Jean-Marc Ayrault, le "réformiste
décomplexé" comme premier ministre de François Hollande, du premier
gouvernement de Gauche depuis 24 ans…
En nommant Jean-Marc
Ayrault à Matignon, mardi 15 mai, comme l'avaient indiqué certains proches,
François Hollande a fait le choix d'un fidèle, qui connaît bien les élus, un
homme de confiance avec qui il a l'habitude de travailler. Pour les mêmes
raisons, pendant la campagne, le candidat Hollande avait fait du président du
groupe socialiste de l'Assemblée nationale son conseiller spécial, ce qui
préfigurait le rôle qu'il serait amené à jouer à la tête du futur gouvernement.
Les deux hommes ont scellé
leur trajectoire politique en 1997, lorsque Lionel Jospin devient premier
ministre après la dissolution de l'Assemblée voulue par Jacques Chirac. Le
nouveau chef du gouvernement confie alors les clés du Parti socialiste à
François Hollande. En revanche, aucun candidat ne se détache réellement pour
prendre la présidence du groupe des députés. Laurent Fabius, qui occupait la fonction
auparavant, songe à y installer Jean-Christophe Cambadélis. Daniel Vaillant,
futur ministre chargé des relations avec le Parlement, suggère à Lionel Jospin
le nom du député de Loire-Atlantique.
ORGANISATION
MÉTHODIQUE
Pendant toute la durée de
la législature, le petit déjeuner du mardi matin, à Matignon, va devenir le
lieu stratégique de "calage" et de mise en œuvre de la politique du
gouvernement. Autour du premier ministre et de Daniel Vaillant se réunissent le
premier secrétaire du PS, François Hollande, et les deux présidents des groupes
parlementaires, Jean-Marc Ayrault et Claude Estier, le patron des sénateurs. Y
participent également Olivier Schrameck, le directeur du cabinet de Lionel
Jospin, Jean-Pierre Jouyet et Dominique Marcel, ses adjoints, Manuel Valls, le
conseiller communication, et Yves Colmou, le directeur du cabinet de Daniel
Vaillant.
C'est là que se décident
les arbitrages pour le travail législatif, au cours de ces séances ramassées,
aux horaires stricts : de 8 h 45 à 9 h 55. 8 h 45, parce que le train qui amène
Jean-Marc Ayrault de Nantes, la ville dont il est le maire, arrive à 8 h 30 à
la gare Montparnasse ; 9 h 55, pour être à 10 heures à la conférence des
présidents, qui fixe chaque semaine l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.
Tout est dans cette organisation méthodique, à l'image du personnage.
LE
"CAUCHEMAR" DE 2002
Pendant cinq ans, François
Hollande et Jean-Marc Ayrault auront donc été, côte à côte, en première ligne
du front de la cohabitation. Ils auront aussi vécu ensemble le
"cauchemar" de 2002, qui voit Lionel Jospin être éliminé dès le
premier tour de l'élection présidentielle pour laisser la place à un duel entre
Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen. Après la déroute qui s'ensuit pour le PS
aux législatives, Jean-Marc Ayrault, seul député socialiste réélu dès le
premier tour, conserve la présidence du groupe socialiste de l'Assemblée
nationale, malgré les velléités de Laurent Fabius de la lui disputer.
En septembre 2006, lors
des journées parlementaires qui se tiennent à Nantes, il annonce qu'il quittera
la présidence du groupe à la fin de la législature. Emporté par l'enthousiasme
qui accompagne alors la candidature de Ségolène Royal, il croit en la
possibilité de l'alternance en 2007. Une carrière gouvernementale lui semble
alors promise. Mais la gauche subit un nouvel échec et il rempile à la tête du
groupe socialiste, pour une troisième législature - un record -, la dernière en
tant que chef du principal groupe d'opposition.
DÉTERMINATION
ARRÊTÉE
A 62 ans, le voilà donc
nommé à la tête du gouvernement. Si "raisonnée" fut son ambition, le
soin qu'il a mis à se préparer à la fonction témoigne d'une détermination bien
arrêtée. Une sorte de consécration pour ce "grand élu", qui n'a
jamais été ministre, notamment à cause de l'affaire d'octroi d'avantages
injustifiés qui lui avait valu, en tant que maire de Nantes, six mois de prison
avec sursis et 30 000 francs (4 600 euros) d'amende.
Jean-Marc Ayrault n'a
connu la défaite dans aucun des scrutins auxquels il a pris part depuis 1976,
date à laquelle il obtint son premier mandat de conseiller général, dans le
canton de Saint-Herblain, en Loire-Atlantique. Le professeur certifié
d'allemand - "d'allemand de
l'Est", disent ceux qui raillent son allure austère - présente
une sacrée carte de visite politique.
PULL À COL ROULÉ
ROUGE
Il est né le 25 janvier
1950 à Maulévrier (Maine-et-Loire), dans le pays des Mauges. Racines
terriennes, éducation catholique, discipline rigoureuse. Ses premiers
engagements, il les connaît dans les rangs du Mouvement rural de la jeunesse
chrétienne (MRJC), au sein duquel il exercera des responsabilités au niveau
départemental avant de bifurquer vers le PS au moment du congrès d'Epinay, en
1971. La même année, il épouse Brigitte Terrien, originaire comme lui de
Maulévrier.
Le nouvel adhérent se lie
à Jean Poperen, chef de file du courant "lutte des classes",
intellectuel brillant issu du Parti communiste, dont il a été exclu en 1959.
Jean-Marc Ayrault s'engage au PS autour d'une "stratégie de gauche"
fondée sur une analyse sociologique de l'évolution du monde du travail. Il
s'identifie à ce courant de gauche et lorsque, en 1976, il est élu conseiller
général de Loire-Atlantique, il arbore, lors de la première séance, un pull à
col roulé rouge pour afficher ses convictions.
"SOCIALISME
MUNICIPAL"
L'ascension est rapide. Un
an plus tard, il est élu à la tête de la liste d'Union de la gauche à la mairie
de Saint-Herblain, qui jouxte la ville de Nantes. Il fait partie de cette
génération de "sabras" qui, à l'image de Georges Frêche à
Montpellier, Louis Besson à Chambéry, Jean-Michel Boucheron à Angoulême,
Françoise Gaspard à Dreux ou Georges Lemoine à Chartres, formeront la relève du
"socialisme municipal".
Dans la foulée, en 1979,
il entre au comité directeur du PS, après le congrès de Metz qui a vu François
Mitterrand s'appuyer sur la vieille garde de la Convention des institutions
républicaines, alliée avec le courant Poperen et le CERES de Jean-Pierre
Chevènement pour faire barrage à l'alliance Rocard-Mauroy.
RÉFORMISTE ASSUMÉ
François Mitterrand élu
président de la République, il entre au bureau exécutif du PS au lendemain du
congrès de Valence, en qualité de membre suppléant et, en 1986, est désigné
comme tête de liste aux élections législatives en Loire-Atlantique, le scrutin
ayant lieu à la proportionnelle.
C'est son premier mandat
de député. Depuis, il a été réélu sans interruption au Palais-Bourbon. Mais le
Ayrault "lutte des classes" a cédé la place à un réformiste assumé. "Le réel a tranché", déclare-t-il
à la convention nationale de son parti, en juin 1986. Ce credo réformiste, il
le défend sans ambiguïtés. Il en a fait sa marque de fabrique, même si ses
contempteurs, à droite, se plaisent à décrire "un socialiste archaïque et sectaire".
L'ART DU COMPROMIS
En 1989, Jean-Marc Ayrault
abandonne Saint-Herblain pour se lancer à la conquête de Nantes, alors détenue
par le RPR. Il l'emporte dès le premier tour. Il devient dès lors un des
"grands élus" du PS. Le congrès de Rennes, la même année, va consommer
sa rupture avec le poperenisme et ancrer son positionnement, hors courants, sur
la base du "réalisme économique".
Réformiste, prudent,
pragmatique, Jean-Marc Ayrault n'en possède pas moins un sens politique aigu.
Il jauge les individus, mesure les rapports de forces, pratique avec habileté
l'art du compromis, mais toujours avec la même application à faire aboutir les
orientations majeures qu'il a mises en œuvre. Depuis 1989, il a ainsi
transformé en profondeur la ville de Nantes, devenue à la fois une capitale
culturelle et du développement durable, malgré la contestation dont fait
l'objet le projet d'aéroport - d'"Ayraultport",
disent ses opposants - à Notre-Dame-des-Landes.
PRÉSERVER L'UNITÉ
Depuis quinze ans qu'il
dirige le groupe socialiste de l'Assemblée nationale, Jean-Marc Ayrault est
devenu un des rouages essentiels du PS. Que ce soit dans les primaires
destinées à désigner le candidat du PS à l'élection présidentielle ou lors du
congrès de Reims, en 2008, il a systématiquement privilégié la nécessité de
préserver l'unité du groupe pour ne pas avoir à prendre parti, se rangeant sans
coup férir au côté de celui ou celle sorti vainqueur de la confrontation.
Cependant, dès le mois de
juin 2011, il avait fait connaître son choix en faveur de François Hollande,
son voisin de banc à l'Assemblée nationale, avec qui il disait partager la même
vision d'un "réformisme
décomplexé", nourri de l'expérience de la défaite qu'ils
avaient vécue en commun en 2002. Pas question, pour lui, de "s'égarer à courir après une quelconque
radicalité". "Nous
n'y gagnerons jamais", professe-t-il avec constance.
L'ALLEMAND ET LA
LANGUE DE BOIS
Il lui est fréquemment
reproché son absence de charisme, son peu d'appétence pour la prise de risques.
Le patron des députés socialistes se départit rarement d'une prudente réserve,
enrobant ses réponses d'une multitude de considérants avant de donner sa
position. Germanophone, il manie avec une égale virtuosité la langue de bois.
Ce côté professoral, on le
retrouve également dans ses apparitions publiques, qu'il prépare toujours avec
le même soin méticuleux, sur des fiches surchargées de notes. Mais au fil de
ses discours et des amples gestes du bras dont il les ponctue, régulièrement,
ses fiches s'éparpillent à terre, sans pour autant qu'il perde le fil de sa
pensée, bien plus structurée qu'il ne veut bien le laisser croire. Et, une fois
son discours terminé, il prend soin de ramasser toutes ses fiches, qu'il
annotera de nouveau en vue de ses prochaines interventions.
Président
"normal", François Hollande a choisi un premier ministre tout aussi
"normal", sans histoires, organisé. Pudique, modeste, il n'aime guère
se livrer. A ses moments perdus, il va se ressourcer sur la presqu'île de
Rhuys, au bord du golfe du Morbihan, où il possède une résidence secondaire. On
le sait amateur de musique classique et de chanson contemporaine. Et, dit-on,
c'est un remarquable danseur. Notamment le tango. Ça peut toujours servir.
Patrick Roger
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