Ce texte est long et plein d’enseignements nous le passerons en 3 épisodes.
Le fascisme quotidien, en dix mesures faciles.
De Hitler à Pinochet et après, l’histoire montre qu’il y a certaines mesures que tout dictateur en puissance doit prendre pour détruire les libertés constitutionnelles. Nous sommes sur le chemin.
L’automne dernier, il y a eu un coup d’état militaire en Thaïlande. Les leaders du coup d’état ont pris un certain nombre de mesures, plutôt systématiquement, comme s’ils avaient une liste d’achats. En un sens, c’est ce qu’ils avaient. En quelques jours, la démocratie a été supprimée : les chefs du coup d’état ont décrété la loi martiale, envoyé des soldats en armes dans les zones résidentielles, pris en main les stations de radio et de télévision, et mis des activistes patentés en détention.
Ils ne comprenaient pas ces choses à mesure qu’elles progressaient. Si vous regardez l’histoire, vous pouvez voir qu’il y a essentiellement un plan pour transformer une société libre en une dictature. Ce plan a été utilisé à maintes reprises en versant plus ou moins de sang, de manières plus ou moins terrifiantes. Mais c’est toujours efficace. Il est très difficile et ardu de créer et maintenir une démocratie – mais l’histoire montre qu’en supprimer une est bien plus simple. Vous n’avez qu’à être disposé à prendre les dix mesures.
Aussi difficile que ce soit à contempler, il est clair, si vous êtes disposé à regarder, que chacune de ces 10 mesures a déjà été initiée aujourd’hui aux Etats-Unis .
Parce que les Américains comme moi sont nés dans la liberté, nous avons du mal à considérer même qu’il est possible pour nous de devenir aussi peu libres – au sein du pays – que beaucoup d’autres nations. Parce que nous n’apprenons plus beaucoup nos droits et notre système de gouvernement – le devoir de connaître la constitution a été retiré de la propriété des citoyens pour devenir le domaine des professionnels comme les juristes et les professeurs – nous reconnaissons rarement le système d’équilibre des pouvoirs que les fondateurs ont mis en place, même s’ils sont systématiquement démantelés. Parce que nous n’apprenons plus l’histoire européenne, la mise sur pied d’un département de sécurité de la « patrie » – rappelez-vous qui d’autre était enthousiaste du mot « patrie » – n’a pas déclenché le signal d’alarme qu’elle aurait dû.
J’affirme que, sous notre nez, moult pseudo-démocrates et leur administration utilisent des tactiques éprouvées pour supprimer notre société libre. Il est temps pour nous de consentir à penser à l’impensable – comme l’auteur et le journaliste politique Joe Conason a dit que ça peut arriver ici. Et que nous sommes plus avancés que nous n’en avons conscience.
Conason a averti de manière éloquente du danger de l’autoritarisme qui se répand . Je prétends que nous avons besoin aussi de regarder les leçons du fascisme européen et d’autres pour comprendre la gravité potentielle des événements que nous découvrons ici et là .
1. Invoquer un ennemi interne et externe terrifiant
Après avoir été frappés le 11 septembre 2001, nous fûmes dans un état de choc national. Moins de six semaines plus tard, le 26 octobre 2001, le Patriot Act des Etats-Unis fut adopté par le Congrès qui a eu peu d’occasions d’en débattre ; beaucoup ont dit qu’ils ont eu à peine le temps de le lire. On nous a dits que nous étions maintenant sur un « pied de guerre » ; nous étions dans une « guerre mondiale » contre un « califat mondial » ayant l’intention de « balayer la civilisation. » Il y a eu d’autres temps de crise dans lesquels les Etats-Unis ont accepté des limites sur les libertés civiles, comme durant la guerre de Sécession quand Lincoln a décrété la loi martiale ; durant la seconde guerre mondiale, quand des milliers de citoyens américano-japonais furent internés. Mais cette situation est sans précédent, comme le note Bruce Fein de l’American Freedom Agenda : toutes nos autres guerres avaient un point final, donc le balancier était capable de revenir vers la liberté ; cette guerre est définie comme illimitée dans le temps et sans frontières nationales dans l’espace – la Terre elle-même est le champ de bataille. « Cette fois, » dit Fein, « il n’y aura pas de fin définie. »
Créer une menace terrifiante – comme une hydre secrète et malfaisante – est un vieux truc. Il peut être basé, comme l’invocation d’Hitler d’une menace communiste contre la sécurité de la nation, sur des événements réels (un universitaire du Wisconsin a été confronté à des appels à démissionner parce qu’il a noté, parmi d’autres choses, que l’incendie criminel soi-disant communiste, l’incendie du Reichstag de février 1933, fut rapidement suivi dans l’Allemagne nazie par les pleins pouvoirs [accordés à Hitler - NdT], qui remplacèrent la loi constitutionnelle par un état d’urgence illimité). Ou bien la menace terrifiante peut être basée sur un mythe, comme l’évocation nationale-socialiste de la « conspiration globale du judaïsme mondial. »
Ce n’est pas que le terrorisme islamique mondial ne soit pas un danger grave ; bien sûr qu’il l’est. Je prétends plutôt que le langage utilisé pour transférer la nature de la menace est différent dans un pays comme l’Espagne – qui a aussi souffert d’attaques terroristes violentes – de celui en Amérique. Les citoyens espagnols savent qu’ils font face à une grave menace de la sécurité ; ce que nous croyons, en tant que citoyens américains, est que nous sommes menacés potentiellement par la fin de la civilisation telle que nous la connaissons. Evidemment, cela nous rend encore plus enclins à accepter des restrictions de nos libertés.
