La recherche
scientifique menée par Gilles-Eric Séralini sur un OGM de Monsanto a été
violemment critiquée dans sa méthodologie. Mais qu'en est-il des tests menés
par les firmes elles-mêmes ? Un rapport montre les dissimulations et
extrapolations bien peu scientifiques qui accompagnent l'évaluation du seul OGM
autorisé à la culture en Europe, le Mon810. Des extrapolations reprises à leur
compte sans vérification par les autorités sanitaires européennes.
Avant d'être
commercialisés, les OGM sont-ils vraiment évalués avec la plus grande rigueur
scientifique, comme leurs promoteurs le prétendent ? Toute entreprise
sollicitant une autorisation de mise sur le marché de son OGM doit produire une
évaluation censée démontrée que sa semence transgénique est inoffensive. Ces
analyses sont réalisées par des laboratoires que les entreprises de
biotechnologie rémunèrent directement.
Les autorités sanitaires qui étudient ensuite le
dossier, comme l'Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA), ne
disposent ni de temps ni de crédits pour pratiquer leurs propres analyses. Elles se contentent donc de lire le dossier de
l'entreprise et la littérature scientifique sur le sujet. D'un côté, la firme
est juge et partie. De l'autre, des instances d'évaluation placent dans cette
firme une confiance quasi absolue.
Que doivent évaluer les
experts ? Que l'OGM ne diffère pas d'une semence non transgénique dont
l'utilisation commerciale a déjà été jugée sans risque. La firme va donc
chercher à démontrer « l'équivalence en substance » : comparer les composants
d'une plante transgénique (nutriments, protéines, glucides...) avec des plantes
conventionnelles. Si les écarts enregistrés correspondent à des écarts connus
entre variétés de la même espèce, la plante transgénique est considérée comme
étant équivalente en substance, donc a priori inoffensive. L'évaluation se fait
en deux étapes : une analyse comparative pour identifier des différences avec la
plante non modifiée génétiquement, et une évaluation des impacts nutritionnels,
sanitaires et environnementaux de ces différences.
Le Mon810 « aussi sûr » qu'un grain de maïs
conventionnel ?
Concernant son maïs
Mon810, Monsanto a affirmé en 2007 : « Comme il a été démontré dans ce dossier
de renouvellement d'autorisation, Mon810 est équivalent à un maïs conventionnel
à l'exception de sa protection contre certains papillons parasites ». Son OGM
serait donc comparable à un banal grain de maïs « naturel ». Une affirmation «
d'équivalence » que les autorités sanitaires européennes reprennent à leur
compte : « Le maïs Mon810 est aussi sûr que ses équivalents conventionnels au
regard de ses effets potentiels », conclut l'EFSA en 2009. Une conclusion pour
le moins hâtive...
Problème : sur quels
éléments démontrés scientifiquement repose cette affirmation ? Lorsque l'on
teste la toxicité d'un produit, on extrait deux échantillons de rats d'une
certaine lignée, et on regarde s'il est statistiquement raisonnable de penser
que l'échantillon « essai » a été modifié par l'OGM par rapport à l'échantillon
« témoin ». « Si quelque chose est vu (ici, une différence), cela existe. Si ce
n'est pas vu, cela ne veut pas dire que ça n'existe pas, mais juste que, dans
les conditions de l'expérience, on ne l'a pas vu », explique le biologiste
Frédéric Jacquemart, président d'Inf'Ogm, une veille citoyenne d'information
sur les OGM. Une absence de preuve n'est pas une preuve d'absence.
Des extrapolations pas très scientifiques
Affirmer que « le maïs
Mon810 est aussi sûr que ses équivalents conventionnels » est donc une
extrapolation sans preuves irréfutables. D'autant qu'aucun test d'équivalence
n'a en fait été réalisé ! Un tel test nécessite des protocoles assez lourds à
mettre en œuvre, avec un nombre de cobayes élevés, pour prouver l'innocuité du
produit. Si le test ne s'appuie que sur un faible nombre de cobayes (des rats
en l'occurrence), il s'agit en fait d'un test « de différence », visant à
établir que sur tel ou tel aspect, l'OGM ne semble pas produire des effets
différents qu'une banale graine. Mais cela ne prouve pas l'innocuité de l'OGM.
Alors que le Mon810 est
aujourd'hui cultivé en Europe, l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses)
a reconnu que 80 % des effets constatés lors des tests n'étaient pas
significatifs ! Affirmer que le Mon810 est « aussi sûr » que les autres maïs
est donc, au mieux, une extrapolation sans fondements, au pire, mensonger.
Aucun effet toxique ne peut en fait être exclu. Cette extrapolation des résultats,
qui rend un OGM équivalent à une autre semence, est sévèrement jugée par le
biologiste Frédéric Jacquemart : "Lorsque
deux populations sont comparées, les tests statistiques ne peuvent faire qu'une
chose : réfuter, au risque statistique choisi près, une hypothèse".
On peut donc réfuter un risque précis, mais en aucun cas affirmer une absence
totale de risques.
Dissimulations et conclusions hâtives
Dans son rapport intitulé
« Expertise des OGM, l'évaluation tourne le dos à la science », l'association
Inf'Ogm a ainsi pris le parti d'éplucher le dossier du Mon810. L'association
dénonce une série considérable de dissimulations scientifiques dans l'étude de
ce maïs insecticide. A commencer par l'entorse à une règle de base en
méthodologie scientifique : trier les données pour les présenter de manière «
avantageuse » plutôt que de les soumettre telles quelles.
Dans le dossier de sa
demande d'autorisation du Mon810, Monsanto fournit toute une littérature
scientifique analysant différentes variétés et cultures de maïs (dont des
analyses souvent anciennes, remontant avant 1982, dont la méthodologie est
aujourd'hui dépassée). Si Monsanto ne constate pas de différence significative
avec son OGM cultivé aujourd'hui, la firme estime que tout va bien. En revanche,
lorsque des différences sont observées, elles sont présentées comme « non
biologiquement significatives » ou « sans valeur informative » ! La comparaison
n'est utilisée que lorsqu'elle sert les intérêts de Monsanto et permet de
conclure à une composition similaire entre un maïs OGM et une plante témoin non
génétiquement modifiée.
Quand « similaire » devient « identique »
« En se basant sur ces
données, nous avons conclu que les grains du Mon810 et ceux du contrôle sont de
composition similaires et sont représentatifs des grains de maïs actuellement
sur le marché », assure la firme. Par dérive sémantique « similaire » devient
ensuite « de composition équivalente », puis... « Identique » ! Finalement, «
on peut conclure que le Mon810 est aussi sain et nutritif que le maïs
conventionnel »... Une conclusion qui excède de toute évidence la portée des
données. « Si l'on ne prend en compte que les données qui soutiennent la
conclusion souhaitée et qu'on néglige les autres, on aboutira fatalement à ce
que l'on a envie de montrer », rappelle Inf'OGM. Si cette pratique est
scientifiquement irrecevable, Monsanto semble particulièrement adepte de cet
exercice.
« Tout cela
est validé par l'[EFSA] sans que cela ne fasse tousser personne », déplore Frédéric Jacquemart. Malgré des
extrapolations non étayées, une faiblesse des tests, un tri des données, les
conclusions de Monsanto quant à l'innocuité de son maïs Mon810 ont été reprises
par des experts qualifiés d'agences officielles, censées être « neutres »,
comme l'Agence européenne de sécurité des aliments. Les recommandations de
cette Agence concernant les méthodes statistiques à utiliser sont pourtant très
claires, et parfaitement contradictoires avec les pratiques des firmes
dépositaires d'un dossier de demande d'autorisation d'OGM. Le panel OGM de
l'EFSA indique notamment que les deux tests, de différence et d'équivalence,
doivent être faits. Elle met également en garde contre l'usage de données
prises hors de l'expérience elle-même.
Conflits d'intérêts
Comment expliquer le
laxisme de l'EFSA sur le dossier Mon810 ? Frédéric Jacquemart y voit une « parfaite mauvaise foi ». Cette Agence,
censée être un organisme de contrôle indépendant, a été décriée ces derniers
mois après la révélation de plusieurs conflits d'intérêt au sein de la
structure. Un rapport de la Cour des Comptes publié le 11 octobre épingle
l'EFSA pour sa mauvaise gestion des conflits d'intérêts.
Deux ans plus tôt,
l'Observatoire européen des entreprises (CEO) avait déjà apporté les preuves de
liens entre plusieurs membres du conseil d'administration de l'EFSA et
l'Institut international des sciences de la vie (ILSI, International Life
Science Institute), financé par l'industrie agro-alimentaire. La présidente de
l'EFSA avait été contrainte de démissionner de l'ILSI où elle siégeait comme
membre du Conseil des Directeurs.
Cette affaire a révélé la
manière dont l'industrie des biotechnologies est parvenue à influencer les
décisions de l'agence européenne en plaçant dans ses instances décisionnelles
des personnalités scientifiques qui reprennent ses analyses et partagent ses
objectifs. C'est pourtant sur la base des avis de l'EFSA que la Commission
européenne prend les décisions d'autoriser ou non les OGM...
Expertises : deux poids, deux mesures
Les autres dossiers de
demande d'autorisation d'OGM ne vaudraient en général pas mieux. Deux dossiers
en cours d'instruction (la pomme de terre Modena et le maïs MIR604)[1] en vue
d'autorisations dans l'UE ont fait l'objet d'avis plus que sévères par le Haut
Commissariat aux Biotechnologies, souligne Inf'Ogm. Au même moment, l'étude du
Professeur Gilles-Eric Séralini sur la toxicité du maïs transgénique NK603 et
du Round up était jugée non valable scientifiquement par l'EFSA.
« Alors que l'EFSA vient de réagir dans un délai ridiculement
court à la dernière étude de G.-E. Séralini, en prétendant qu'elle n'avait
aucune portée, cette agence ferait mieux de faire son travail sérieusement et
de s'assurer que les dossiers de demande d'autorisation d'OGM sont réalisés
avec la meilleure rigueur scientifique possible », juge François
Veillerette, porte-parole de Générations Futures. « L'EFSA n'est manifestement qu'une des instances qui fonctionnent comme
des chambres d'enregistrement destinées à rassurer le public, au sujet des OGM,
mais non à en assurer la sécurité », conclut le rapport d'Inf'Ogm.
Les critiques formulées à
l'encontre du protocole de Gilles-Eric Séralini pourraient concerner les
protocoles de l'ensemble des dossiers déposés par les entreprises de
biotechnologie pour obtenir les autorisations commerciales de leurs plantes
génétiquement modifiées (PGM). Inf'OGM avait remis en 2011 au ministère de
l'environnement une pétition pour demander la révision de l'évaluation de
l'ensemble des PGM, autorisées et en cours d'autorisation. Une demande restée
sans réponse à ce jour, du moins pour les 46 OGM autorisés en Europe.
Sophie Chapelle
Sophie a fait ses premières armes
écojournalistiques à Die aux Rencontres de L’Ecologie au Quotidien lors d’une
rencontre avec Paul Ariès.
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