Le retour à la terre des exilés de la crise
GRÈCE : Face à la crise,
il y a ceux qui manifestent, ceux qui se résignent et ceux qui
retournent à la campagne. Reportage à Chios, une île qui accueille de
plus en plus de réfugiés économiques. Le retour à la terre des exilés de
la crise
C’est un petit continent
posé sur la mer Egée. Une masse de terre ancrée contre vents et marées. A
quelques brassées de la Turquie, l’île d’Homère a forgé sa légende dans
les invasions, les guerres, les crises. C’est connu, Chios tremble,
mais ne sombre pas. Et ne change pas. Ses petites maisons de pierres
baignées par le soleil sept mois par an dessinent l’horizon depuis
toujours. Comme ses vieux anachroniques, tout de noir vêtus, fossilisés
sur le pas des portes. Mais depuis quelques mois, la routine millénaire
est troublée par des centaines de nouveaux arrivants débarqués de la
capitale: les premiers exilés de la crise. Jeunes diplômés au chômage,
entrepreneurs et commerçants en faillite, ces Grecs fuient la misère de
la capitale pour le soleil de Chios, 32 400 habitants, où l’on peut
commencer une nouvelle vie... plus abordable.
Dans les petites communes de l’île à mastic, c’est la révolution. De nouveaux commerces fleurissent. Là, un garage, ici, un hôtel ou un restaurant. Partout, les écoles se remplissent de nouveaux élèves et les salles d’attente des médecins ont du mal à absorber le flot des patients. Dans les rues escarpées, les vieux partagent leurs bancs avec de jeunes urbains, avides de connaître leurs secrets agricoles. De vieilles maisons abandonnées renaissent et l’on peut, ici, voir un père de famille retaper un toit, là, une jeune femme découvrir, MP3 aux oreilles, les joies du potager.
Rien à voir avec ces néoruraux qui fuient les bruits de la ville pour retourner aux sources du bio. En Grèce, ce phénomène, baptisé «retour à la terre», n’a peu ou rien d’un choix. C’est la crise, portée par le chômage et des loyers devenus trop chers, qui pousse les citadins hors des grandes villes. Un cataclysme financier qui s’est soldé par un plan d’austérité sans précédent. Licenciements, réduction des salaires des fonctionnaires et des pensions des retraités, coupes dans les dépenses sociales, la pilule est amère pour la population. D’autant plus que le pays ne se relève pas. En mars, le chômage, en progression constante, frappait 22% de la population et un jeune sur deux (51% des 15-24 ans). Pour beaucoup de Grecs, ne reste alors qu’une solution: l’exode.
Une majorité prête à faire pareil
D’abord au-delà des frontières, puisqu’ils sont des milliers à avoir quitté le pays. Mais aussi dans les villages et sur les centaines d’îles que compte la Grèce. Un phénomène qualifié par le ministre de l’Agriculture de «véritable tournant dans la société et le style de vie des Grecs». Selon un sondage Kapa Research pour le Ministère de l’agriculture (mars 2012), plus de 68% des personnes interrogées dans la région d’Athènes et de Thessalonique, les deux plus grandes villes du pays, ont envisagé de déménager à la campagne (soit 1,5 million de personnes) et 19,3% ont déjà pris des initiatives concrètes. Deux tiers des personnes qui souhaitent partir ont étudié à l’université, et les trois quarts d’entre elles ont moins de 44 ans. Et s’il est encore difficile de calculer le nombre de ceux qui ont fait le pas, on sait que 60 000 emplois ont été créés dans l’agriculture ces trois dernières années. Autant de Grecs qui ont décidé de se consacrer à la production agricole et de changer de vie.
700 000 escargots
A Chios, c’est le cas de Nikos, 31 ans, et Alexandra, 32 ans, un couple originaire de la capitale. A Athènes, il était contrôleur qualité, elle était paysagiste, ils sont aujourd’hui à la tête d’un élevage d’escargots. En plein champ, devant un hangar qui abrite une serre gigantesque, Nikos emporte un panier que lui tend Alexandra. Sous la serre, collés à des planches de bois, 700 000 escargots attendent leur pitance. «Il y a trois ans, les contrats se faisaient de plus en plus rares et le chômage grimpait en flèche, raconte Alexandra, en jetant des graines aux mollusques. Nous nous sommes dit que si nous voulions un emploi, il fallait l’inventer. Après une longue période de documentation, nous avons choisi les escargots. Il fallait un produit qui s’exporte pour ne pas être dépendant de l’économie grecque», résume l’ancienne paysagiste.
