Espagne : “On se dirige vers une économie de
guerre”
Grève générale ce
29 mars, récession, déficit plus important que prévu…Malgré les réformes et les
coupes budgétaires massives, l’Espagne peine à sortir de la crise et provoque
un regain d’inquiétude au sein de la zone euro.
Cent jours après son
investiture en tant que président du gouvernement [à l’issue d’élections
législatives remportées à une très large majorité], Mariano Rajoy peut se
targuer de trois grandes réformes économiques : le travail, la finance et
la stabilité budgétaire.
Elles vont toutes dans le
même sens : satisfaire les exigences de Bruxelles et rassurer les marchés.
On peut penser ce qu’on voudra de cette politique, mais on ne peut pas accuser
d’inaction le gouvernement PP [Parti populaire, conservateur].
Toutefois, jusqu’à
présent, les résultats obtenus ne sont pas ceux escomptés. L’UE reste sceptique
et l’Espagne coiffe l’Italie au poteau : elle devient la lanterne rouge
des investisseurs de la zone euro, sa prime de risque atteignant des sommets.
En outre, au cours des
derniers jours, l’économie espagnole a été très vivement critiquée par les
principaux titres de la presse économique mondiale, par plusieurs rapports de
banques d’affaires, et, comble du paradoxe, par le Premier ministre italien,
Mario Monti.
“L’Espagne donne à
toute l’Europe des sujets de grande préoccupation”, a-t-il déclaré. En montrant l’Espagne du doigt,
Monti cherchait sans doute à éviter que les marchés ne s’intéressent de trop
près aux difficultés de l’Italie et à la fragilité politique de ses réformes.
Ce type de politique du chacun pour soi et qui consiste à nuire à son voisin
n’était pas rare pendant la Grande Dépression.
Une gestion de la méfiance
Les critiques unanimes sur
la politique économique espagnole sont de trois ordres : la crainte que
les plafonds de déficits ne soient pas respectés cette année, dans la mesure où
le retard pris dans l’adoption du budget va obliger à concentrer sur 8 mois les
efforts de réductions des coûts et la hausse des impôts; le fait que la réforme
financière soit bien moins “extrêmement
agressive” [selon les mots du Ministre des Finances Luis de
Guindos] que la réforme du marché du travail et qu’elle avance au ralenti, car
la morosité gagne du terrain et le crédit se resserre ; l’absence, enfin,
de mesures de relance de la croissance.
Dans ce contexte
inquiétant, le budget 2012 va être présenté vendredi 30 mars. Nul doute que ce
budget va acheminer l’Espagne vers une sorte d’économie de guerre, toutes
proportions gardées.
Le gouvernement va être
confronté à deux exigences légitimes et contradictoires : les attentes des
citoyens (s’attaquer avant tout au chômage, supérieur à celui de tous les
autres pays de l’OCDE, et préserver la protection sociale) et les pressions
extérieures (avec pour priorité la réduction du déficit public).
Cette contradiction,
toujours plus présente, a poussé Ivan Krastev, fondateur du Conseil européen des affaires étrangères
(ECFR), à définir un dilemme croissant :
“nous assistons à un effondrement de la confiance dans les élites politiques et
économiques. (…) Les élections perdent leur signification de choix entre
plusieurs options. Ainsi, la démocratie n’est plus fondée sur la confiance,
elle se réduit plutôt à une gestion de la méfiance”.
Le besoin d'un compromis
historique
Certains analystes
commencent à penser qu’on va peut-être vers une sortie de crise différente de
ce qui fut la sortie de la Grande Dépression. Restant à la merci de nouveaux
soubresauts (hausse du pétrole ou des matières premières, crise dans les pays
émergents), le monde pourrait cependant se remettre peu à peu de ses problèmes,
tandis que l’économie de certains pays, notamment l’Espagne, resterait bloquée
dans une sorte de “L” dont la barre horizontale continuerait à s’allonger assez
longtemps, nous vouant sur le long terme à une stagnation.
Pour éviter cela, il
faudrait un consensus sur le diagnostic et un accord entre les principales
forces politiques, économiques et sociales. Le marasme est tel qu’il ne suffit
probablement pas de disposer d’une majorité aussi large que celle de l’actuel
gouvernement.
Ce dont notre pays a
besoin, c’est d’un compromis historique entre des forces diverses qui représentent
la majorité des citoyens, sans soumettre son contenu à une idéologie et en
faisant des concessions mutuelles. Il faut œuvrer au bien-être de la population
par un pacte transversal qui tienne compte des différentes collectivités et
prévoie non seulement des mesures d’assainissement et des réformes
structurelles, mais aussi des politiques de croissance.
Joaquín Estefanía
Traduction :
Olivier Ragasol
"La France doit adopter une économie de
guerre". Critique à l’égard du
plan d’économies présenté cette semaine, François de Closets estime que les
Français ne peuvent plus vivre à crédit.
"Depuis trente ans,
les Français sont entretenus dans l’illusion que les États ne sont pas des
débiteurs comme les autres, qu’ils peuvent s’endetter indéfiniment. Je n’ai
cessé de dénoncer ce mensonge, nous voici à l’heure de vérité. C’est une rude
bataille qui s’annonce et que la France gagnera après quelques années d’efforts
pour autant que la classe politique cesse de nous faire croire que ce qui
arrive aux Grecs, aux Portugais ou aux Espagnols ne peut pas nous arriver.
Au cours des derniers
mois, la crise a obligé la majorité comme l’opposition à infléchir son
discours. La rigueur a cessé d’être un mot tabou. Les premières mesures prises
par le gouvernement, augmenter les impôts – en période électorale, du jamais-vu
–, prouvent que les temps changent. Mais on est loin du compte. Il nous faut
passer d’une économie de paix à une économie de guerre. Cela suppose des
mesures radicales : faire enfin payer les riches, procéder à des coupes
drastiques dans les dépenses, remettre au pas les banques, casser la
spéculation, toucher aux acquis sociaux.
Ces mesures sont autant de
droite que de gauche. Face à l’urgence, ces clivages n’ont plus cours. Les
programmes qui nous sont proposés sont illusoires. Au lendemain des élections,
il faudra faire une autre politique. Aujourd’hui, les Français se trouvent dans
la situation des Grecs, qui, à l’automne 2009, ont voté pour un programme de relance
et se sont vu, au lendemain de l’élection, imposer une austérité sauvage. C’est
un devoir civique de décrire la situation de notre pays, ce qui nous attend, de
faire comprendre la double dérive des finances publiques et privées, et de
tracer les solutions.
Car elles existent, pour
autant que nos gouvernants aient le courage de mobiliser le pays. En
journalistes, nous nous appuyons sur les faits, les révélations, les
investigations, pas sur les discours. Cette enquête le prouve, la France est
capable d’affronter cette échéance, de passer du toujours moins au toujours
mieux. L’optimisme officiel qui prétend nous épargner ces épreuves n’est rien
qu’un pessimisme sur la capacité des Français à relever ce défi.
Nous pensons, au
contraire, que le mensonge ne fait qu’accroître l’angoisse. La vérité peut
seule provoquer l’indispensable sursaut. L’austérité à elle seule ne résout
rien, c’est en gagnant la bataille de la compétitivité que notre pays
retrouvera son indépendance. Mais la fuite en avant dans les déficits ne créera
aucune croissance, aucun emploi et fait courir un risque d’explosion sociale.
Comment la France a-t-elle pu être ruiné au terme de cinquante années de paix?
Parce que les Français ont toujours fait le mauvais choix de la démagogie. Mais
l’échéance, c’est aussi la dernière chance. C’est ici et maintenant qu’il faut
la saisir."
François de
Closets
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