L’illogique militarisation de la police
Doter les brigades anticriminalité de fusils à pompe : la dernière promesse de Nicolas Sarkozy en matière de sécurité est révélatrice d’un glissement des «forces de l’ordre» vers une logique de surmilitarisation, doublée d’un démantèlement de la police de proximité.
Moi-même policier suisse, j’ai été envoyé en mission d’observation dans les commissariats des banlieues françaises après les émeutes de 2005 et j’ai eu l’occasion d’y retourner à plusieurs reprises depuis lors. J’y ai vu la détresse de mes collègues. J’ai aussi constaté que, comme chez nous, les stratégies managériales en matière de sécurité étaient dépassées. J’ai interrogé alors ma pratique professionnelle auprès de Frédéric Maillard, analyste des organisations de polices. Ensemble nous avons fait plusieurs constats européens.
Déconnectées de la population, les différentes divisions policières observent un fonctionnement de plus en plus militarisé. C’est d’autant plus alarmant que les défis sécuritaires, plus complexes, trouvent notamment leurs causes dans les difficultés sociales. Etonnamment, l’armée entreprend des réformes dont la police semble incapable. Alors qu’il faudrait qu’elle se réinvente, pour faire face à une violence de plus en plus diffuse. L’intelligence pratique de la police est compromise. Les policiers ne peuvent qu’être en colère, puisque jouets d’une politique qui les dépasse, limitant leur métier au seul maintien de l’ordre, et réduisant ainsi à néant les stratégies de construction de la paix sociale. Le savoir-faire et l’anticipation s’essoufflent, ainsi que la confiance.
Des pistes existent pourtant, pour ne pas capituler et céder le terrain aux désordres. Il y a dix ans, les polices de proximité connaissaient de sérieux revers et se voyaient retirer leurs desseins politiques ; voire étaient condamnées. C’était irresponsable. La population, comme le personnel policier, plébiscite les brigades de proximité innovantes, composées de femmes et d’hommes en tenues, visibles, mobiles et disponibles. Suffisamment d’expériences ont été mises en œuvre pour que l’on ne nous fasse plus croire qu’il reste des obstacles au retour d’une telle police.
Les politiques doivent se souvenir que les problèmes non résolus fragilisent la démocratie. Ils doivent se ressaisir de leurs polices, tout en ayant à l’esprit que parler de sécurité publique, c’est largement dépasser le cadre de la police. Dans une société moderne et responsable, il est aussi important de faire participer à la sécurité d’autres intervenants, du gardien d’immeuble aux services de la voirie, par exemple. L’idée étant de guetter les signaux d’incivilités, même les plus infimes, pour mieux anticiper les problèmes de sécurité. Dès lors, il y a lieu d’imaginer le développement de dispositifs pluridisciplinaires.
Le policier défend les droits humains. Avant tout. C’est la condition intrinsèque qui fait de lui un gardien de la paix, détenteur de deux pouvoirs opérationnels exclusifs et exceptionnels : la coercition, dont la maîtrise empêche l’enlisement dans la violence, et le moyen discrétionnaire, dont les droits de l’homme fondent la liberté de tout enfant, de toute femme et de tout homme. Le policier prête serment devant les autorités et le peuple. Il est alors identifié, légitimé, donc un citoyen représentatif et plus tout à fait ordinaire. Il est délégué de nos valeurs constitutionnelles, l’héritier d’une longue et exigeante conquête républicaine. Pour ces raisons, et seulement pour elles, il faut innover durant ces périodes d’insécurité, ressentie ou vécue, en insufflant de nouvelles capacités d’organisation policière, ainsi qu’en développant la culture d’engagement.
Le policier ne peut pas garantir seul la sécurité, la tranquillité et la salubrité publiques. Il cherche des alliances. Il s’agit dès lors de tisser une toile qui permette un échange de compétences et d’intelligences transdisciplinaires. Nous allons ensemble défier la criminalité et l’insécurité, sans jamais renier les valeurs qui façonnent l’Etat de droit, même si parfois nous sommes tentés par la simplicité d’une (ré)action directe, hostile et sans juste mesure. Je suis humain, et de temps à autre je doute… En revanche, je sais une chose : je me défigure et défigure nos sociétés, si je n’agis pas dans le plus strict respect de nos valeurs humaines.
PATRICK DELACHAUX Ecrivain, policier suisse, FRÉDÉRIC MAILLARD Economiste intervenant dans les formations de policiers
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