Charmante utopie, le revenu de base ?
Pas tant que ça. Il faut
replacer notre proposition dans son temps, c’est-à-dire aujourd’hui, à la fin,
par manque de croissance, du capitalisme industriel et de la société du
travail. Vue sous cet angle, à moins que la politique nous trouve une nouvelle
issue sans toucher au système - ce dont je doute -, l’utopie pourrait bientôt
se révéler nécessité.
Mais s’il y a moins de
travail rémunéré, la création de valeur (monétaire) va diminuer elle aussi, et
enfin de compte, il y aura toujours moins d’argent à partager en trois
(salaires, profits et revenu de base). Toute utopie mise à part, à lui seul, le
revenu de base ne résout pas ce problème. En réalité, nous sommes confrontés à
une révolution bien plus importante, celle de la fin de l’intérêt économique de
la division du travail, cette spécialisation à outrance qui fait que nous ne
produisons pratiquement plus rien de ce que nous consommons et donc que nous
avons besoin d’argent.
Au contraire, la nouvelle
tendance de la technologie va dans le sens d’un retour à l’artisanat, mais à un
artisanat high tech, vers une économie dans laquelle on échangera plus tant des
produits, mais surtout des informations. Le problème que nous avons, c’est que
cette nouvelle tendance ne va pas du tout dans le sens de notre système, fondé
sur la production industrielle de masse et l’accumulation des capitaux. Il est
évident que la politique, sous la pression autant de la plupart des électeurs
que des lobbies, va tout tenter pour empêcher cette évolution. Non aux
habitations produisant leur propre énergie, oui à de nouvelles centrales et
autres usines “vertes”. Non à l’imprimante 3D, oui à la réduction des coûts du
travail industriel, oui à la contraction de la masse salariale dans le monde et
donc de la consommation. Mais sans consommation suffisante, quelle
multinationale sera assez idiote pour investir, à moins de pouvoir chiper à sa
voisine des parts d’un marché en décroissance? Nous arrivons au point où le
poisson se mord la queue. Pour cette raison, victimes d’une incapacité avant
tout subjective (politique, psychologique, culturelle...), nous risquons
aujourd’hui dans le monde entier une décroissance “à la grecque” - parce que
nous croyons que la vertu, en l’occurence l’austérité, est forcément
récompensée, si ce n’est aujourd’hui, alors certainement demain. En ce qui me
concerne, j’ai bien peur que pour cette vertu-là et ce sens du sacrifice, la
récompense est dans l’au-delà...
Dans un contexte politique
favorable à la transition révolutionnaire dont je viens d’esquisser les
premiers signes visibles - là est peut-être l’utopie - le revenu de base
permettrait un passage pacifique, en douceur. Au début assez important (pour la
Suisse d’aujourd’hui, nous parlons de 2’500 francs par mois), le montant du
revenu de base pourrait diminuer progressivement, au rythme de la recomposition
technique et sociale de l’unité entre produire et consommer et donc de la
réduction des besoins d’argent. Ainsi conçu, le revenu de base pourrait donc
accompagner un changement de système bien plus radical, en évitant les
situations de crise, les drames individuels et sociaux ainsi que leur
exploitation par la démagogie et la séduction d’une politique défensive, fondée
sur l’axiome que “c’est toujours de la faute des autres”, autrement dit d’une
politique qui nous conduirait sans autre forme de procès tout droit à la
catastrophe.
Bernard Kundig
Vice-président du réseau suisse pour un revenu de
base (BIEN-CH)
Christophe Schouwey livre ses réflexions sur le
principe de l’allocation universelle.
L’allocation universelle, cette charmante utopie
visant à libérer l’être humain de l’obligation de travailler, suppose une redistribution des revenus à large
échelle qui n’a aucune chance d’être acceptée par le peuple. Mais imaginons un
instant que les tranquilles Suisses soient un jour pris d’audace et acceptent
un tel principe. Après tout, des projets jugés autrefois utopiques, comme les
congés payés ou l’assurance-vieillesse, ont fini par devenir des institutions
centrales de notre société.
Un petit écueil
«inattendu» surgirait peut-être: il se pourrait que ces mêmes Suisses ne
veuillent plus travailler. Si le chômage n’était plus synonyme de honte,
exclusion et pauvreté, qui voudrait encore des emplois les plus ennuyeux,
dangereux, malsains et usants? Le problème du chômage serait donc remplacé par
son inverse. Nous serions angoissés par chaque création d’emploi: «Mauvaise
nouvelle, nous diraient les journalistes, cette année le travail a augmenté de
2%».
Notre société ne sait pas vraiment
si elle considère le travail comme un bien ou un mal. D’un côté, le travail est
le sens même de l’existence. Un être humain vaut par ce qu’il fait et celui qui
ne produit rien passe à côté de sa vie. Si le travail n’existait pas, il
faudrait l’inventer pour que nous ne sombrions pas dans la dépression et
l’alcoolisme. Il vaut mieux accomplir une tâche complètement inutile que de
«rien foutre». Le travail est également le symbole même de l’appartenance à la
collectivité: ne pas participer à l’effort commun, c’est être mauvais citoyen.
D’un autre côté, le
travail est tellement désagréable qu’on doit payer les gens pour qu’ils le
fassent. Même ceux qui affirment qu’il est indispensable de travailler pour ne
pas s’ennuyer trouvent en général comment s’occuper lorsqu’ils arrivent à l’âge
de la retraite. Etre favorable à l’allocation universelle revient à affirmer
que le travail contraint par des nécessités économiques est un mal pour l’être
humain, qu’il faut limiter au maximum, parce qu’il y a mieux à faire que perdre
sa vie à la gagner.
Dans une telle
perspective, les priorités économiques seraient totalement inversées. Il
faudrait cesser de craindre que les ouvriers soient remplacés par des machines,
mais au contraire accueillir une telle évolution comme une bénédiction. Les
publicités inciteraient les gens à réfléchir avant d’acheter, à porter des
vêtements de seconde main, à boire de l’eau du robinet, à se déplacer à pied ou
à vélo. Les appareils électroniques devraient être garantis pour au moins dix ans.
La paperasse inutile serait enfin bannie.
Notre système économique
actuel s’inspire de Pénélope, cette femme de la mythologie grecque qui
détruisait la nuit ce qu’elle avait fabriqué le jour. Si l’allocation
universelle était un jour adoptée, nous serions peut-être obligés de mettre en
place une économie efficace au vrai sens du terme où le moyen – le travail –
serait au service de la fin – l’être
humain.
CHRISTOPHE SCHOUWEY, La Chaux-de-Fonds (NE), blog «le regard du Martien»: schouwey.blogspot.com/
CHRISTOPHE SCHOUWEY, La Chaux-de-Fonds (NE), blog «le regard du Martien»: schouwey.blogspot.com/
Débat à Die , salle polyvalente municipale, ce Samedi 26 janvier à 14 h avec François Plassard, agronome et économiste et Bernard Bruyat du MRIE
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