Y aura-t-il de la neige à Noël dans les Alpes?
Nous ne parlerons même pas ici de la Jarjatte , Valdrôme, Fond’Urle ou du Col de Rousset ou Herboully condamnée à terme en matière d’enneigements.
Présentation du projet
Des projets mégalomanes à l'image de l'époque
Les années 80 auront été dans les Alpes synonyme de gigantisme en terme d'aménagement des stations. A cette époque, les promoteurs et les communes de stations n'avaient qu'une idée en tête : s'étendre, multiplier les kilomètres de pistes et faire de la montagne française le premier terrain de sports d'hiver du monde. En Maurienne, cette politique s'est sentie mais la plupart des projets lancés ont avorté. Parmi eux on peut citer Val Chavière (création d'une station au dessus de Modane, reliée à Val Thorens via le glacier de Chavière), Saint Michel 1600 (création d'une station au dessus de Saint Michel de Maurienne, au lieu dit le Thyl, qui aurait été reliée au domaine des 3 Vallées), et le plus audacieux, la Croix du Sud.
Ainsi au milieu des années 80 naît l'idée d'un domaine skiable immense, un des plus vastes du monde, capable de concurrencer les 3 vallées en Tarentaise. L'auteur de ce projet, la future Croix du Sud, est un promoteur autrichien, Pierre Schnebelen, qui a déjà construit la station de Tignes quelques années auparavant, un succès.
Des aménagements colossaux...et des gabegies financières.
Cet audacieux projet nécessite énormément de moyens, mais semble tenir la route, s'appuyant sur plusieurs domaines skiables existants, dont celui de Valloire, celui de Modane-le Charmaix et celui de Bardonnecchia en Italie (vallée de Suse). Parmi les investissements à réaliser, il y a la construction de trois nouvelles stations :
- Valmeinier 1800, rapprochée au maximum du Col des Marches, lieu de passage des remontées mécaniques vers la commune d'Orelle
- Val d'Orelle, une station piétonne à créer de toute pièce au bord du lac de Bissorte, et qui serait accessible uniquement par téléporté (téléphérique ou funiculaire) depuis la vallée de la Maurienne.
- Valfréjus, sur le petit stade de neige existant de Modane-le Charmaix. Même si un petit domaine existe déjà, il faut construire ici une véritable station de sports d'hiver, avec des hébergements et des remontées mécaniques modernes, toute proche de la ville de Modane, et idéalement située entre la France et l'Italie toute proche.
... industrialisation du domaine skiable international
Du point de vue du domaine skiable, le projet dans son ensemble comprend une vingtaine de remontées mécaniques supplémentaires, desservant plus de 250km de pistes, entre 1400m et plus de 3000m. Sont annoncés 25 000 hectares de champs de neige, dont 6000 équipés et damés, le reste étant réservé à la randonnée et au hors piste, directement depuis les remontées mécaniques. Des chiffres qui peuvent donner le vertige, pour un domaine qualifié par la presse de "beau comme le ciel", et qui aurait pu directement concurrencer le domaine tarrin des 3 Vallées (La Croix du Sud aurait été 2 fois plus vaste que les 3 Vallées !)
Pour mieux comprendre l'occupation de l'espace et les implantations de remontées mécaniques projetées, voici un plan de 1987, dessiné par Bernard Mathieu. On y voit les remontées mécaniques existantes et en projet ainsi que l'emplacement des différentes stations.
Un avortement programmé…ou la neige empoisonnée
Très vite le projet connaît des difficultés, et finit par être complètement mis de côté dès le milieu des années 90. La raison de cet avortement réside de deux facteurs :
- La disproportion de la station par rapport au domaine skiable va engendrer de gros problèmes financiers. En effet seuls très peu d'hébergements sont construits initialement et ils ne suffiront pas à rentabiliser les frais de fonctionnement du domaine skiable très (trop?) étendu.
- De plus, le manque de neige, plusieurs années de suite au début des années 90, va faire définitivement couler les stations toutes jeunes telles que Valmeinier et Valfréjus.
Ainsi les deux stations s'endettent d'année en année, avant de tomber en faillite au milieu des années 90 (Valmeinier est même la station possédant le plus gros déficit par habitant à cette période!), faisant disparaître avec elles le projet de la Croix du Sud...
Le problème géographique
Sans parler des problèmes économiques, ce projet était démesuré et absolument pas évident à réaliser : il aurait fallu, pour relier Valmeinier à Valfréjus, exploiter une vallée encore totalement vierge (Bissorte), ainsi que 2 versants (un à Valmeinier et un Valfréjus), construire 9 remontées mécaniques à fort débit rien que du côté français et construire une nouvelle station, avec tous les aménagements nécessaires au confort des clients, ainsi qu'un moyen d'accès, par route (très difficile à réaliser) ou par remontée mécanique à Val d'Orelle.
Et cela sans parler de l'exposition sud du versant italien qui aurait nécessité l'installation d'un réseau de neige de culture.
Le problème écologique
La réalisation du projet aurait nécessité l'exploitation de la face nord du Mont Thabor, et la création de nombreuses remontées mécaniques dans un site entièrement vierge qu'est la vallée de Bissorte, de quoi faire rager les randonneurs et les associations de protection de l'environnement. Si le problème écologique était considéré mineur à l'époque, ce n'est plus le cas aujourd'hui, où tout le monde a pris conscience de l'impact irréversible qu'est la création de nouvelles remontées et surtout de nouvelles pistes dans un environnement vierge. En plus, le site du mont Thabor est sur le point d'être classé. Ce qui n'est cependant pas un frein absolu puisque le projet prévoit le passage des remontées mécaniques en périphérie de la zone classée pour l'environnement.
