EFFONDREMENT GLOBAL
Le présent de l’Humanité –
et de la planète qui la supporte – est chaque jour plus cocasse que la veille.
Les hommes vaquent à leurs occupations, petites ou grandes, en négligeant de
façon pathétique de s’occuper de l’essentiel : annihiler les risques
majeurs de l’effondrement définitif restant coupablement comme une vague
possibilité ou un triste épouvantail agité par quelques fâcheux écolos.
L’hypothèse de l’effondrement a été longtemps l’apanage des historiens des
temps longs qui nous ont enseigné que les civilisations entières sont
mortelles. L’exacerbation de la crise écologique au cours des dernières
décennies fait surgir de l’ornière où l’on se complaisait trop facilement à la
cantonner la menace tangible et fatale pesant désormais sur l’espèce humaine.
L’extension du capitalisme marchand et financier à tous les recoins de la
planète a transformé la possibilité de l’effondrement autrefois localisé en
risque global. En inventant la « mondialisation sans contrôle » munie
de son dévorant ressort productiviste les hommes ont donné naissance à la
perspective de la catastrophe totale. Comble de l’ironie : dans l’océan
d’insouciance où nous baignons un îlot de raison surgit enfin : nous
pouvons dès maintenant nous passer des millénaristes et de leurs prédictions
sans fondements intelligibles.
Tous les clignotants de la
« décrépitude environnementale » potentielle sont au rouge. S’il nous
arrive encore de douter du terrible constat, c’est que de doctes experts
consultés par les « officines de surveillance » et/ou appointés par
les firmes capitalistes maintiennent en vigueur – avec l’assentiment en
dernière instance des représentants de la sphère politique – des seuils de
tolérance officiels pourtant déjà dépassés eu égard aux travaux des scientifiques
indépendants ou des limites physiques de la biosphère. Il est quasi certain que
nous ne parviendrons pas à empêcher « l’emballement climatique ».
Trop de rendez-vous mondiaux ont été manqués depuis la parution du rapport
Meade en 1972. L’étouffement progressif des écosystèmes atmosphériques,
aquatiques ou terrestres se poursuit allègrement : les efforts méritoires
de quelques nations vertueuses sont submergés par les effets démultipliés de la
course au Progrès et à la Croissance à l’échelle planétaire. Là où a sévi
l’agriculture hyper intensive, les sols deviennent infertiles après avoir été
tellement gorgés de fertilisants et pesticides chimiques. Et ce
« modèle » continue de « gagner » du terrain. Il est d’ores
et déjà patent que nourrir neuf milliards d’êtres humains en 2050 sera une
gageure si l’on ne restaure pas le capital de terres cultivables.
L’exploitation exponentielle des gisements de matières premières va faire du
21ème siècle le siècle de l’épuisement dangereux de nombre de ces ressources.
A partir du Sommet de la Terre à Rio en 1992, préparé par le rapport Brundtland de 1988, on a
cru sérieusement détenir la parade. Elle se nomme « développement
durable ». Vingt ans plus tard, les gens sérieux en sont revenus ou sont
en train d’en revenir… bredouilles ! Ainsi de Dominique Bourg,
universitaire genevois, l’un des papes du DD, c’est-à-dire du sauvetage par le
Marché et seulement lui. Il croit désormais possible l’effondrement. Cependant,
cette perspective est tellement effrayante que ce philosophe veut encore croire
que le sauvetage est possible. Pour cela, une seule condition : changer
radicalement le système économique. Son revirement est spectaculaire : le
mot « décroissance » ne semble plus le gêner. C’est que probablement,
comme pour un nombre croissant de ses congénère , il a fini par découvrir qu’au
jeu du développement durable c’est quasiment toujours le pilier économique qui
l’emporte sur le pilier environnemental et le pilier social. L’économique se
résumant, à peu de choses près, à la loi du marché capitaliste, il n’était pas
nécessaire d’être grand clerc pour comprendre dès son origine quel sort funeste
était promis au DD. Oui, le Capitalisme a avalé et digéré le nouveau concept.
Les fruits de cette digestion bien comprise s’appellent croissance verte ou
green washing. Chacun constate que tout acteur économique qui compte (!) fait
aujourd’hui du développement durable. Le DD ça paie, à défaut de sauver la
planète ou de faire reculer la misère.
Peut-on aller contre les
faits en les minimisant ou en les niant ? L’effondrement a déjà commencé.
La dégradation de l’environnement est devenue mortelle. Aux Etats-Unis, la
courbe de l’espérance de vie s’est inversée en 2009. Le tour de l’Europe
pourrait venir prochainement. L’Homme n’a pas pu larguer impunément dans son
environnement des millions de tonnes de substances chimiques multiples depuis
soixante ans. L’exposition à cet environnement nocif a fait grimper la
fréquence de nombre de pathologies quand elle n’en fait pas naître de nouvelles.
Si la fréquence des cancers « traditionnels » régresse, celle des
cancers « environnementaux » s’envole. Jamais les pays riches
n’avaient enregistré autant de cas de cancers frappant les enfants que ces
dernières années. Dans de nombreuses régions du monde la fertilité masculine
s’affaisse de façon inquiétante. Une autre facette de l’effondrement est en
marche depuis plusieurs décennies : les atteintes irréversibles à la
biodiversité tant animale que végétale. Ce florilège morbide qui n’est décousu
qu’en apparence ne serait pas complet si l’on omettait d’y adjoindre la mal
bouffe foisonnant dans toute bonne société industrielle qui se respecte. Dans
sa lutte contre son propre effondrement le capitalisme multipliera les affaires
de type Findus. La malbouffe voyage de plus en plus pour brouiller les
pistes ; les contrôleurs publics sont de moins en moins nombreux. Voilà
les ingrédients indigestes au bon sens que concocte le néolibéralisme en ses
laboratoires.
Pourtant, on ne salue pas
la « simplicité volontaire », on se garde bien de lutter contre
« l’obsolescence programmée », on ne favorise pas le basculement de
l’agriculture chimique vers l’agriculture biologique, on ne se presse pas à
préparer « l’après pétrole ». Au contraire, on glorifie la
surconsommation, on bombarde nos enfants d’ondes électromagnétiques, on
convertit les paysanneries du Sud en agricultures intensives et chimiques, on
favorise le gigantisme des équipements commerciaux ou aéroportuaire au grand
profit des maîtres du bétonnage tels Vinci ou Bouygues. Bref, l’effondrement
global commence avec l’effondrement de la pensée critique tournée vers
l’intérêt général.
Yann Fiévet
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire