Disperser la pauvreté ?
Les
quartiers sensibles, en concentrant la pauvreté, concentrent aussi insécurité,
chômage et échec scolaire. Les politiques de la ville ont tenté de
répondre à ces problèmes sociaux en créant un empilement de zones à statut
spécial tel que lescontrats urbains de cohésion sociale (Cucs), les zones
urbaines sensibles (ZUS), les zones de redynamisation urbaine (ZRU) et les
zones franches urbaines (ZFU). A cela s’ajoutent les ZEP ou zones
d’éducation prioritaire, dont j’ai moi-même fait l’expérience en tant que
collégienne. Pourtant, malgré tous ces efforts, la Cour des comptes constate,
dans un rapport de juillet, que ces zones n’ont pas rattrapé leur retard par
rapport au reste du territoire.
L’objectif
des politiques de la ville est souvent d’améliorer les conditions dans les
quartiers sensibles sans pour autant tenter d’en changer la composition
sociale. Au vu de leur échec, ne faudrait-il pas plutôt déconcentrer la
pauvreté ? C’est cette idée qui a été évaluée aux Etats-Unis avec le programme
«Moving to Opportunity» (MTO), qu’on peut traduire par «déménager vers les
opportunités».
Le
MTO permet aux habitants des logements sociaux dans les quartiers les plus
pauvres de déménager vers des quartiers plus aisés. Parmi les habitants des quartiers
qui se sont portés volontaires pour le programme, on a tiré au sort. Les
heureux gagnants ont reçu des bons pour payer leur loyer dans l’immobilier
privé ainsi qu’un conseiller pour les assister dans leur déménagement. En
comparant les gagnants et les perdants de ce tirage, on peut mesurer l’impact
du quartier sur la vie des habitants. Si, quelques années plus tard, les
gagnants s’en sortaientmieux que les perdants, cela montrerait que habiter un
quartier plus aisé peut améliorer le statut social des anciens habitants des
quartiers sensibles.
L’un
des objectifs principaux du MTO était d’améliorer l’emploi de ces populations
défavorisées. Les participants au programme sont presque tous des familles
monoparentales issues des minorités noires ou hispaniques. Avant l’introduction
du MTO, moins d’un tiers des femmes adultes avaient un emploi. Pourtant, les
femmes qui ont déménagé vers des quartiers plus aisés grâce au MTO n’ont pas vu
une amélioration de leur situation sur le plan de l’emploi.
Mais
qu’en est-il des enfants ? Si le MTO n’a pas aidé les mères à trouver un
emploi, peut-être les enfants ont-ils bénéficié de meilleures écoles et ont
donc pu sortir de l’échec scolaire. Hélas, il n’en est rien. Les nouvelles
écoles des enfants qui ont déménagé avaient des résultats à peine meilleurs que
les écoles des quartiers sensibles qu’ils avaient quittés. Les résultats
scolaires des enfants ne se sont pas améliorés. Ainsi, déménager vers des
quartiers moins sensibles n’améliore pas les résultats scolaires des enfants.
A
ce stade, on est tenté de se demander si le MTO a vraiment permis aux familles
de déménager vers des quartiers meilleurs. Il se trouve que ce programme a en
effet permis à ces familles de déménager vers des quartiers avec une pauvreté
bien moindre et surtout avec un niveau d’insécurité moins élevé.
La diminution de l’insécurité a conduit à une amélioration marquée de la
santé mentale des femmes, des petites filles et des adolescentes, avec en
particulier une diminution de la détresse psychologique.
Si
les femmes et leurs filles ont bénéficié de la vie plus paisible des quartiers
où elles ont pu déménager grâce au MTO, les petits garçons et les adolescents
ont été perturbés par le déménagement. Les garçons ont été confrontés à un choc
culturel : leur attitude «ghetto» a attiré l’attention de la police dans leurs
nouveaux quartiers, ce qui les a menés à se sentir exclus et persécutés. Ils
ont alors adopté des comportements déviants (1). De plus, le déménagement
a fait perdre à beaucoup de ces garçons le contact avec des figures paternelles
qui auraient pu les aider à rester à l’abri des activités à risque.
Déménager vers un quartier meilleur a donc un effet négatif sur le comportement
des garçons.
Alors
que l’idée de déconcentrer la pauvreté semble séduisante a priori, les
résultats de l’expérience américaine ne sont pas très prometteurs. La politique
française de la ville visant à améliorer les conditions de vie dans les
quartiers sensibles n’est donc pas nécessairement un mauvais choix. En même temps,
le manque de succès de cette politique doit nous faire réfléchir. En
particulier, il serait utile de créer les conditions d’une évaluation
rigoureuse des différentes politiques mises en place afin qu’on puisse
apprendre de l’expérience passée et développer de meilleures solutions pour le
futur.
(1)
Les données montrent que les garçons sont plus souvent blessés dans des
incidents sans explication, qu’ils fument davantage et qu’ils ont plus d’amis
délinquants. Il n’y a pas, pour autant, d’indication claire d’une délinquance à
proprement parler.
Ioana Marinescu est
professeure d’économie à la Harris School of Public Policy de l’université de
Chicago.
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