La fin de l’Or blanc….
Peu de chances en lisant ces lignes d'imaginer que le projet de la Croix du Sud ressorte des cartons. On peut même dire aisément aucune chance. C'est un projet qui avait sa place dans les années de l'or blanc mais pas aujourd'hui, où les mentalités en station ont évolué, où les projets sont surveillés de près par les associations de protection de l'environnement, et où la conjoncture touristique en montagne n'est pas très positive (réchauffement climatique + crise économique).
Par contre ce qui n'est pas exclu, c'est une réalisation partielle du projet. En effet si l'on doit banir l'idée de pouvoir aller skis aux pieds de Valloire à Bardonnecchia, rien n'empêche d'imaginer que Valmeinier, une fois la modernisation de son domaine skiable effectué, cherche à étendre son domaine vers le col des Marches. Ce secteur est en haute altitude, bien exposé, très bien enneigé jusqu'en fin de saison et dispose d'ores et déjà de moyens d'accès facilités via le télésiège des Inversins. Ce serait l'évolution normale du domaine skiable Galibier-Thabor à long terme, si les finances le permettent bien entendu. Pour Valfréjus, nous nous contenterons de prendre la voiture. Sport hautement intelligent et physique.
Entre un et deux tiers des stations situées au-dessous de 1800 mètres auront fermé dans 40 ans, à cause de l'augmentation des températures. Face à cette échéance, trois hypothèses : anticiper, nier la réalité ou surinvestir !
Mauvaise nouvelle : Si les températures augmentent de 3,5º en moyenne dans le monde d'ici 2050, la France sera concernée par ce chiffre se déclinant en dérèglements de toutes sortes. Très mauvaise nouvelle : la hausse sera supérieure dans nos contrées : 4º selon Michel Galliot, chargé de mission à l'observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (Onerc).
"Les États se sont engagés à Copenhague à limiter à 2º cette augmentation",( revue à 3,5° à Durban) feint-il de croire. Si les pollueurs deviennent raisonnables, 96 des 148 domaines skiables français survivront. Si le pire l'emporte : ils ne seront plus que 55 à profiter de l'or blanc. Pur blabla ? L'Onerc met en ligne sur internet les mesures prises au col de Porte (Isère) depuis 1960 : chaque décennie, la température grimpe de 0,4º, le manteau neigeux fond de 17 centimètres.
"On a 20 ou 30 ans pour imaginer autre chose", résume Christophe Bonnet, défenseur de la nature dans les Alpes-de-Haute-Provence. Certains ont décidé de réagir immédiatement. Dans les Alpes-Maritimes, le Conseil général est fier d'avoir financé cet hiver la réouverture de la station de Turini-Camp d'Argent, à la frontière italienne. Le Département injecte 19 millions " en pure perte et en faveur des stations azuréennes de sports d'hiver".
Dans le 06, des dizaines de canons à neige ( catastrophes écologiques et sanitaires) sont en cours d'installation. Le taux de départs pour les sports d'hiver a pourtant plafonné en France à 10% en 1984. Il est resté depuis en deçà : à 1500 euros la semaine pour une famille standard, impossible d'attirer la foule des classes moyennes. Paradoxalement, la crise avantage les massifs du sud, jugés plus économiques. 82% des professionnels locaux pensent que cette saison sera "favorable". Du coup, comment dire non à cette manne ? "Notre rôle est d'amener les stations à une réflexion sur le long terme. Ce n'est pas facile", confesse Michel Galliot.
À l'université de Chambéry, Véronique Peyrache-Gadeau, spécialiste des questions de "vulnérabilité territoriale" souhaite "qu'elles apprennent à se projeter à moyen terme, pas seulement en fixant le regard sur le retour sur investissement". Mais comment se libérer de "cette dépendance à la neige" quand il n'existe "aucun modèle économique de substitution" ? La charte "station durable" signée par de nombreuses communes de montagne en France démontre une "volonté de s'afficher"… en attendant de passer aux actes.
Siphonner l’argent des contribuables…pour une minorité de riches : principal objet du financements des Conseils Généraux Alpins.
À savoir, trouver des alternatives au tout ski. "Cela passe aussi par un meilleur statut des saisonniers", rajoute Jean-Marc Coppola, en charge du tourisme à la Région qui tient à "saluer les stations des Alpes du Sud qui ont fait l'effort de se diversifier, hiver comme été", ce qui a permis de "fixer les familles de salariés à l'année". Améliorer le réseau ferroviaire, coupler les constructions de logements proches des pistes à des services et des animations pour prolonger les séjours au-delà de l'hiver : des pistes de réflexion qui reviennent en boucle, mais le problème reste entier. Et personne pour le prendre tout entier à bras-le-corps.
La France compte d'innombrables organismes chargés de "réfléchir" aux problématiques de la moyenne montagne, mais personne ne veut de solution pour financer la reconversion des stations placées au centre du collimateur météorologique. Car la fin des stations est proche… simplement.
Albert Idelon
idelonalbert.vercors@laposte.net
26420 La Chapelle en Vercors
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