Biodiversité - Prendre soin de la nature : un
investissement pour l'avenir
Détérioration des milieux
naturels, disparition des espèces animales et végétales, dégradation par
l'homme des services issus des écosystèmes : l'effondrement actuel de la
biodiversité est une crise aussi grave que le changement climatique pour
l'avenir de l'humanité. Cette crise est silencieuse. Elle peine à mobiliser les
opinions publiques et à susciter des politiques volontaristes. Elle appelle une
stratégie globale qui ne se limite pas aux seules mesures de préservation de
zones "extraordinaires", mais porte également sur l'ensemble de la
nature "ordinaire". Dans son rapport "Biodiversité - Prendre
soin de la nature : un investissement pour l'avenir", Terra Nova précise
cette stratégie et formule des propositions ordonnées autour de quatre axes :
donner à la biodiversité une visibilité politique, économique et juridique,
renforcer et prendre en charge les solidarités écologiques, investir pour la
restauration et le développement de la biodiversité, évaluer les résultats et
rendre compte aux citoyens".
Synthèse du rapport
Pour l'opinion
publique et les décideurs politiques, la biodiversité est difficile à
appréhender. Elle renvoie en effet à la diversité du vivant, ce qui englobe les
espèces animales (y compris l’espèce humaine) et végétales, mais aussi la
diversité des gènes ainsi que celle des écosystèmes. La complexité de ce mot et
la difficulté d'en donner une mesure ou de le lier aux actes de la vie courante
en font un élément trop souvent ignoré dans le débat public. La méconnaissance
de l’importance des questions de biodiversité est encore aggravée par
l'urbanisation rapide de la population mondiale, qui tend à nous faire oublier
encore davantage notre dépendance à la nature et à sa diversité. Cependant, la
France est dépositaire d’un patrimoine naturel d’une grande richesse, notamment
grâce à ses départements et collectivités d’outre-mer présentes sous de
nombreuses latitudes.
- La disparition
d’espèces et la dégradation des milieux naturels provoquent un déséquilibre
toujours grandissant ; comme une aile d’avion dont on enlèverait un à un les
rivets, c’est tôt ou tard l’ensemble du système qui s’effondre. Les biens et
services issus de la biodiversité sont pourtant une contribution indispensable
au fonctionnement de nos économies et au bien-être des populations. Notre
dépendance à l'égard de la nature ne se réduit pas à la production agricole et
à la pêche, elle concerne aussi l'approvisionnement en eau, la fourniture de matériaux
et de matières premières pour les activités économiques, l'absorption et le
recyclage de nos déchets et émissions de polluants, la lutte contre les
maladies ou le contrôle des inondations, pour ne prendre que quelques exemples
parmi les plus emblématiques. La question de la biodiversité, c'est donc celle
du patrimoine naturel, des conditions environnementales et des services rendus
par les écosystèmes. Elle est intimement liée à notre bien-être.
- Or les milieux
naturels ont connu depuis un demi-siècle une détérioration sans précédent.
L’effondrement actuel de la biodiversité est considéré par les scientifiques
comme une crise aussi grave que le changement climatique pour l’avenir de
l’humanité. Le constat fait l’objet d’un consensus : les espèces animales
et végétales disparaissent à un rythme très largement supérieur au rythme
naturel d’extinction. Dans son rapport 2007, l’Union Internationale pour la
Conservation de la Nature indique qu’un mammifère sur 4, un oiseau sur 8, un
tiers des amphibiens et 70% des plantes sont en péril dans le monde.
L’évaluation des écosystèmes pour le millénaire, lancée par les Nations Unies
en 2004, a montré que 60% des services issus des écosystèmes sont dégradés par
l'homme. Bien que brutale et extrêmement préoccupante, cette détérioration des
conditions mêmes de notre bien-être et de notre développement n'a guère marqué
les esprits, mobilisé les opinions publiques ni conduit à des politiques
publiques volontaristes.
- Insidieux et peu
visible, l'effondrement de la biodiversité est pourtant directement lié à
l’activité humaine : surexploitation des ressources (pêche intensive, commerce
d’espèces protégées, etc.), pollutions (de l’air, de l’eau et des sols),
fragmentation et destruction des milieux naturels (étalement urbain,
infrastructures, défrichement et déforestation sont quelques exemples),
introduction d’espèces envahissantes (accélérée par la mondialisation des
échanges) et changement climatique. Face à cette situation, les connaissances
scientifiques actuelles montrent qu’une stratégie du type « arche de
Noé » ne peut être la seule réponse. La préservation d'un petit nombre
d'espèces ou de territoires, mêmes remarquables, ne suffit pas pour constituer
un réservoir de biodiversité pour l’ensemble de la planète. Comme le souligne
J.A. McNeely (conseiller scientifique de l'UICN), se focaliser sur les espaces
ou espèces protégés reviendrait, pour un système public de santé, à ne
conserver que les urgences et à se passer des maternités, des services de soin
et d'une politique de prévention. Les zones protégées sont indispensables mais
« le reste du service de santé environnementale est tout aussi nécessaire
pour soigner une société très atteinte ». Pour stopper l’effondrement de
la biodiversité, l'action doit donc porter sur l’ensemble de la nature «
ordinaire », parallèlement aux mesures de protection des zones
« extraordinaires ». Il convient d’adopter une approche globale de
préservation et d’utilisation durable de la biodiversité, en intégrant de
manière effective cette préoccupation dans l’ensemble des secteurs d’activité.
Pour cela, nous proposons une
stratégie en 4 axes et 10 propositions phares.
1- Donner une visibilité
politique, économique et juridique à la biodiversité : il est impératif d’aider les citoyens à s’approprier
les questions de biodiversité, afin de les inscrire dans l'agenda politique, et
de mobiliser l'ensemble des acteurs concernés. C’est pourquoi, pour renforcer
le processus initié par le Grenelle de l’environnement, nous proposons
d'organiser des États généraux de la nature, basés sur mille réunions-débats à
l'échelle communale et intercommunale, à partir d'exemples très concrets issus
du territoire et de la vie quotidienne. Ces réunions auraient pour objectif de
mobiliser les citoyens, les entreprises et les décideurs, de faire s'approprier
par les acteurs les enjeux en matière de biodiversité et de faire émerger des
propositions innovantes. Par ailleurs, l’éducation de tous passe aussi par
l’école. Pour cela, nous proposons d’améliorer l’intégration des enjeux de
biodiversité dans les programmes scolaires du secondaire, de concevoir de
nouvelles ressources pédagogiques à destination des professeurs des écoles et
de former des animateurs « nature » spécialisés pour réaliser des
interventions dans les écoles, collèges et lycées. L’éducation des plus jeunes
est une cible, l’action des agents économiques en est une autre. Ces derniers
ne prêtent pas suffisamment attention à la biodiversité, dont la destruction
est une externalité qui compte peu pour eux. Nous pensons qu’il est
indispensable de développer un système de comptabilité de la biodiversité qui
soit non pas monétaire mais fondé sur une unité foncière en s'inspirant de
l'empreinte écologique. Chaque entreprise, chaque collectivité pourrait ainsi
calculer (et valoriser) son impact sur la biodiversité, qu’il soit positif ou
négatif.
- 2-
Renforcer et prendre en charge les solidarités écologiques : la solidarité écologique désigne la dépendance
réciproque très étroite entre les êtres vivants, qu'il s'agisse de
l'interdépendance entre des espaces et des espèces ou de l’interdépendance
entre l’homme et le reste de la biosphère. Ce concept conduit à prendre soin de
la nature, où qu’elle soit et quelle que soit la valeur qu’on lui reconnaît,
sans stigmatiser les territoires où ce soin est nécessaire, pour des raisons
écologiques, économiques ou sociales. La solidarité écologique passe par
l’amélioration de l’accès de chacun à la biodiversité. Pour rendre ce concept
opérationnel, nous proposons notamment de renforcer le volet environnemental
des Schémas de Cohérence Territoriale (SCoT), en y incluant la cohérence
écologique et de moduler le montant de la dotation globale de fonctionnement
des communes, selon qu'elles sont ou non incluses dans un tel SCoT. La
solidarité écologique doit s'exprimer également au-delà de nos frontières, en
particulier en aidant les pays en développement à investir dans leur capital
naturel. Nous proposons pour cela qu'une part croissante de l'aide publique
française au développement soit ciblée sur des projets de protection et de
gestion durable de la biodiversité, suite à l’engagement pris par la France
lors de la dernière conférence des parties de la convention sur la diversité
biologique, et que l'ensemble des projets soutenus par l'Agence française de
développement fasse l'objet d'une évaluation environnementale complète.
- 3-
Investir pour la restauration et le développement de la biodiversité : trop peu d'argent public est consacré à la
biodiversité et celle-ci ne dispose que de peu de mécanismes de financement
propres. Pire encore, de nombreuses subventions et dépenses fiscales ont des
effets néfastes sur la biodiversité. Pour donner aux pouvoirs publics et aux
acteurs privés les ressources nécessaires à une action globale sur le long
terme en faveur de la nature, il faut associer positivement création de
richesses et biodiversité, et intégrer la biodiversité dans l’ensemble des
politiques sectorielles. Nous proposons en particulier de réaffirmer plus
fortement l'obligation d'éviter, de réduire et en dernier recours de compenser
les impacts environnementaux des projets en modernisant les modalités de mise
en œuvre de ce principe (création d'autorités environnementales locales,
réforme du dispositif de compensation, efforts de restauration de milieux et
d’effacement d’ouvrages). En parallèle, la création d'un Office de la
biodiversité doit permettre d'apporter l’appui indispensable aux acteurs
publics et privés, tant en matière d’ingénierie écologique que
d’évaluation ex ante des projets. Cet organisme regroupant des
structures existantes devra avoir les moyens d'une ambition forte en matière de
protection de la nature, grâce à la mobilisation de ressources propres et à des
moyens humains conséquents, répartis sur l’ensemble du territoire dans des
délégations territoriales. Parmi les acteurs pour lesquels un fort
investissement en faveur de la biodiversité est attendu, l'agriculture, par sa
large présence sur le territoire et ses impacts majeurs sur la biodiversité,
constitue un secteur prioritaire. Pour amorcer et soutenir un véritable
changement de culture et de pratiques au sein du monde agricole et aller vers
des systèmes de production qui ménagent voire qui accroissent la biodiversité,
nous proposons de moduler les aides agricoles du premier pilier en fonction du
niveau de certification environnementale atteint par les exploitations
agricoles et de développer des mesures agro-environnementales ciblées pour
soutenir les systèmes agricoles qui réconcilient objectifs de production agricole
et richesse des écosystèmes.
- 4 -
Évaluer les résultats et rendre compte aux citoyens : assurer un suivi fin de la biodiversité pour
évaluer les résultats concrets des actions mises en œuvre, l’efficacité des
moyens ou encore la cohérence des politiques menées est une condition
indispensable à une action en faveur de la biodiversité qui soit efficace,
pérenne et appropriée par les acteurs politiques et les citoyens.
L'approfondissement de nos connaissances sur l'état et le fonctionnement des
écosystèmes constitue également un impératif. La stratégie nationale pour la
biodiversité 2011-2020 (SNB), publiée le 19 mai 2011, constitue le bon cadre
pour s'appuyer sur la société civile et donner un espace politique à la
biodiversité, à condition que la SNB jouisse d'un fort soutien politique et
qu'elle conduise à des engagements forts pour l'ensemble des parties prenantes.
L’État doit ainsi favoriser les engagements collectifs des différents acteurs
en faveur de la biodiversité et l’évaluation de la mise en œuvre et des
résultats de ces engagements. Nous proposons en outre de mieux structurer
l'expertise sur la biodiversité en créant au sein des organismes de recherche
et de gestion de l’environnement des services spécialisés dans le transfert de
connaissances pour l'État, les collectivités et les acteurs privés, sur le
modèle des pépinières d’entreprises et du transfert de technologies.
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