Rose et vert, parfums d’une nouvelle gauche pour demain. A deux ans de la présidentielle, les tractations de cette semaine entre socialistes, écologistes et communistes ont modifié les rapports de forces.
L’anecdote est révélatrice d’un changement d’époque. On peut y voir le faire-part de décès du vieux couple socialo-communiste, et la naissance d’un pacs inédit entre le PS et Europe Ecologie : «Lundi soir, au Novotel des Halles, quand on est sortis de la négociation avec le PS, il y avait la délégation communiste qui attendait devant la porte. Ils tiraient la gueule sur le mode "vous nous avez grillés" !» raconte un fidèle de Cohn-Bendit. Chargé des relations du PS avec la gauche, Claude Bartolone enfonce le clou : «Il y a un bouleversement. Nous avions un partenaire historique, les communistes. Nous en avons un nouveau, les écologistes.»
Laurent Fabius verra une confirmation de l’avènement de cette «gauche sociale et écologique» qu’il a théorisée il y a quelques années. D’autres constateront la fin du cycle d’Epinay, qui permit au PS de François Mitterrand de siphonner, en trente ans, le PCF de Georges Marchais, au nom de l’«union de la gauche». Et dont la «gauche plurielle», et dysfonctionnelle, des années Jospin restera peut-être comme l’ultime avatar. Encore faut-il que le partenariat rose et vert fonctionne. Que les socialistes résistent à leur penchant hégémonique, et que les écologistes ne se prennent pas pour plus gros qu’ils ne sont.
«Socle». Entre un PS en dynamique (29,5% des voix au premier tour des régionales) et les écologistes qui s’installent en «troisième force» nationale (12,5%), les vingt-quatre heures de négociations pour fusionner les listes ont fait office de test. Au-delà du second tour, ce dimanche, il s’agissait de jeter les bases d’un «socle majoritaire» dont les roses et les verts seraient les deux principaux piliers. «La gauche se dote d’une nouvelle colonne vertébrale, diagnostique Jean-Christophe Cambadélis, le «mécanicien» de l’ex-gauche plurielle. On passe de l’axe PS-PCF, ouvert aux Verts, à l’axe PS-écologistes, ouvert au PCF.» Hormis en Bretagne, l’étape a été franchie. La proportionnelle stricte a permis une juste répartition des places. Et les socialistes ont intégré des éléments du programme vert : passe Navigo à tarif unique en Ile-de-France. Deux euros investis par la région Paca dans les énergies renouvelables pour chaque euro investi dans le réacteur de recherche Iter, etc. «Les négociations se sont mieux passées que prévu. Au niveau national, Bartolone et François Lamy [bras droit de Martine Aubry, ndlr] ont tenté de civiliser les barons locaux. La plupart ont été fair-play», reconnaît Daniel Cohn-Bendit.
Côté PS, on ménage son ex, ces communistes qui, regroupés avec le Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon dans le Front de gauche, ont réussi à marginaliser le NPA d’Olivier Besancenot. Jeudi, dans un bistrot parisien pour la photo de la famille «gauche solidaire», selon l’expression de la première secrétaire du PS, Martine Aubry a pris soin de convier Cécile Duflot, la benjamine des Verts et Marie-George Buffet, la patronne du PCF. «Le Front de gauche et le PCF ont rempli leur rôle par rapport à l’extrême gauche, ils ont gagné la bataille. Cette frange existe, il faut être capable de l’agréger dans un pacte gouvernemental», rappelle Manuel Valls.
Euphorie. Par ailleurs, l’alliance privilégiée avec Europe Ecologie permet aussi aux socialistes de sortir du tête-à-tête épineux avec le Modem, la nébuleuse écologiste possédant une force d’attractivité sur l’électorat centriste. Selon une étude OpinionWay auprès d’électeurs d’Europe Ecologie, 3% d’entre eux se situent «très à gauche», 56% «à gauche», 14% «au centre», 15% «ni à droite ni à gauche» et 7% «à droite». D’où une certaine euphorie rue de Solférino sur le potentiel électoral de ce partenariat.
Tout le monde à de quoi se réjouir, si l’on en croit Claude Bartolone : «Au global, le score des uns ne se fait pas au détriment des autres. On a tous progressé. Ce n’est pas un jeu à somme nulle. C’est le bouleversement de ces élections régionales : la gauche peut être majoritaire, dès 2012.» Même satisfaction chez son compère Jean-Christophe Cambadélis : «Le PS était entravé depuis des années parce qu’il n’avait pas de partenaire, maintenant il en a un.»
Pourtant, rien n’est joué. D’abord entre le PS et les écologistes, «il reste 1 500 questions. La primaire pour 2012 sera-t-elle ouverte à tous ? Faudra-t-il un candidat unique de la gauche ? Un système de réservation des circonscriptions ?» s’interroge Pierre Moscovici. La prochaine échéance reste celle des primaires à la présidentielle et de l’élaboration d’un projet. Daniel Cohn-Bendit expose ses craintes : «On va voir si le PS va arrêter sa procédure puis nous dire : "C’est à prendre ou à laisser." Ou s’ils le présenteront comme une base de débat.» Lui penche pour un système à «double bulletin» : «Un pour désigner l’orientation rose, rouge ou verte du projet, un autre pour choisir celui ou celle la plus apte à battre Nicolas Sarkozy.»
Cela nécessiterait «une révolution culturelle et politique», ajoute-t-il.
Ensuite, Europe Ecologie est confrontée à une échéance tout aussi décisive : celle de la structuration de sa nébuleuse, dont la perpétuelle extension menace à terme son noyau vert. La principale formation d’Europe Ecologie hésite entre ouverture à gauche, avec participation aux primaires présidentielles, et repli sur soi, avec une candidature Duflot en 2012. Pour créer un organe de décision et fédérer les europe-écologistes - de l’alter José Bové aux centristes de Corinne Lepage, de l’ex-PCF Stéphane Gatignon aux proches de Nicolas Hulot -, Cohn-Bendit lancera, lundi dans Libération, un nouvel «appel du 22 mars». Le dernier, promet-il, de son aventure politique en France.
Matthieu Écoiffier et David Revault D’Allonnes
http://www.liberation.fr/politiques
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