Une fois le choix de la filière arrêté, reste à se former. Le couple se plonge dans les livres et enchaîne les stages pratiques chez les producteurs aux quatre coins du pays. «Je ne sais pas comment les anciens faisaient sans internet pour échanger et s’informer...», se demande Nikos. Sa compagne de rétorquer: «Eux, ils étaient formés par leurs parents. Les nôtres nous ont poussés à étudier à l’université, puis à nous installer en ville pour réussir... Résultat, avec la crise, nous sommes de retour à la campagne!». A Chios, Nikos et Alexandra ne sont pas les seuls à avoir quitté Athènes. Yanis, 32 ans, chercheur en physique nucléaire, a décidé de devenir mécanicien naval.
La physique nucléaire sur Skype
Nikos et Yanis, amis d’enfance, s’étaient perdus de vue pendant leurs études à Athènes. La crise les a réunis sur l’île de leur jeunesse et c’est donc l’éleveur d’escargots qui nous conduit chez son ami... Enfin chez ses parents. Installé sous la véranda de la maison familiale, Yanis, tee-shirt et lunettes carrées, confie tristement son histoire: «La recherche, c’est ma vocation, mais en Grèce, aujourd’hui, personne ne peut en vivre. Je me suis battu, je donnais des cours particuliers pour poursuivre mes travaux. Mais je gagnais 600 euros, à peine de quoi manger après avoir payé le loyer.» Au fil des mois, ses confrères quittent le pays, mais le jeune chercheur préfère retourner vivre chez ses parents, à Chios. Et comme il n’y a pas de laboratoire sur l’île, Yanis s’inscrit à l’école navale, en mécanique. Mais après les cours, c’est plus fort que lui, le scientifique rouvre ses livres de physique nucléaire et enchaîne les équations sur un tableau Velleda. «Avec les autres chercheurs, nous correspondons sur Skype. Nous continuons nos recherches gratuitement, pour le bonheur de faire avancer la science.»
Christos, retour à la case départ
A l’autre bout de l’île, une station de lavage de voitures a ouvert ses portes il y a un an. Le patron, Christos, 44 ans, est aussi un exilé de la crise, il vit chez ses parents. Assis derrière le petit bureau de sa station, Christos s’énerve, pleure et se tient la tête entre les mains quand il raconte son histoire. Cet ancien homme d’affaires a dû mal à tourner la page de son ancienne vie. «Vous imaginez, à 44 ans, tout devoir recommencer depuis le début? Vous imaginez, demander l’hospitalité à vos parents parce que vous n’avez plus les moyens de payer un loyer?»
Concessionnaire en voitures de luxe à Athènes, Christos était à la tête de cinq magasins et de 400 employés. Mais il y a deux ans, sa société fait faillite, car avec la crise, «plus personne n’a les moyens de s’acheter des voitures de luxe». Adieu appartement confortable et salaire mirobolant, pour Christos et sa femme c’est la descente aux enfers, la chute dans l’échelle sociale. Pour rebondir, il ne leur reste qu’une solution: l’exode. Un exode à marche forcée, qui n’a rien d’un nouveau départ: «J’ai tout perdu dans la crise, tout... Mais le plus dur a été de perdre ma dignité.»
Spiro se met au troc
Le soleil se couche quand nous quittons la petite station de lavage. Mais pour beaucoup de néoruraux, la journée de travail n’est pas finie... Il est 19 heures quand Spiro et ses quatre enfants arrivent sur leur potager. Cet ancien cafetier athénien est arrivé sur l’île il y a bientôt un an, après la faillite de son commerce. Entre deux coups de bêche, il raconte: «Nous avons choisi d’ouvrir un restaurant ici, car nous n’avions pas de loyer à payer.» La femme de Spiro étant originaire de Chios, la famille vit chez les beaux-parents du cafetier. Mais la nouvelle affaire de Spiro a dû mal à démarrer, chaque mois, il peine à joindre les deux bouts. C’est pour cela que la famille s’est lancée dans un potager: «Nous avons appris seuls à faire pousser nos légumes, sourit Spiro en désignant les plants de tomates bien alignés. Et nous faisons du troc avec nos voisins, d’autres Athéniens exilés qui se sont mis aussi à planter des légumes.»