2. Créer un goulag ou camp de rétention.
Une fois que vous avez terrorisé tout le monde, la prochaine mesure est de créer un système de prison en dehors de la loi (comme Bush le disait, il voulait que le centre de détention américain de Guantanamo Bay soit situé dans un « espace extérieur » légal) – où la torture a lieu.
Au début, les gens qui sont envoyés là sont vus par les citoyens comme des étrangers : agitateurs, espions, « ennemis du peuple » ou « criminels. » Initialement, les citoyens tendent à soutenir le système de prison secret ; il les fait se sentir plus en sécurité et ils ne s’identifient pas avec les prisonniers. Mais suffisamment tôt, les leaders de la société civile – des membres de l’opposition, des activistes du travail, membres du clergé et journalistes – sont arrêtés et envoyés là également.
Ce processus a lieu dans des dérives fascistes et des prises de mesures sérieuses antidémocratiques allant de l’Italie et l’Allemagne dans les années 1920 et 1930 jusqu’aux coups d’état de l’Amérique latine des années 1970 et après. C’est une pratique usuelle de supprimer une société libre ou d’écraser un soulèvement pro démocratique.
Avec ses prisons en Irak et en Afghanistan et bien sûr, Guantanamo à Cuba, où les détenus subissent des sévices, et sont gardés indéfiniment sans jugement et sans accès à un procès légal, l’Amérique a maintenant certainement son goulag. Bush et ses alliés au Congrès ont annoncé récemment qu’ils ne diffuseraient aucune information sur les prisons secrètes des « sites noirs » de la CIA dans le monde, qui sont utilisées pour incarcérer des gens qui ont été arrêtés dans la rue.
Les goulags dans l’histoire tendent à se répandre, devenant toujours plus grands et plus secrets, toujours plus meurtriers et officialisés. Nous savons de récits, photos, vidéos et documents gouvernementaux de première main que des gens, innocents et coupables, ont été torturés dans les prisons gérées par les Etats-Unis que nous connaissons et celles que nous ne pouvons investiguer de manière adéquate.
Mais les Américains supposent toujours que ce système et que les sévices des détenus concernent seulement des gens basanés inquiétants avec lesquels ils ne s’identifient généralement pas. C’était courageux de la part du spécialiste conservateur William Safire de citer le pasteur anti-nazi Martin Niemöller, qui avait été arrêté comme prisonnier politique : « D’abord ils sont venus pour les Juifs. » La plupart des Américains ne comprennent pas encore que la destruction de la règle de la loi à Guantanamo établit un dangereux précédent pour eux aussi.
D’ailleurs, l’établissement des tribunaux militaires qui refusent un procès légal aux prisonniers tend à arriver tôt dans une dérive fasciste. Mussolini et Staline ont créé de tels tribunaux. Le 24 avril 1934, les Nazis, aussi, ont créé le Tribunal du Peuple, qui contournait aussi le système judiciaire : les prisonniers étaient gardés indéfiniment, souvent isolés, et torturés, sans être accusés de fautes, et étaient sujets à des procès-spectacles. En fin de compte, les Tribunaux Spéciaux sont devenus un système parallèle qui met la pression sur les tribunaux réguliers pour abandonner la règle de la loi en faveur de l’idéologie nazie dans la prise de décisions.
3. Développer une caste de voyous
Quand les leaders qui cherchent ce que j’appelle une « dérive fasciste » veulent supprimer une société libre, ils envoient des groupes paramilitaires de jeunes hommes effrayants pour terroriser les citoyens. Les Chemises Noires erraient dans la campagne italienne en frappant les communistes ; les Chemises Brunes tenaient des réunions violentes dans toute l’Allemagne. Cette force paramilitaire est particulièrement importante dans une démocratie : vous avez besoin des citoyens pour craindre la violence des voyous et donc vous avez besoin de voyous qui peuvent agir en toute impunité.
Les années qui suivirent le 11 septembre se sont avérées être une mine d’or pour les entreprises travaillant dans le domaine de la sécurité en Amérique, avec l’administration Bush épuisant les zones de travail qui incombaient généralement à l’armée américaine. Dans le processus, des contrats se chiffrant en centaines de millions de dollars ont été passés pour des travaux de sécurité par des mercenaires dans le pays et à l’étranger. En Irak, certains de ces contractants ont été accusés d’implication dans la torture des prisonniers, le harcèlement des journalistes et le tir contre des civils irakiens. Sous l’Ordre 17, donné aux contractants réguliers en Irak par l’administrateur américain à Bagdad, Paul Bremer, ces contractants sont protégés de toutes poursuites.
Oui, mais c’est en Irak, vous pouvez dire ; cependant, après l’ouragan Katrina, le département de la Sécurité de la Patrie a engagé et déployé des centaines de gardes de sécurité privés armés à la Nouvelle-Orléans. Le journaliste d’investigation Jeremy Scahill a interviewé un garde anonyme qui a tiré, selon les rapports, sur des civils non armés dans la ville. C’était un désastre naturel qui était à l’origine de cet épisode – mais la guerre sans fin contre le terrorisme de l’administration signifie une étendue continue pour ce qui se trouve être dans les faits des armées sous contrats privés pour ramener la gestion de crise et d’urgence au pays dans les villes américaines.
Des voyous en Amérique ? Des groupes de jeunes Républicains en colère, habillé en chemises et pantalons identiques, ont menacé des scrutateurs comptant les votes en Floride en 2000. Si vous lisez l’histoire, vous pouvez imaginer que ce peut être un besoin d’ « ordre public » le prochain jour d’élection. Disons qu’il y a des protestations, ou une menace, le jour d’une élection ; l’histoire n’exclurait pas la présence d’une société de sécurité privée à un bureau de vote « pour rétablir l’ordre public. »
Naomi Wolf, journaliste (photo)
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