Vies de paysannes : de 1927 à 2010...
Le
terme de paysan est parfois ressenti comme péjoratif. Pourtant, dans le
dictionnaire, ce dernier est défini comme "une personne vivant à la
campagne de ses activités agricoles"... Quelle est la place des femmes
dans ce monde ? A l'occasion de la Journée mondiale des paysannes vendredi
15 octobre 2010, dijOnscOpe est allé chercher le témoignage de deux femmes qui
connaissent ou ont connu la vie à la ferme, avec ses joies et ses peines...
Ginette Lemaire /
âge : 83 ans / années vécues à la ferme : 47 ans
"Mes parents avaient
une ferme qu'ils louaient au bout du village d'Arc-en-Barrois (52). Nous nous
levions tôt le matin pour faire la traite des vaches, c'est pourquoi avec mes
soeurs, nous ne sommes jamais sorties dans les fêtes le soir. Et même lorsque
nous bavardions une fois au lit, notre père, qui nous entendait, nous
rouspétait et nous disait de nous taire et de dormir ! Avec la traite, il
n'y avait pas de repos le dimanche : c'était à faire deux fois dans la
journée, comme les autres jours de la semaine. Je m'occupais aussi des champs,
avec mes frères, et nous faisions le beurre également. Les clients venaient à
la ferme chercher leur lait qu'on distribuait dans la cuisine - ma mère se
servait de l'argent liquide pour faire tourner la maison. Et l'hiver, avec mes
soeurs, nous brodions des mètres et des mètres de draps.
Nous étions sept enfants à
la maison. Et pour sept enfants, mes parents n'ont touché que trois mois
d'allocations familiales ! Nous ne roulions pas sur l'or mais nous
n'étions pas pauvres. Pourtant, à l'époque, ils étaient nombreux les
pauvres : on voyait beaucoup de gens dans la rue, comme aujourd'hui
d'ailleurs. Je me souviens que les mendiants passaient à la ferme le soir et
souvent, nous les faisions coucher dans l'étable où ils avaient chaud. Le
nombre de personnes que nous avons nourri pendant la guerre ! Cela dit,
nous avions quand même des soucis matériels : nous vendions notre blé rien
du tout. C'était de l'agriculture biologique, sans engrais : parce que
nous n'avions pas les moyens d'en acheter ! Alors nous n'avions pas de
grands rendements. Je me souviens que mon père emmenait les pommes de terre à
Dijon et les vendait 30 francs (4,5 euros) les 100 kilos ! Mais nous
avions des parents en or et à la maison, l'ambiance était très familiale :
à table, il y avait donc les sept enfants, mes deux parents mais aussi mes
grand-parents paternels, sans oublier les employés de la ferme !
Ce sont les meilleurs
jours de ma vie, même si le travail n'était pas facile. Nous vivions avec la
nature : en voyant un nuage à droite, nous en déduisions une chose, s'il
était à gauche, autre chose. Nos dictons se rapportaient à la nature :
tout nous y conduisait. La vie dans les fermes était donc rythmée par la
nature, le travail et par la religion. Et à un moment, aussi par la
guerre : je me souviens d'avoir gardé les moutons et entendre le
ronronnement des avions anglais qui allaient bombarder l'Allemagne. Allongée
dans l'herbe, je les regardais passer...
"C'est une vie
dure mais elle rend fort"
Mon père a été maire
d'Arc-en-Barrois pendant 27 ans et conseiller général de la Haute-marne pendant
29 ans. Nous n'étions pas des illettrés, loin de là ; et même si ma
grand-mère, qui était par ailleurs très pieuse, s'est opposée à ce que j'aille
en pension, nous avons pratiquement tous eu notre certificat d'étude. Quand
j'ai eu 27 ans, j'ai voulu apprendre un autre métier : mes parents ne
pouvaient pas tous nous rémunérer et j'ai voulu aller travailler dans une
clinique à Chaumont... seulement la même année, je me suis mariée et mon époux
tenait la ferme la plus importante du département. Alors il a fallu s'en
occuper.
C'était une ferme modèle,
avec les moissonneuses-batteuses et plein d'autres matériels modernes. Moi, je
ne m'occupais plus des champs ; nous comptions jusqu'à vingt personnes
dans la ferme, mes trois filles et les employés compris : il fallait bien
s'occuper de tout ce monde. Nous avons connu des moments très difficiles, avec
deux énormes incendies où tout a été brûlé. Nous avons juste eu la chance de ne
pas avoir de dégâts sur la maison. Mais c'était l'horreur. A chaque fois, nous
avons recommencé... Cela jusqu'à mon veuvage, à 47 ans. Ensuite, j'ai fait
toutes sortes de travail à l'hôpital. Et aujourd'hui, j'habite un appartement à
Dijon où je me plais beaucoup.
Les paysans sont souvent
représentés comme rustres. Et c'est vrai que certains étaient même vraiment
grossiers. Mais ils ont une vie dure, pénible, ce qui ressort sur leur
caractère. Quant aux femmes, je ne dirais pas qu'elles étaient maltraitées mais
enfin, elles n'étaient pas considérées. Elles devaient faire à manger, des
enfants... C'est donc une vie dure mais elle rend fort : je ne suis jamais
malade, mes frères et soeurs non plus !"
Isabelle Olivier /
âge : 40 ans / années vécues à la ferme : 15 ans
"Je ne viens pas du
tout du monde agricole : je suis Dijonnaise, issue d'une famille de
commerçants. Plus jeune, je voulais être reporter alors j'ai fait les études
pour y arriver. Mais alors que j'étais à la faculté, je suis partie faire les
vendanges. Et là, j'ai rencontré mon futur mari ; c'était en 1992. Lui est
issu d'une famille d'agriculteurs de Concoeur, un hameau de Nuits-saint-Georges
(21) qui compte soixante habitants. Très vite, il m'a proposé de venir
travailler avec lui. Au départ, il pensait faire du fromage mais il est revenu
dans l'exploitation de ses parents qui cultivaient du cassis. Lorsqu'on s'est
rencontré, il faisait des foires agricoles pour vendre son sirop de cassis, qui
est une recette de sa grand-mère. Un jour, il m'a demandé de tenir son stand à
Florissimo et j'ai proposé que l'on fasse également des confitures. Là
commençait notre aventure... J'ai tout laissé tomber : j'avais été prise
au concours d'une grande école de journalisme mais je n'ai jamais répondu au
courrier...
Ca n'a pas été évident,
loin de là. Je n'avais pas vraiment les meilleurs atouts pour arriver dans une
famille de paysans des Hautes-côtes ; j'avais l'image de la citadine qui
me collait à la peau. Alors je suis partie faire une formation (l'Afrat) dans
le Vercors, destinée aux ruraux et pas simplement aux agriculteurs. Et puis
avec mon mari, nous nous sommes installés en prenant une partie des surfaces
cultivées et nous avons développé notre activité. Mais je n'avais pas de
diplôme agricole et je ne voulais pas simplement me cantonner au rôle de
conjointe, alors j'ai fait une formation agricole. Au début, j'avais peur de me
retrouver qu'avec des garçons qui me parleraient de blé... C'était presque le
cas : la première question qu'ils m'ont posé était de savoir quel type de
tracteur je possédais ! J'avais 24 ans. Cela a duré deux ans et j'en ai
profité pour faire deux enfants. Après, c'était parti...
Au départ, nous avions
deux hectares où nous cultivions du cassis, des framboises, des fraises, des
groseilles, des cerises et des pêches de vigne. Nous vendions à la ferme et
nous recevions beaucoup de groupes. Ca a bien marché au point de ne plus
arriver à suivre, alors nous avons embauché ma mère à la vente et mon petit-frère
pour la fabrication des confitures. Nous avons agrandi notre gamme de produits
et aujourd'hui, nous travaillons sur douze hectares. Nous sommes tous à temps
plein et récemment, nous avons embauché ma cousine plus deux autres personnes,
sans oublier l'employé qui s'occupe de la boutique que nous avons achetée au
centre-ville de Nuit-saint-Georges.
"Quand je passe
dans un champ de cassis, je ressens s'il y a un départ de maladie ou
non..."
Ce qui était le plus
difficile au départ, ce n'était pas tant le travail physique que de faire ses
preuves : quand vous êtes une fille dans le monde agricole, vous n'êtes
pas prise au sérieux. Les confrères et même les clients vous cantonnent aux
tâches du commerce ou de la comptabilité. Nous étions attendus au tournant avec
mon mari, encore plus lorsque nous nous sommes mis à l'agriculture biologique.
Mais notre enthousiasme nous portait : au départ de cette aventure, il y a
quand même une histoire d'amour ! Cela ne m'empêchait pas d'avoir
conscience des risques : nous dépendons de la météo et donc nous pouvons
tout perdre en un rien de temps...
D'autre part, ce qui m'a
beaucoup choqué pendant des années, c'est le fonctionnement du monde
agricole : pour beaucoup, les gens n'arrivent plus à vivre de leur
travail. Ils reçoivent des primes de l'Etat pour compenser les bas prix pour
lesquels on achète leur récolte. C'est ça la réalité du monde agricole :
ils vivent de primes ! On ne valorise plus les gens qui produisent la
matière première. Les paysans sont désespérés et aujourd'hui, nombreux sont
ceux qui conseillent de ne pas faire leur métier. C'est très grave car ce sont
de beaux métiers. Pour ma part, je me suis aperçue que le rapport à la terre me
faisait du bien alors qu'au départ, je n'étais pas du tout attirée par cette
vie. Je me suis découvert une vraie passion. Et aujourd'hui, lorsque je passe
dans un champ de cassis, je ressens s'il y a un départ de maladie ou non...
Les régions agricoles sont
toutes différentes les unes des autres et ce que j'ai trouvé dans les
Hautes-côtes, c'est une région un peu fermée sur elle-même. Pour les femmes,
les familles ont l'ambition qu'elles soient institutrices, pour la sécurité de
l'emploi et le temps de libre qui permet de s'occuper des enfants. Les rôles
sont encore distribués selon les sexes : la cuisine et le ménage sont
réservés aux femmes...
Mais à côté de cela, les
gens réservent de bonnes surprises : ils sont un peu fermés au premier
abord mais une fois qu'ils vous acceptent, les relations sont super
après ! Et ce que j'aime beaucoup aussi, c'est le fait que les
agriculteurs vivent avec les saisons, c'est un rythme sain. On apprend à
relativiser du moment que l'on a accepté que notre travail puisse être détruit
en peu de temps. C'est vrai que je voulais parcourir le monde alors
qu'aujourd'hui, j'évolue dans un rayon de 5 km ! Mais je suis bien comme
ça ; je ne pourrais plus avoir une autre vie...".
DijOnscOpe
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