nombreux encore et plus démonstratifs derrière le cortège
dont François Chérèque avait tenu à préserver la virginité politique.
C’est vers cette heure-là
que la préfecture de police donna à connaître qu’elle y avait dénombré 48
000 manifestants, tandis que le sortant affirmait sans rire avoir entassé
sur la place du Trocadéro 200 000 sardines partisanes, soit à peine moins
que le nombre de contre-vérités énoncées et répétées sans vergogne et cinq
années durant par Nicolas Sarkozy, dont on ne peut plus.
Tant et tant de sinueux
attentats aux évidences (parmi lesquels la réécriture du «vrai travail» en «vraie fête du travail» restera comme
l’un des plus symboliquement misérables), tant et tant de mensonges nous l’ont
rendu irréel. Même son écriture manuscrite déstructurée d’ado hésitant au
redoublement de consonnes fout la trouille au graphologue, quand elle s’imprime
en fac-similé au terme de sa «profession de foi». Profession de foi… Accolée au
nom de Sarkozy, l’expression sonne comme un oxymore.
Qu’est-ce qui le meut, cet
homme-là, que sa défaite annoncée ne suffit pas à rendre audible ? La peur de
demain, face à ses juges et sans plus d’immunité présidentielle ? Une
schizophrénie, telle celle que semble illustrer son pathétique racolage des
électeurs du Front national en même temps que d’un «centre» inexistant ? Ou
quoi d’autre, de plus intimement névrotique ?
Mais Nicolas Sarkozy ne
s’est pas perdu dans une fuite en avant. Ses éructations contre la presse, les
juges, les syndicats et tous les «corps intermédiaires» dessinent une stratégie
que vient à point crédibiliser l’aveu ultime de Gérard Longuet, de retour au
bercail fascisant pour embrasser les pieds de Marine Le Pen. Ce faisant,
le ministre kaki n’a pourtant pas suscité, dans la majorité presque sortie, de
réactions à la mesure de celles que notre candeur républicaine augurait.
Preuve, sans doute, que cette stratégie du sarkozysme éperdu ne procède pas
d’un «après moi, le déluge» désespéré, mais d’un raisonné «avec moi, la guerre
civile», dans le rassemblement des droites que fédérera la plus extrême. C’est
la raison pour laquelle le scrutin de dimanche s’annonce autrement «historique»
que celui d’un certain 5 mai 2002, lorsque Chirac incarna, contre
Le Pen père, un «cordon sanitaire» de 82% d’électeurs terrorisés. Dix ans
après, c’est la fille qui écrit la partition de la droite dite «républicaine»,
et fait danser le président sortant.
Qu’il se casse, qu’il dégage, maintenant… Pour se convaincre
de voter contre Nicolas Sarkozy, il n’est que de fermer les yeux et imaginer ce
que seraient - outre la nuit noire de notre accablement - les lendemains bruns
de sa réélection.
A ce sentiment prégnant depuis
des semaines, le débat de mercredi n’aura rien changé. Sans doute, parce que
nous sommes d’abord humains, avons-nous pu par instants éprouver à son endroit
plus de pitié que de haine. Dévoré de tics, tournant en boucle, bafouillant
d’épuisement, fuyant le regard autant que les sommations, Sarkozy a failli nous
émouvoir. Nous eussions eu tort. Même à terre, même agonisant, le faseyant chef
de plus grand-chose ne put échapper à sa nature de classe - celle qui, même
sans trop savoir pourquoi et s’en défendant dans de hauts cris, préférera
toujours Hitler au Front populaire. D’où l’ultime prière aux électeurs
«marinistes», qu’il «considère» ; d’où ce rot fielleux à propos de «drapeaux rouges avec la faucille et le marteau» ;
jusqu’à, dans un ultime et venimeux sursaut, l’invocation du nom de Dominique
Strauss-Kahn.
C’est aussi contre cette
vulgarité insubmersible qu’on ira dimanche voter Hollande. Ce sera cadeau, ce
sera gratis. Qu’il ne nous en remercie pas.
PIERRE MARCELLE
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