Les femmes, pivots de la communauté
La coopérative porte le nom d’une jeune cuisinière
engagée dans une brigade militaire, Maria Luisa Ortiz, où elle se battait pour
les droits des femmes.
NICARAGUA : La
coopérative Maria Luisa Ortiz, l’une des associations de femmes les plus
solides du pays, lutte depuis vingt-trois ans contre la violence sexuelle et
familiale. Les femmes, pivots de la communauté
Elles sont quarante,
habillées aux couleurs pourpres des revendications féminines. Ce soir, elles
fêtent leur diplôme en santé sexuelle et reproductive, une formation pour
jeunes lancée par la coopérative Maria Luisa Ortiz, de Mulukukú, une
municipalité très étendue, qui compte quelque trente mille habitants et fait
partie de l’un des départements les plus pauvres du pays, la Región Autónoma
del Atlántico Norte (RAAN). Elles ont entre 12 et 20 ans. A Magali, 15 ans, ce
cours a appris «mille choses et surtout l’estime de moi». Un mot clé, que
presque toutes les jeunes filles reprennent sur les affiches réalisées pour
décorer la salle. «Le cours nous a aussi permis de prendre conscience de
situations difficiles que vivent certaines, ajoute Magali. D’en parler et de
nous entraider.»
Prise de
conscience
A leur niveau, elles reproduisent déjà le fonctionnement du réseau, typique du monde associatif nicaraguayen. Parler de «situations difficiles» est un doux euphémisme dans ce pays où les violences faites aux femmes sont un fléau: la semaine passée, une jeune femme de 16 ans était tuée par son mari de 50 ans avec lequel elle vivait depuis l’âge de 12 ans. Ana avait 16 ans elle aussi lorsque son compagnon de 19 ans l’a assassinée dans la province de Matagalpa. Et le bureau juridique de la coopérative est confronté à un phénomène nouveau, les violences sexuelles sur des fillettes de 3-13 ans. Karine a bientôt 17 ans; contrairement à Magali, ses parents ne l’ont pas encouragée – son père suspecte la coopérative d’être une secte. Avec la même assurance que Magali, elle raconte comment le cours l’a aidée par exemple à gérer ses relations avec son ami et à rassurer ainsi sa mère. Toutes deux ont des projets: elles veulent être médecin et ingénieure.
La coopérative Maria Luisa Ortiz, participe depuis 1989 à la reconstruction du pays (lire ci-dessous). Elle est soutenue notamment par Solidar Suisse, elle-même appuyée par la coopération helvétique, et par le canton de Vaud, via sa Fédération vaudoise de coopération FEDEVACO. Depuis sa fondation, la coopérative est active sur le front de la violence domestique et sexuelle. Durant le premier semestre de 2012, six cents consultations (juridique, médicale ou psychologique) pour les femmes victimes de violence ont ainsi été menées. Près de trois cents femmes ont reçu un soutien psychologique spécialisé et plus d’un millier de personnes ont suivi des formations à la prévention et à la sanction de la violence. Parmi elles, des responsables d’organisations de jeunes mais aussi des fonctionnaires des Ministères de la santé, de l’éducation et de la police.
La place des jeunes est peu à peu devenue une préoccupation centrale pour la coopérative. Le pays compte 31% d’habitants de moins de 15 ans mais les jeunes peinent à s’investir dans la vie économique, sociale, politique. La formation en santé sexuelle est une façon d’y contribuer: il ne s’agit pas seulement d’y acquérir un savoir mais de participer à la prise de conscience de la société. C’est dans leur école que les jeunes diplômées interviennent. Ce rôle de transmission enthousiasme Magali: «J’ai quelque chose à apprendre aux autres, et eux sont très intéressés par le sujet.» Ce fonctionnement démultiplicateur préside d’ailleurs à plusieurs des formations dispensées par la coopérative. Des cours cherchent aussi à favoriser leur prise de responsabilité dans les commissions municipales. Cinquante jeunes dirigeants de Mulukukù ont ainsi suivi une formation sur l’environnement, la prévention de la violence et la communication sociale. Les progrès viendront de la génération actuelle, Grethel Sequeira, pilier de la coopérative, en est convaincue. «Les marches sont mieux suivies à Mulukukù que dans la ville voisine, davantage de filles y jouent au football, elles demandent plus de bourses d’études.»
A leur niveau, elles reproduisent déjà le fonctionnement du réseau, typique du monde associatif nicaraguayen. Parler de «situations difficiles» est un doux euphémisme dans ce pays où les violences faites aux femmes sont un fléau: la semaine passée, une jeune femme de 16 ans était tuée par son mari de 50 ans avec lequel elle vivait depuis l’âge de 12 ans. Ana avait 16 ans elle aussi lorsque son compagnon de 19 ans l’a assassinée dans la province de Matagalpa. Et le bureau juridique de la coopérative est confronté à un phénomène nouveau, les violences sexuelles sur des fillettes de 3-13 ans. Karine a bientôt 17 ans; contrairement à Magali, ses parents ne l’ont pas encouragée – son père suspecte la coopérative d’être une secte. Avec la même assurance que Magali, elle raconte comment le cours l’a aidée par exemple à gérer ses relations avec son ami et à rassurer ainsi sa mère. Toutes deux ont des projets: elles veulent être médecin et ingénieure.
La coopérative Maria Luisa Ortiz, participe depuis 1989 à la reconstruction du pays (lire ci-dessous). Elle est soutenue notamment par Solidar Suisse, elle-même appuyée par la coopération helvétique, et par le canton de Vaud, via sa Fédération vaudoise de coopération FEDEVACO. Depuis sa fondation, la coopérative est active sur le front de la violence domestique et sexuelle. Durant le premier semestre de 2012, six cents consultations (juridique, médicale ou psychologique) pour les femmes victimes de violence ont ainsi été menées. Près de trois cents femmes ont reçu un soutien psychologique spécialisé et plus d’un millier de personnes ont suivi des formations à la prévention et à la sanction de la violence. Parmi elles, des responsables d’organisations de jeunes mais aussi des fonctionnaires des Ministères de la santé, de l’éducation et de la police.
La place des jeunes est peu à peu devenue une préoccupation centrale pour la coopérative. Le pays compte 31% d’habitants de moins de 15 ans mais les jeunes peinent à s’investir dans la vie économique, sociale, politique. La formation en santé sexuelle est une façon d’y contribuer: il ne s’agit pas seulement d’y acquérir un savoir mais de participer à la prise de conscience de la société. C’est dans leur école que les jeunes diplômées interviennent. Ce rôle de transmission enthousiasme Magali: «J’ai quelque chose à apprendre aux autres, et eux sont très intéressés par le sujet.» Ce fonctionnement démultiplicateur préside d’ailleurs à plusieurs des formations dispensées par la coopérative. Des cours cherchent aussi à favoriser leur prise de responsabilité dans les commissions municipales. Cinquante jeunes dirigeants de Mulukukù ont ainsi suivi une formation sur l’environnement, la prévention de la violence et la communication sociale. Les progrès viendront de la génération actuelle, Grethel Sequeira, pilier de la coopérative, en est convaincue. «Les marches sont mieux suivies à Mulukukù que dans la ville voisine, davantage de filles y jouent au football, elles demandent plus de bourses d’études.»
Perspectives
économiques
Dans le cadre d’une évaluation concernant quatre organisations actives dans le développement de la région – dont une caisse de crédit rurale et la coopérative –, les jeunes interrogés déplorent néanmoins toujours le peu d’initiatives prévues pour favoriser leur accès à des crédits. De son côté, l’un des grands défis de la coopérative est de développer de nouvelles perspectives économiques, analyse Nelly Miranda Miranda, sociologue, l’une des auteures de l’évaluation. «Et ce alors que le développement économique n’a jamais ‘pris’ à Mulukukù.» Les femmes travaillent aujourd’hui à mettre sur pied un abattoir municipal – pour améliorer la filière de production carnée, principale ressource économique de la région – et viennent de se lancer dans la production de cacao organique. Offensives depuis vingt-trois ans, elles n’ont pas dit leur dernier mot. I
Dans le cadre d’une évaluation concernant quatre organisations actives dans le développement de la région – dont une caisse de crédit rurale et la coopérative –, les jeunes interrogés déplorent néanmoins toujours le peu d’initiatives prévues pour favoriser leur accès à des crédits. De son côté, l’un des grands défis de la coopérative est de développer de nouvelles perspectives économiques, analyse Nelly Miranda Miranda, sociologue, l’une des auteures de l’évaluation. «Et ce alors que le développement économique n’a jamais ‘pris’ à Mulukukù.» Les femmes travaillent aujourd’hui à mettre sur pied un abattoir municipal – pour améliorer la filière de production carnée, principale ressource économique de la région – et viennent de se lancer dans la production de cacao organique. Offensives depuis vingt-trois ans, elles n’ont pas dit leur dernier mot. I
Dominique Hartmann
«survivre, ne pas être
battue, ne suffit pas»
La coopérative Maria Luisa
Ortiz, en vingt-trois ans d’existence, n’a cessé de composer avec les forces
naturelles: catastrophes climatiques, changements politiques, présence et absence
de l’Etat. Ville de caserne, accueillant dès 1985 les déplacés de guerre,
Mulukukù est aussi située sur un axe routier qui dessert la côte atlantique, et
la prostitution y est importante, souvent seul moyen de survie. En 1988, les
inondations provoquées par l’ouragan Juana détruisent une bonne partie du
village, qu’il faut reconstruire. La coopérative en 1989 naît de cette
nécessité. Une quarantaine de femmes choisissent de fabriquer leur maison
elles-mêmes, patrimoine traditionnellement masculin. Elles apprennent à faire
des briques et des toits, créent une menuiserie et une briqueterie au service
du village. Dès 1991, la coopérative se concentre sur la formation des
menuisières, l’alphabétisation, les cours de formation en administration. Puis
vient la clinique, la seule de la région, ouverte à tous. Là où il n’y a pas
encore d’Etat, elles en assument les tâches. Depuis 1998, la coopérative
dispose d’un bureau juridique qui assiste les femmes dans leurs demandes en
justice, couvrant par exemple les frais de transport des plus pauvres. Sous
Violeta Chamorro (1990-1996) et Arnoldo Aleman (1997-2002), qui se méfient
d’elles, leurs réalisations sont mises en danger. La clinique est fermée en
2000, puis reconnue par le Ministère de la santé en 2003. En 2004, Mulukukù
devient une municipalité et le nouveau gouvernement veut assumer ses tâches: la
salle d’accouchement est fermée. Reste la maison de naissance ainsi qu’un
cabinet de généraliste. Habituée aux volte-face, la coopérative se recentre sur
l’accompagnement juridique, financier et émotionnel: car «survivre, ne pas être
battue, ne suffit pas, note Grethel Sequeira, cheville ouvrière de la
coopérative. La santé passe aussi par la guérison profonde.» Le soutien
psychologique aide les femmes qui craignent de porter plainte, les thérapies
naturelles comme le reikki renforcent celles qui repartent vers leur vie
difficile. dhn
La radio à pleins gaz
Parmi ses innombrables
projets, la coopérative a soutenu la formation des vingt reporters qui animent
la Radio 100,5. Avec un triple bénéfice: les jeunes développent une activité
lucrative, ils s’engagent dans la communauté en thématisant – notamment – sur
les ondes la violence faite aux femmes, et leur âge permet de rajeunir
l’audience. Pour Miguel, l’impact de la radio est déterminant: «Ce qui me
plaît, c’est d’avoir quelque chose à transmettre.» Pedro, père de deux enfants,
se réjouit surtout du développement de l’initiative, même s’il reconnaît en
vivre difficilement et y consacrer beaucoup de temps. Les jeunes invitent
régulièrement des fonctionnaires ou des dirigeants politiques et religieux, à
prendre position sur la violence. Cent vingt émissions de radio ont été
diffusées sur ce thème durant le seul premier semestre de l’année.
La radio a aussi une
fonction de porte-voix puisque la population s’y exprime lors de cas touchant
la région. «Aujourd’hui, on parle ouvertement du problème de la violence,
souligne Grethel Sequeira, l’une des fondatrices de la coopérative, qui ne
connaît que trop bien les tabous qui affectent la question dans cette région
rurale. La radio a provoqué un changement capital.» Des idées de développement
économiques, les jeunes n’en manquent pas. Pour financer leur radio, ils sont
devenus commerçants: ils louent leur équipement de sonorisation lors de
manifestations. Et ils ont pris en charge la vente du gaz dans le village. dhn
Maria Luisa Ortiz, une force de proposition
Cette chaude journée de
décembre a été intense, à la coopérative Maria Luisa Ortiz. Tandis que des
enseignants y suivent une formation au HIV, des représentants de la police, des
instances juridiques et politiques ainsi qu’un médecin légiste débattent d’une
question cruciale pour la municipalité et la coopérative, qui assiste des
victimes de violence: est-il possible de déposer plainte sans passer par un
procureur? Car la municipalité n’en a pas. Les débats vont bon train, tout le
monde joue le jeu. La juge Doña Flor de Mario Torres finit par s’en porter
garante: il sera possible aux plaignantes d’accéder directement à la justice.
Rendez-vous est pris pour concrétiser cette ouverture. Un mouvement est engagé.
Et preuve de la réputation dont bénéficie la coopérative, personne n’a décliné
l’invitation.
Pour la coopérative, il
s’agissait aussi de réunir – pour la première fois – les différentes instances
et de susciter une réflexion concrète autour de la loi générale contre la
violence faite aux femmes, entrée en vigueur en mai dernier. Cette loi
ambitieuse qui sanctionne notamment la violence patrimoniale et que saluent les
féministes sera pourtant difficile à mettre en œuvre, faute de moyens. Même
dans la capitale, les procureurs manquent par exemple. Et les ressources
accordées à la médecine légale, cruciale dans le cas des actes sans témoin que
sont les violences conjugales, sont largement déficientes. Au Nicaragua, la
discipline est jeune, rappelle le médecin légiste Richard José Larios
Navarette. L’Institut de médecine légale a été fondé en 1999 seulement. «Nos
moyens progressent, nous avons désormais des ordinateurs», plaisante-t-il.
«Mais nous avons toujours de sérieux problèmes avec les autorités locales», qui
se méfient d’eux. «Une catastrophe dans un pays aussi violent que le nôtre.» ats
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