Autour de lui, moins concentrés, ses enfants jouent entre les concombres et les asperges. Lina, sa fille de 16 ans, surveille ses frères tout en bêchant. La jeune fille, amère, regrette sa vie dans la capitale: «Ici, je n’ai pas d’amis de mon âge et le lycée est très loin. Mes parents travaillent sans arrêt et n’y arrivent pas, c’est vraiment trop dur.» Pour elle aussi, l’avenir n’est possible que dans l’exode. «Plus tard, j’habiterai dans un autre pays, jure l’adolescente. En Grèce, où que l’on soit, à Athènes ou à Chios, c’est la galère.»
Leila Minano
Dans les petites communes de l’île à mastic, c’est la révolution. De nouveaux commerces fleurissent. Là, un garage, ici, un hôtel ou un restaurant. Partout, les écoles se remplissent de nouveaux élèves et les salles d’attente des médecins ont du mal à absorber le flot des patients. Dans les rues escarpées, les vieux partagent leurs bancs avec de jeunes urbains, avides de connaître leurs secrets agricoles. De vieilles maisons abandonnées renaissent et l’on peut, ici, voir un père de famille retaper un toit, là, une jeune femme découvrir, MP3 aux oreilles, les joies du potager.
Rien à voir avec ces néoruraux qui fuient les bruits de la ville pour retourner aux sources du bio. En Grèce, ce phénomène, baptisé «retour à la terre», n’a peu ou rien d’un choix. C’est la crise, portée par le chômage et des loyers devenus trop chers, qui pousse les citadins hors des grandes villes. Un cataclysme financier qui s’est soldé par un plan d’austérité sans précédent. Licenciements, réduction des salaires des fonctionnaires et des pensions des retraités, coupes dans les dépenses sociales, la pilule est amère pour la population. D’autant plus que le pays ne se relève pas. En mars, le chômage, en progression constante, frappait 22% de la population et un jeune sur deux (51% des 15-24 ans). Pour beaucoup de Grecs, ne reste alors qu’une solution: l’exode.
Une majorité prête à faire pareil
D’abord au-delà des frontières, puisqu’ils sont des milliers à avoir quitté le pays. Mais aussi dans les villages et sur les centaines d’îles que compte la Grèce. Un phénomène qualifié par le ministre de l’Agriculture de «véritable tournant dans la société et le style de vie des Grecs». Selon un sondage Kapa Research pour le Ministère de l’agriculture (mars 2012), plus de 68% des personnes interrogées dans la région d’Athènes et de Thessalonique, les deux plus grandes villes du pays, ont envisagé de déménager à la campagne (soit 1,5 million de personnes) et 19,3% ont déjà pris des initiatives concrètes. Deux tiers des personnes qui souhaitent partir ont étudié à l’université, et les trois quarts d’entre elles ont moins de 44 ans. Et s’il est encore difficile de calculer le nombre de ceux qui ont fait le pas, on sait que 60 000 emplois ont été créés dans l’agriculture ces trois dernières années. Autant de Grecs qui ont décidé de se consacrer à la production agricole et de changer de vie.
700 000 escargots
A Chios, c’est le cas de Nikos, 31 ans, et Alexandra, 32 ans, un couple originaire de la capitale. A Athènes, il était contrôleur qualité, elle était paysagiste, ils sont aujourd’hui à la tête d’un élevage d’escargots. En plein champ, devant un hangar qui abrite une serre gigantesque, Nikos emporte un panier que lui tend Alexandra. Sous la serre, collés à des planches de bois, 700 000 escargots attendent leur pitance. «Il y a trois ans, les contrats se faisaient de plus en plus rares et le chômage grimpait en flèche, raconte Alexandra, en jetant des graines aux mollusques. Nous nous sommes dit que si nous voulions un emploi, il fallait l’inventer. Après une longue période de documentation, nous avons choisi les escargots. Il fallait un produit qui s’exporte pour ne pas être dépendant de l’économie grecque», résume l’ancienne paysagiste.
Une fois le choix de la filière arrêté, reste à se former. Le couple se plonge dans les livres et enchaîne les stages pratiques chez les producteurs aux quatre coins du pays. «Je ne sais pas comment les anciens faisaient sans internet pour échanger et s’informer...», se demande Nikos. Sa compagne de rétorquer: «Eux, ils étaient formés par leurs parents. Les nôtres nous ont poussés à étudier à l’université, puis à nous installer en ville pour réussir... Résultat, avec la crise, nous sommes de retour à la campagne!». A Chios, Nikos et Alexandra ne sont pas les seuls à avoir quitté Athènes. Yanis, 32 ans, chercheur en physique nucléaire, a décidé de devenir mécanicien naval.
