La réponse des plantes au réchauffement climatique
est plus rapide que prévu
« Le
printemps est arrivé,
la belle saison ! (…) Le printemps nous a donné le joli lilas », chantaient Michel Fugain et son Big Bazar en
1976. Sans qu'il y ait de lien de cause à effet, c'est à peu près à la même
époque que, en raison du réchauffement climatique, le printemps – pas celui du
calendrier mais celui des arbres et des fleurs – a commencé à arriver un chouïa
plus tôt chaque année. En moyenne, ce glissement n'est, pour le moment, que de
l'ordre de deux ou trois jours. Il est néanmoins important de se projeter dans
le futur et de pouvoir prédire la réponse des plantes à la hausse accélérée des
températures annoncée par les climatologues durant ce siècle. Important voire crucial
car les modifications de l'« horloge interne » des végétaux ont des
effets sur le reste de la chaîne alimentaire, sur l'efficacité de la
pollinisation, sur l'agriculture, etc. Il se peut par exemple que les arbres
fruitiers et leurs pollinisateurs ne soient plus synchronisés.
C'est pour cette
raison que les écologues,
depuis une vingtaine d'années, mènent des expériences grandeur nature dans
lesquelles ils simulent, de manière artificielle et à petite échelle, le
réchauffement à venir sur des communautés de plantes. Pour ce faire, ils
modifient différents paramètres comme la température ou le taux de dioxyde de
carbone, parfois pendant plusieurs années. Toute la question est de savoir si
ces expérimentations, confinées, donnent des résultats fiables, si elles
prédisent correctement la réponse des plantes aux changements de leur
environnement. Les seules tentatives de confrontation entre la réponse induite
artificiellement et celle que l'on observe dans la nature n'ont été faites que
de manière ponctuelle. Dans une
étude publiée par Nature le 2 mai, une
équipe internationale rassemblant une vingtaine de chercheurs a vérifié si, à
grande échelle spatio-temporelle, les simulations correspondaient à ce que l'on
a noté sur le terrain au cours des décennies voire des siècles.
Et la réponse est
non, les simulations ne sont
pas vraiment fiables. Non pas parce qu'elles exagèrent ou caricaturent la
réponse des plantes au réchauffement mais parce qu'elles... la sous-estiment.
En réalité, la floraison et la feuillaison sont et seront nettement plus
précoces que ce que les expériences ont prévu. Pour le déterminer, les
chercheurs ont comparé les résultats de ces dernières avec les relevés que des
botanistes ont effectués dans de nombreux sites d'Amérique du Nord et d'Europe.
Il s'agit d'observations consacrées à la phénologie de plus de 1 500
espèces de plantes, c'est-à-dire à l'étude de leurs phases saisonnières et
notamment des dates de floraison, feuillaison, fructification, etc. Plusieurs
séries de données remontent au XIXe siècle et la plus vieille, qui a
pour théâtre le centre de l'Angleterre, porte sur la période 1739-1810.
Qu'elles soient anciennes ou non, ces mesures au long cours permettent
d'évaluer la réponse des plantes aux variations interannuelles de température.
Evidemment, les séries les plus récentes offrent l'occasion de constater la
manière dont les plantes en question ont déjà réagi au réchauffement
climatique. L'analyse de toutes ces données a montré qu'en moyenne, une hausse
de température de 1°C se traduit par une floraison et une feuillaison plus
précoces de cinq jours, soit, dans les deux cas, nettement plus que ce que
disaient les expériences.
Selon les auteurs
de l'étude, la cause de cette
différence est probablement à chercher dans les protocoles expérimentaux
eux-mêmes. Augmenter artificiellement la température d'un petit bout de terrain
présente des effets secondaires : les dispositifs employés (abris, lampes à
infra-rouges, câbles chauffants...) risquent d'avoir des conséquences
indésirables comme la diminution de la lumière reçue ou un assèchement du sol,
ce qui peut ralentir le développement des plantes. Les "chambres de
réchauffement" peuvent aussi ne pas restituer correctement les variations
quotidiennes ou saisonnières de température auxquelles les plantes sont
sensibles. Il est également possible que lesdites chambres confèrent
moins d'énergie que prévu aux plantes, en raison du vent par exemple. Enfin,
même si elles durent quelques années, ces expériences n'offrent pas forcément
un recul suffisant pour saisir des changements en profondeur, comme des
variations génétiques des plantes ou des modifications de la composition des
écosystèmes.
Pour le climatologue
Benjamin Cook (NASA Goddard
Institute for Space Studies /Lamont-Doherty Earth Observatory), co-auteur de
l'étude, "ces résultats sont
importants parce que nous nous reposons beaucoup sur ces expériences pour
prédire ce qui arrivera aux écosystèmes dans le futur". Il
faut donc désormais comprendre pourquoi ils sous-estiment la réponse des
plantes à la hausse des températures et mettre au point des protocoles plus
fiables. L'article de Nature
vient aussi rappeler que les végétaux sont très réactifs à leur environnement.
Si, comme le disent plusieurs modèles, le réchauffement climatique dépasse les
2°C à la fin du siècle, cela signifiera un décalage de floraison et de
feuillaison de plus de dix jours. Il n'est pas sûr que les pollinisateurs ainsi
que tous les animaux qui vivent des productions végétales parviennent à suivre
le rythme. Par ailleurs, la réaction des plantes n'est pas que temporelle, elle
est aussi spatiale. Les plantes remontent. En latitude et en altitude, à la
recherche des conditions climatiques auxquelles elles sont
"habituées". Mais celles-ci sont loin d'exister partout. Une autre
étude internationale, parue
ce dimanche 6 mai dans Nature Climate Change,
estime que la flore alpine verra son habitat réduit de moitié à la fin du
siècle.
Pierre Barthélémy
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