L'agriculture et l'alimentation ont été oubliées
dans le débat électoral
Pesticides sur les fruits
et les légumes, antibiotiques dans le lait, hormones dans la viande, dioxine
dans les œufs et les poulets, algues vertes sur le littoral breton,
effondrement des abeilles, abaissement des nappes d'eau souterraines, pollution de l'air et des eaux,
érosion des sols et risques accrus d'inondation, émissions de gaz à effet de
serre... Notre agriculture industrielle et productiviste se trouve accusée de
tous les maux et les agriculteurs français ne supportent plus d'en être tenus
pour responsables. Et le syndicalisme agricole majoritaire est alors parfois
tenté de pratiquer la politique du déni, avec pour effet d'accroître
encore davantage la méfiance des consommateurs et des protecteurs de
l'environnement à l'égard de la paysannerie.
Mais inutile de le nier: de façon à produire aux moindres coûts monétaires et
répondre aux exigences de standardisation des industries agro-alimentaires et
de la grande distribution, nos agriculteurs ont été pour la plupart contraints
de s'équiper en infrastructures et matériels de plus en plus coûteux.
Lourdement endettés, ils durent spécialiser exagérément leurs systèmes de
culture et d'élevage de façon à pouvoir amortir au plus vite ces nouveaux équipements. Et
ils ne disposent plus désormais pour ce faire que d'un nombre très limité de
variétés végétales ou races animales à haut potentiel génétique de rendement,
souvent très sensibles aux éventuels insectes prédateurs et agents pathogènes.
D'où le recours à toujours plus de produits phytosanitaires (fongicides,
herbicides, insecticides, etc.) et vétérinaires dont les procédures
d'autorisation de mise sur le marché sont de plus en plus sujettes à caution.
Disons le clairement : les
agriculteurs sont bien souvent les otages et les premières victimes de cette
évolution dictée par la nécessité de rester compétitifs dans un monde où les
règles du jeu et le comportement des consommateurs sont de plus en plus
formatés par de puissants oligopoles. Ils sont eux-mêmes directement exposés à
l'épandage des pesticides mais ne supportent parfois plus de se voir
brutalement et tardivement interdits d'employer des produits finalement
considérés comme dangereux. La politique agricole commune ne devrait-elle donc
pas plutôt les inciter à mettre en œuvre des systèmes de culture et d'élevage plus
respectueux de l'environnement et des équilibres écologiques ?
Fort heureusement, des
agriculteurs "résistants" ont su déjà mettre au point divers systèmes
de production agricole adaptés chacun aux conditions locales de leurs terroirs.
Ils font un usage intensif des ressources naturelles renouvelables (l'énergie
lumineuse et le gaz carbonique en excédent dans l'atmosphère pour les besoins
de la photosynthèse et la production de nos calories alimentaires, l'azote de
l'air pour la fabrication de nos protéines végétales, etc.), tout en ayant le
moins possible recours aux énergies fossiles et n'employant pas nécessairement
de produits agro-toxiques. Très savantes, ces formes d'agriculture paysanne
inspirée de l'agro-écologie n'en sont pas moins bien plus artisanales et
exigeantes en travail que l'agriculture dite "conventionnelle". Elles
méritent donc d'être mieux rémunérées ; et c'est tout l'intérêt de
l'agriculture bio de pouvoir bénéficier de prix plus rémunérateurs en échange
du respect d'un cahier des charges particulier et d'une procédure de
certification rigoureuse. Mais s'ils doivent rester plus chers, les produits
issus de l'agriculture bio ne risquent-ils pas de devenir à tout jamais
inaccessibles aux couches sociales les plus modestes ? L'essor de cette forme
d'agriculture semble bien être conditionné à une répartition plus équitable des
revenus, pour ne pas être réservée à la seule niche des bourgeois-bohêmes.
Mais il faudra pourtant
bien qu'un nombre croissant de nos agriculteurs adhèrent à celle-ci ; car c'est
bien toute l'agriculture française et européenne qui va devoir opérer un tel
virage à 90 degrés pour garantir la qualité sanitaire de nos aliments et
préserver la fertilité de nos écosystèmes. Les actuelles subventions de la
Politique agricole commune (PAC), actuellement distribuées sous la forme
d'aides presque totalement "découplées" de la production, devraient
donc être prioritairement réorientées en faveur de cette forme d'agriculture
bio, en échange des services sanitaires et environnementaux qu'elle procure à
l'ensemble de la société. Les paysans qui œuvrent pour l'intérêt général
pourraient être alors ainsi correctement rémunérés sans que les consommateurs
aient à supporter des prix trop élevés.
A la veille d'une réforme programmée de la PAC pour l'après 2013, nos candidats aux législatives ne pourraient-ils pas se prononcer clairement sur ce point.
A la veille d'une réforme programmée de la PAC pour l'après 2013, nos candidats aux législatives ne pourraient-ils pas se prononcer clairement sur ce point.
Marc Dufumier est
l'auteur de Famine au Sud. Malbouffe au
Nord (NiL ; 2012).
Marc Dufumier, professeur émérite à AgroParisTech
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