La physique nucléaire sur Skype
Nikos et Yanis, amis d’enfance, s’étaient perdus de vue pendant leurs études à Athènes. La crise les a réunis sur l’île de leur jeunesse et c’est donc l’éleveur d’escargots qui nous conduit chez son ami... Enfin chez ses parents. Installé sous la véranda de la maison familiale, Yanis, tee-shirt et lunettes carrées, confie tristement son histoire: «La recherche, c’est ma vocation, mais en Grèce, aujourd’hui, personne ne peut en vivre. Je me suis battu, je donnais des cours particuliers pour poursuivre mes travaux. Mais je gagnais 600 euros, à peine de quoi manger après avoir payé le loyer.» Au fil des mois, ses confrères quittent le pays, mais le jeune chercheur préfère retourner vivre chez ses parents, à Chios. Et comme il n’y a pas de laboratoire sur l’île, Yanis s’inscrit à l’école navale, en mécanique. Mais après les cours, c’est plus fort que lui, le scientifique rouvre ses livres de physique nucléaire et enchaîne les équations sur un tableau Velleda. «Avec les autres chercheurs, nous correspondons sur Skype. Nous continuons nos recherches gratuitement, pour le bonheur de faire avancer la science.»
Christos, retour à la case départ
A l’autre bout de l’île, une station de lavage de voitures a ouvert ses portes il y a un an. Le patron, Christos, 44 ans, est aussi un exilé de la crise, il vit chez ses parents. Assis derrière le petit bureau de sa station, Christos s’énerve, pleure et se tient la tête entre les mains quand il raconte son histoire. Cet ancien homme d’affaires a dû mal à tourner la page de son ancienne vie. «Vous imaginez, à 44 ans, tout devoir recommencer depuis le début? Vous imaginez, demander l’hospitalité à vos parents parce que vous n’avez plus les moyens de payer un loyer?»
Concessionnaire en voitures de luxe à Athènes, Christos était à la tête de cinq magasins et de 400 employés. Mais il y a deux ans, sa société fait faillite, car avec la crise, «plus personne n’a les moyens de s’acheter des voitures de luxe». Adieu appartement confortable et salaire mirobolant, pour Christos et sa femme c’est la descente aux enfers, la chute dans l’échelle sociale. Pour rebondir, il ne leur reste qu’une solution: l’exode. Un exode à marche forcée, qui n’a rien d’un nouveau départ: «J’ai tout perdu dans la crise, tout... Mais le plus dur a été de perdre ma dignité.»
Spiro se met au troc
Le soleil se couche quand nous quittons la petite station de lavage. Mais pour beaucoup de néoruraux, la journée de travail n’est pas finie... Il est 19 heures quand Spiro et ses quatre enfants arrivent sur leur potager. Cet ancien cafetier athénien est arrivé sur l’île il y a bientôt un an, après la faillite de son commerce. Entre deux coups de bêche, il raconte: «Nous avons choisi d’ouvrir un restaurant ici, car nous n’avions pas de loyer à payer.» La femme de Spiro étant originaire de Chios, la famille vit chez les beaux-parents du cafetier. Mais la nouvelle affaire de Spiro a dû mal à démarrer, chaque mois, il peine à joindre les deux bouts. C’est pour cela que la famille s’est lancée dans un potager: «Nous avons appris seuls à faire pousser nos légumes, sourit Spiro en désignant les plants de tomates bien alignés. Et nous faisons du troc avec nos voisins, d’autres Athéniens exilés qui se sont mis aussi à planter des légumes.»
Autour de lui, moins concentrés, ses enfants jouent entre les concombres et les asperges. Lina, sa fille de 16 ans, surveille ses frères tout en bêchant. La jeune fille, amère, regrette sa vie dans la capitale: «Ici, je n’ai pas d’amis de mon âge et le lycée est très loin. Mes parents travaillent sans arrêt et n’y arrivent pas, c’est vraiment trop dur.» Pour elle aussi, l’avenir n’est possible que dans l’exode. «Plus tard, j’habiterai dans un autre pays, jure l’adolescente. En Grèce, où que l’on soit, à Athènes ou à Chios, c’est la galère.»
Leila Minano
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire