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jeudi 11 mars 2010

La journée de la Femme c'est tous les jours


Ce texte est long et nous vous conseillons de l’imprimer, mais il est très important pour nous et ne pouvons l’omettre.
Violences contre les femmes Survivre à la violence sexuelle : Une perspective philosophique 1
En tant que texte philosophique, ce que je présente ici est peu orthodoxe dans son style et son contenu.
Mon but principal n'est pas de défendre une thèse à force d'arguments, mais plutôt de donner au lecteur accès par l'imagination à ce qui est, pour certaines, une expérience inimaginable, celle d'une survivante du viol.
Le fait qu'il y ait si peu de textes philosophiques consacrés à la violence contre les femmes résulte non seulement d’un manque de compréhension de sa fréquence et de la gravité de ses conséquences, mais aussi de l'idée fausse selon laquelle celle-ci ne constitue un sujet proprement philosophique.
J'espère éclaircir dans cet essai la nature et la gravité du préjudice causé par la violence sexuelle et montrer même temps pourquoi les philosophes devraient commencer à prendre plus au sérieux ce problème.

Le 4 juillet 1990, à dix heures et demie du matin, je suis sortie me promener sur une route de campagne apparemment paisible, dans un village près de Grenoble. Il faisait un temps magnifique et je n'enviais pas mon mari, Tom, qui devait rester à la maison pour travailler sur un manuscrit, un collègue français. Je chantais; je me suis arrêtée pour caresser une couleuvre et pour cueillir quelques fraises des bois au bord de la route.
Une heure et demis plus tard, j'étais étendue sur le ventre dans le lit boueux d'une petite rivière au fond d'un ravin très sombre, me débattant pour ne pas mourir.
J'avais été aggripée par derrière, tirée dans un sous-bois, battue, et agressée sexuellement.
Me sentant absolument impuissante et à la merci de mon agresseur, je lui ai adressé la parole, l'appelant "Monsieur".
J'ai fait appel à son humanité et comme cela n'y faisait rien, j'en ai appelé à son intérêt personnel.
Il m'a traitée de putain et m'a dit de la fermer.
Je lui avais dit que je ferais tout ce qu'il voulait, mais à mesure que l'agression se poursuivait, je résistais instinctivement, ce qui l'enrageait à tel point qu'il m'a étranglée jusqu'à ce que je perde connaissance.
Quand je suis revenue à moi, il m'a tirée dans le ravin en me traînant par les pieds.
Souvent, lorsque je rêvais, je croyais être éveillée; à ce moment -là j'étais éveillée et convaincue que c'était un cauchemar.
Mais ce n'était pas du tout un rêve.
Après m'avoir ordonné, d'une voix brusque à la Gestapo, de me mettre à quatre pattes, il m'a de nouveau étranglée.
Si seulement je pouvais communiquer l'horreur que je ressentais de perdre connaissance, alors que mes instincts vitaux luttaient désespérément contre les effets de la strangulation.
Cette fois, j'étais sûre que je mourais.
Mais j'ai repris connaissance, pour aussitôt le voir s'avançant brusquement vers moi avec une pierre, grosse comme un melon.
Il me l'a jetée violemment et a atteint mon front, ce qui m'a fait perdre connaissance une nouvelle fois et puis, après une dernière tentative de strangulation, il m'a laissée pour morte.
Quand il fut parti, j'ai réussi à me hisser hors du ravin, et peu après, j'ai été secourue par un agriculteur qui a appelé les gendarmes, le médecin et l'ambulance.
On m'a conduite aux urgences de l'hôpital de Grenoble où j'ai subi des tests neurologiques, des radios, des analyses de sang et un examen gynécologique. Des feuilles et des brindilles ont été recueillies dans mes cheveux comme pièces à conviction ; on a fait des prélèvements sous mes ongles et à l'intérieur de ma bouche. J'avais des blessures multiples à la tête, les yeux si enflés que je ne pouvais plus les ouvrir, et enfin une fracture de la trachée qui m'empêchait de respirer. Les médecins m'ont défendu de boire ou de manger pendant trente heures, tout en permettant à Tom, qui ne m'a jamais quittée, de tamponner mes lèvres, encore couvertes de sang séché, avec une serviette mouillée.
Le lendemain, j'ai été transférée du service de réanimation à ma propre chambre.
Mais je ne pouvais rester seule même pour quelques minutes.
L'idée que mon agresseur me trouverait et finirait ce qu'il avait commencé me terrifiait.
Lorsque, plus tard, quelqu'un m'a apporté le journal régional qui avait fait un compte-rendu de l'agression, j'ai éprouvé un immense soulagement en constatant que l'auteur m'appelait « Mlle M.R. » et ne disait pas que j'étais américaine.
Même au moment où, onze jours après, j’ai quitté l'hôpital, je me préoccupais tellement de la possibilité que mon agresseur me retrouve que j'ai donné l'adresse de mon avocat plutôt que la mienne sur tous les documents.
Même si le souci de ma propre sécurité aurait pu expliquer d'abord pourquoi je voulais rester anonyme, le fait est que mon agresseur avait déjà retrouvé, inculpé de viol et de tentative de meurtre, et incarcéré sans possibilité de mise en liberté conditionnelle.
Cependant, je ne voulais pas qu’on sache que j'avais été sexuellement agressée. Je ne sais si c'était parce que je pouvais à peine le croire moi-même, ou parce que la confidentialité était l’un des seuls moyens de garder un sentiment de contrôle sur ma vie, ou parce que, tout en pensant que je n'avais pas fait de mal, j'avais honte.
Quand j'ai commencé à parler de l'agression, je disais simplement que j'avais été victime d'une tentative de meurtre.
Les gens me demandaient alors, en général horrifiés, quelle en avait été la motivation ou si j'avais été volée. Quand je répondais en disant que cela avait commencé par une agression sexuelle, la plupart d'entre eux trouvaient que ma réponse suffisait à expliquer pourquoi un inconnu avait voulu me tuer.
J'aurais pensé qu’une tentative de meurtre plus une agression sexuelle exigerait une explication plus ample qu'une tentative de meurtre toute seule. (Après tout, il y a deux actes criminels à expliquer).
Une raison pour laquelle on ne fait guère attention à la violence sexuelle est sa fréquence même. Le FBI, qui sous-estime notoirement la fréquence des crimes sexuels, estime qu'aux États-Unis, un viol a lieu en moyenne toutes les six minutes.2 Mais ce chiffre correspond seulement aux viols signalés, et certains chercheurs pensent que seulement 10 % de tous les viols commis sont signalés.3
Toutes les quinze secondes, une femme est battue. 4
La banalité même de la violence sexuelle, attestée par ces statistiques stupéfiantes, porte à croire que la violence des hommes contre les femmes est naturelle, donnée, n'appelle pas d'explication et ne se prête pas au changement. Et pourtant, grâce à une gymnastique mentale extraordinaire, tandis que la plupart des gens envisagent ainsi la violence sexuelle, ils réussissent en même temps à nier qu'elle existe ou plutôt qu'elle pourrait leur arriver.

Nous continuons à penser que nous – et les femmes que nous aimons – en sommes protégées, pourvue que nous ne fassions pas de « bêtises ».
Combien d’entre nous se sont laissé séduire par le mensonge ( potentiellement fatal) qui veut que si on ne fait pas de fautes, si on fait attention, on sera en sécurité ?
Combien d’entre nous ont cru son corollaire (nuisible et, pour la victime, culpabilisant), à savoir : « Si vous êtes agressée, c’est vous qui êtes en faute » ?
Ce sont des mensonges et en racontant mon histoire, j’espère les exposer en tant que tels.
J’espère aussi rapprocher celles d’entre nous qui ont été agressée et celles qui ne l’ont pas été.
Mais on pourrait parfaitement me demander quel rapport ce problème peut avoir avec la philosophie. À en juger par la manque presque total de textes philosophiques sur la violence sexuelle, on pourrait conclure en effet qu’il n’ay a rien là qui puisse intéresser les philosophes.
Certes, lorsque, pour expliquer ce qui m’était arrivé, et pour reconstituer mon univers, j’ai cherché un appui philosophique, je n’ai rien trouvé. 5
Et pourtant, la violence sexuelle et ses conséquences soulèvent de nombreuses questions philosophiques dans différents domaines de notre discipline.
La désintégration du moi subie par les victimes de la violence met en question nos conceptions de l’identité personnelle à travers le temps, préoccupation majeure de la métaphysique.
Le scepticisme – apparemment justifié – d’une victime concernant pratiquement tout ce qui l’environne ne manque pas de pertinence pour l’épistémologie, surtout si le but de cette science est, comme le dit Wilfrid Sellars, de se sentir chez soi dans le monde.
Dans l’esthétique, la discussion de la violence sexuelle comme art ou dans l’art pourrait profiter de la perspective offerte par les victimes.
Les problèmes, peut être les plus importants posés par la violence sexuelle, se trouvent dans le domaine de la philosophie sociale et politique, et dans le domaine de la philosophie du droit ; une bonne compréhension de ces problèmes exige aussi que l’on comprenne l’expérience des victimes de cette sorte de violence.
L’un des très rares articles écrits par un philosophe sur la violence contre les femmes est celui de Ross Harrison intitulé : Rape – A case study in political philosphy (Le viol ; étude de philosophie politique).6 Dans cet article, Harrison prétend que non seulement les utilitaristes doivent décrire la nuisibilité du viol pour décider si le préjudice subi par la victime l’emporte sur l'intérêt du violeur, mais que, même dans une approche de la justice criminelle fondée sur les droits individuels, ils doivent pouvoir évaluer les intérêts et préjudices impliqués dans la criminalisation et la pénalisation d'actes violents comme le viol.
Selon lui - et il s'oppose à Ronald Dworkin -, il n'est pas toujours vrai que les droits l'emportent sur les considérations utilitaires, si bien que, même dans l'approche à laquelle je viens de faire allusion, nous devons expliquer pourquoi, dans le cas du viol, le plaisir de l'auteur (ou des auteurs, s'il s'agit d'un viol collectif) le cède toujours au préjudice subi par la victime.
Harrison fait observer la difficulté qu’il y a pour la plupart des gens à imaginer le plaisir que trouve un violeur dans une agression, mais, dit-il avec confiance, "il n'y a aucune difficulté à imaginer l'expérience de la victime... ».7 À son crédit, il reconnaît qu'il est important pour la philosophie politique, de tenter d'imaginer l'expérience d'autrui. Sinon, nous ne pourrions comparer les préjudices et intérêts, ce qu'il faut faire, selon lui, même lorsque les droits sont en conflit, pour décider lequel d’entre eux doit avoir la priorité.
Pourtant, imaginer l'expérience d'une victime de viol n'est pas une simple affaire, puisqu'une bonne partie de cette expérience est proprement inimaginable. Mais il faut tout de même essayer de communiquer.
Quand j'ai tenté de raconter l'histoire de la victime - mon histoire, notre histoire - j'ai été inspirée et instruite non seulement par des philosophes féministes qui ont refusé d'accepter la distinction entre le personnel et le politique, mais aussi par les praticien-nes de la théorie critique des races, telles que Patricia Williams, Mari Matsuda, et Charles Lawrence qui ont intégré des récits à la première personne dans leurs discussions des textes de lois.
En étudiant le harcèlement verbal, ils ont soutenu de manière convaincante que l'on ne peut correctement traiter des questions posées dans le les limites de la liberté de parole qu'en écoutant l'histoire des victimes. 8
En décrivant les effets du harcèlement racial sur les victimes, ils ont rejeté la convention théorique qui consiste à adopter une voix impersonnelle et "universelle" et ont raconté des expériences qu'ils/elles ont eux-mêmes/ ellesmêmes subies.
Dans son livre innovateur, The alchemy of Race and Rights, P. Williams raconte ce qu'elle a ressenti en apprenant que son arrière arrière-grand-mère avait été achetée à l'âge de onze ans par un propriétaire d'esclaves qui l'a violée et engrossée l'année suivante.9 Et en décrivant des exemples du racisme de tous les jours qu'elle a, elle-même, vécus, P. Williams nous donne accès par l'imagination à l'expérience d'une victime de discrimination raciale.
Certains trouveront peut-être narcissiques de tels récits à la première personne dans un contexte théorique, mais je les considère comme un antidote bienvenu contre l'arrogance de ceux qui parIent d'une voix magistrale, qui se prétend "universelle" et qui imposent silence à celles et à ceux qui ont le plus besoin de se faire entendre.
Les philosophes ont beaucoup de retard sur les théoriciens du droit dans la reconnaissance de la nécessité d'une diversité de voix.
On nous apprend à nous servir d'une voix abstraite, universelle, et à éviter les récits à la première personne comme étant partiaux et inappropriés au discours théorique. Certains sujets, pourtant, comme, par exemple, l'impact de la violence raciale et sexuelle sur les victimes ne se laissent même pas aborder à moins que les victimes puissent raconter elles-mêmes leurs propres histoires.
Montrant à son insu la nécessité d'une perspective de la victime, Harrison écrit dans le même article, que "ce qui distingue principalement le viol d'une activité sexuelle normale est le consentement de la violée". 10
Mais entre ce genre de crime et d'autres, comme le vol ou le meurtre, il n'y a, à cet égard, aucun parallèle. À preuve cette proposition analogue : "Ce qui distingue principalement le vol du don est le consentement de la personne volée". Nous ne pensons pas au vol comme à un "don moins le consentement". Nous ne pensons pas au meurtre comme à un "suicide assisté moins le consentement » ? Dans ce dernier cas, la raison en est peut-être que le suicide assisté est relativement rare (même comparé au meurtre), et il est donc étrange de le citer comme la chose familière avec laquelle s'établit l'analogie. Mais dans le premier cas, le don est censé être plus répandu que le vol (au moins dans les milieux universitaires), et pourtant, il semble encore bizarre d'expliquer le vol comme un don moins le consentement. Pour ce qui est du vol et du meurtre, la notion d'une violation semble faire partie intégrante de nos conceptions concernant l'acte en question.
Mais pourquoi alors est-il si facile pour un philosophe comme Harrison de considérer le viol comme "une activité sexuelle normale moins le consentement" ? Peut-être parce que nature de la violence dans le cas du viol n'est pas très évidente. Témoin le phénomène des blagues sur le viol, la glorification généralisée du viol dans la pornographie, l'idée très répandue selon laquelle les femmes qui disent "non" veulent dire "oui" ou que les femmes réclament le viol.11
Puisque j'ai été agressée par un inconnu, dans un lieu "sûr", et que j’étais si visiblement blessée quand j'ai rencontré les gendarmes et le personnel médical, on m'a épargné, au cours de mon hospitalisation et dans mes interviews avec les gendarmes, l'insulte essuyée par de si nombreuses femmes violées, qui consiste à ne pas croire la victime ou à croire qu'elle provoqué l'agression.
Pourtant, j'ai compris à mesure que je donnais ma déposition de mon lit d'hôpital que cela pourrait encore poser un problème pendant le procès de mon agresseur. Au cours de ma déposition, j'ai raconté comment j'avais été sur le point d'abandonner ma lutte pour la vie quand j'ai été frappée subitement et de manière aiguë par l'image de Tom découvrant mon corps, mort, dans ce ravin. Alors, je me suis arrêtée, j'ai jeté coup d'œil vers le gendarme qui dactylographiait et je lui ai demandé était convenable d'inclure cette image de mon mari dans mon récit des faits. Il a répondu en disant que oui et qu'il était bien que je mentionne mon mari, puisque l'agresseur qui était passé aux aveux prétendait que je l'avais provoqué. Malgré le sérieux de la situation, et le mal que je ne pouvais éviter de me faire en riant, je n'ai pu m'empêcher de rire à une idée aussi ridicule. C'était donc le jeans que je portais ce matin-là avec des poches aux genoux ? Ou bien le lourd sweat-shirt ? Mes chaussures de jogging si séduisantes ? Ou est-ce que sa colère meurtrière n'avait pas été provoquée simplement par le fait que je me promenais sans déranger personne ?
Après ma déposition, qui a pris huit heures, le gendarme m'a demandé de relire et de signer la transcription qu'il avait dactylographiée pour la certifier conforme.
J’ai été étonnée de voir que le texte commençait par les mots "Comme je suis sportive...", ajoutés par lui pour expliquer à la Cour ce qui m'avait prise de sortir me promener toute seule ce matin-là. J'étais trop épuisée pour protester, pour lui dire que je n'étais pas sportive mais plutôt philosophe ; et puis je me suis dit que de toute façon, il devait savoir ce qu'il faisait, alors j'ai laissé tomber. Mais j'ai pris un avocat que j'ai rencontré avec le juge d'instruction lorsque j'ai donné une deuxième déposition vers la fin de mon hospitalisation. Bien que le crime en question soit officiellement un crime contre la société, et non contre moi, on m'a conseillé d'intenter un procès civil pour récupérer mes frais médicaux non remboursés ; et de toute façon, j'avais besoin d'un avocat qui m'explique le système judiciaire français.
On m'a dit que, puisque c'était un cas "facile", le procès aurait lieu avant un an.
En fait, le procès a eu lieu deux ans et demi après l'agression, grâce aux tactiques employées par la défense pour le retarder et pour faire disculper son client en plaidant la démence. Selon l'article 64 du Code pénal français, si l'inculpé est en état de démence au moment des faits, alors, légalement, il n'y a "ni crime ni délit". Les jurés, cependant, n'ont pas accepté l'application de cet article dans ce cas et ont déclaré mon agresseur coupable de viol et de tentative de meurtre, lui prescrivant une peine de dix ans de réclusion.
Or il se trouve que mon expérience du système judiciaire était meilleure que celle de la plupart des victimes d'agression sexuelle. Mais j'ai rencontré, de temps en temps, cette insensibilité humiliante subie systématiquement par les victimes.
Avant qu'on me laisse sortir de l'hôpital, par exemple, j'ai dû subir un deuxième examen de médecine légale dans un autre hôpital.
Assise dans un fauteuil roulant, j'ai été mise dans une ambulance, conduite à cet autre hôpital, accompagnée jusque dans un bureau où il n'y avait personne à la réception et où j'ai été accueillie par deux hommes médecins que je n'avais jamais vus.
Quand ils m'ont dit de me déshabiller et de mettre au milieu de la salle, j'ai refusé.
J'ai dû demander une robe.
Pendant environ une heure, ces deux hommes m'ont examinée comme si j'étais un morceau de viande, évoquant à haute voix les dimensions de mes contusions et d'autres évaluations de mes blessures, comme s'ils procédaient à une autopsie.
C'était seulement le premier de nombre d'incidents qui m'ont tous donné l'impression que je menais une existence posthume.
Lorsque l'inconcevable se produit, on commence à douter même des perceptions les plus banales et les plus réalistes.
Peut-être ne suis-je pas vraiment là, me disais-je, peut-être suis-je vraiment morte dans ce ravin. La frontière entre la vie et la mort, jadis si claire et réconfortante, me paraissait maintenant floue et aisément effaçable.
Pendant les premiers mois, j'ai mené une existence spectrale, n'étant jamais sûre si j'étais morte - et si le monde continuait sans moi - ou j’étais vivante, mais dans un univers totalement étranger.
Tom et moi sommes retournés aux États-Unis, et j'ai continué à guérir.
En fait, je survivais.
Je restais assise dans notre appartement et regardais pendant des heures par la fenêtre, malgré les troubles de la vision causés par l'agression, me sentant comme la mère nouvellement veuve de Robert Lowell, décrite dans un de ses poèmes, qui rêvait devant une fenêtre "comme si elle était restée, dans un train, a un arrêt , au-delà de sa destination ».12
Mon sentiment d'irréalité était nourri par la dénégation massive de entourage, réaction qui, comme je l'ai appris plus tard constitue une réponse presque universelle au viol.
Là où les faits sont incontestables, cette dénégation prend la formme de tentatives pour expliquer l'agression de façon à épargner l'univers dans lequel vit l'observateur.
Même ceux qui sont capables de reconnaître l'existence de la violence tentent de se protéger de la reconnaissance de cette réalité : ce monde dans lequel celle-ci s'est produite est bien le leur.
Ainsi, leur est-il difficile de s'identifier à la victime.
Ils ne peuvent se permettre d'imaginer la vie bouleversée de la victime, sinon leurs illusions quant à leur propre sécurité et le contrôle qu'ils ont sur leur vie pourraient commencer à s'écrouler.
Les individus qui ont le plus de bonne volonté, emportés par le mythe de leur propre immunité, peuvent renforcer sans le vouloir, la souffrance de la victime en suggérant que l'agression était évitable ou que la faute lui incombait en quelque sorte.
Une assistante sociale à qui j'ai téléphoné pour obtenir des conseils juridiques a insisté fait qu'elle-même n'avait jamais été victime et m'a dit que je profiterais de mon expérience en apprenant à ne pas me fier aux gens et à prendre certaines précautions, comme de ne pas sortir seule la nuit, par exemple. Je n’ai pas eu l'occasion pendant son sermon de lui faire remarquer que j'avais été agressée subitement, par derrière, en plein jour.
On ne nous apprend pas à nous identifier aux victimes. Dans les romans et films policiers, c'est le criminel, ou celui qui résout le mystère, qui attire notre attention ; quant à la victime, qui sert de simple prétexte à notre divertissement, on s'en débarrasse avec alacrité pour l'oublier. C'est la force et l'habileté du policier qui nous intéressent, pour le meilleur ou pour le pire ; nous ne nous solidarisons avec la victime que dans nos cauchemars.
Le sort d'une victime déclenche cette réaction presque instinctive: "Cela ne pourrait jamais m'arriver, à moi". Ceci explique peut-être pourquoi on se soucie si peu, dans notre système judiciaire, de la justice pour les victimes.
À la différence de leurs agresseurs, qui jouissent, en tant qu'inculpés, de droits spéciaux protégés par la constitution, les victimes n'ont pas de droits en tant que victimes.
Elles n'ont pas droit à un procès dans des délais raisonnables, ni aux dommages et intérêts (encore que cela change depuis quelques années), ni à la sauvegarde de leur vie privée (contre l'intrusion de la presse). En conséquence de leur victimisation, elles perdent souvent leur emploi, leur habitation, leur époux, sans parler de leur argent, leur temps, leur repos, leur respect d'elles-mêmes ou leur tranquillité d'esprit. Le droit à la vie, à la liberté, et à la quête du bonheur, que nous possédons tous dans l'abstrait, ne signifie pratiquement rien pour les victimes qui perdent parfois des années de leur vie, leur liberté de se déplacer dans le monde sans être paralysées par la peur, ainsi que tout espoir de retrouver les plaisirs de la vie tels qu'elles les avaient connus.
On ne connaît pas non plus la réalité selon laquelle, si la victime n'a pas pu prévoir l'agression, elle ne peut pour autant pas être sûre de pouvoir en éviter une autre à l'avenir. Plus pour se rassurer que pour réconforter la victime, certaines personnes nient qu'un événement pareil puisse se reproduire.
Une amie, se laissant séduire par un sophisme probabiliste, m'a fait remarquer que ma mauvaise chance extraordinaire signifiait qu'il était désormais invraisemblable que je sois agressée de nouveau (comme si le destin, sans être complètement bénévole, me l'épargnerait certainement cette fois, peut être au nom de l'équité).
D'autres pensaient qu'il serait plus rassurant de faire comme si rien ne s'était passé. La première carte que j'ai reçue de ma mère quand j'étais toujours à l'hôpital ne mentionnait pas l'agression ou ma souffrance; sur la carte était reproduit "l'oiseau du bonheur", destiné à maintenir ma bonne humeur. La deuxième portait l'image d'un paysage d'été plein de soleil accompagnée des phrases suivantes : "N'est-ce pas que le soleil fait plaisir ? Que le vent fait plaisir ? Que tout fait plaisir ?"
Après de nombreuses semaines, j'ai appris ce que j'aurais dû deviner, à savoir qu'après que Tom leur avait téléphoné de l'hôpital, ma mère et mon père ont sangloté en s'embrassant. Ils ne voulaient pas m'accabler de leur peine - une peine qui, je m'en rends compte maintenant - a dû être même plus grande que la mienne.
Certains parents dévots ont vite attribué à Dieu le mérite de ma survie, mais sans lui attribuer la responsabilité de ce que j'avais dû endurer.
D'autres ont reconnu ma souffrance, mais ne lui accordaient pas plus d'importance que celle d'une légère aberration dans la bonté de Dieu - un mal nécessaire, fugitif - qui ne faisait que mettre en relief le triomphe du bien.
Une de mes tantes, avec qui je suis assez intime depuis mon enfance, ne m'a ni écrit ni téléphoné pendant trois mois, et puis, tout à coup, m'a envoyé tardivement une carte d'anniversaire sur laquelle elle disait combien elle avait été désolée de recevoir la nouvelle de mon "horrible expérience" mais heureuse en même temps de penser qu'en conséquence, je serais "plus forte et capable d'aider tant de gens", ajoutant que c'était sûrement une faveur du ciel.
Une telle théodicée ne tenait aucun compte de l'horreur que j'avais dû vivre.
Mais j'ai appris que tout le monde a besoin de donner un sens - quelle que soit la futilité de cette tentative - à une violence si insensée.
Je me regardais chercher un peu partout quelque chose qui me rende heureuse, qui puisse racheter l'absolue horreur : j'étais contente de ne pas être dans l'obligation de me reprocher une action inconsidérée (ou de subir les reproche d'autrui).
En revanche, si j'avais fait quelque chose d'imprudent, j'aurais pu simplement me dire d'éviter de leur faire à l'avenir.
Heureusement que je n'avais pas encore d'enfant, car l'enfant aurait dû grandir avec la conscience que, même sa protectrice, ne pouvait être protégée; et pourtant, j'avais un sentiment de perte incommensurable quand je me rappelais combien Tom et moi avions envie d'un enfant et combien étaient joyeuses nos tentative de conception.
Pendant presque deux ans et demi après l'agression, il était difficile de m'imaginer enceinte, puisqu'il était si difficile de laisser mon mari s'approcher de moi et puisqu'il serait encore plus difficile de laisser mon enfant s'écarter de moi.
On pourrait croire, après cette litanie de plaintes, que j'étais la bénéficiaire de consolations constantes, quoique peu judicieuses, pendant les premiers mois de ma guérison.
Il n'en était rien.
Il me semblait au contraire que la sympathie exprimée par les gens avait une durée plus courte que celle des somnifères que je prenais pour me protéger des fIashback et des cauchemars - juste assez longue, en fait, pour permettre l'élaboration d'une illusion rassurante capable d'endormir le choc.
Pendant les tout premiers mois, la plupart des tantes, oncles, cousins, et amis de la famille, avertis par mes parents presque immédiatement après l'agression, n'ont ni téléphoné, ni écrit, même envoyé une carte de convalescence, malgré mon hospitalisation assez prolongée.
Ce sont des gens sympathiques et honnêtes qui m'auraient souhaité une guérison rapide si j'avais eu, par exemple, une appendicectomie.
Leur silence était si frappant que je me demandais s'il résultait d'une dénégation destinée à les protéger, d'une répugnance à parler d'une chose indicible, ou s'il était le symptôme d'un analphabétisme affectif très répandu dans notre société qui empêche la plupart des gens de communiquer tout sentiment qui ne se laisse pas exprimer par une carte de vœux.
Dans le cas du viol, l'intersection de multiples tabous - la discussion du traumatisme de la violence, du sexe - provoque une sorte de blocage, dans la conversation qui paralyse ceux qui voudraient soutenir les victimes.
Le vocabulaire capable d'exprimer une sympathie appropriée nous manque et nous ne disposons pas non plus de conventions ou sociales qui puissent nous mettre à l'aise.
Ronald de Sousa a parlé de façon convaincante de l'importance, pour les enfants, de comprendre certains scénarios modèles afin d'apprendre des réactions affectives appropriées. 13
Nous n'apprenons pas, ni dans l'enfance, ni plus tard - comment réagir à un viol.
Ce qui résulte, typiquement, de cette ignorance, c'est la confusion chez les victimes, et le silence chez les autres, souvent causé par des précautions malavisées.
Lorsque j'ai entamé l'étape de ma guérison que j'appelle l'étape de la colère, j'ai demandé à mes parents : "Pourquoi est-ce que les membres de la famille n'ont pas téléphoné ou écrit ? Pourquoi mon propre frère ne m'a-t-il pas téléphoné ?", leur réponse fut: "Ils nous ont tous exprimé leur sympathie, mais ils ne voulaient pas te rappeler ce qui s'est passé". Ne se rendaient-ils pas compte que je pensais à l'agression à tout moment de la journée et que leur incapacité de réagir me donnait l'impression d'être vraiment morte, sans que personne ne se dérange même pour assister aux obsèques ?
Pendant plusieurs mois, je me sentais en colère, effrayée, impuissante, et j'aurais voulu pouvoir me reprocher ce qui s'était passé afin de me sentir moins vulnérable, afin de me sentir plus maîtresse de ma vie.
Celles ou ceux qui n'ont pas subi de violences sexuelles auront peut-être du mal à comprendre pourquoi les femmes qui survivent n'agression se font souvent des reproches.
Ils pourraient facilement se tromper en attribuant cette tendance à un quelconque masochisme féminin ou à un manque de respect pour soi. Ils ne savent pas qu'il peut être moins pénible de croire qu'on a fait quelque chose de blâmable que de penser qu'on vit dans un univers où l'on peut être agressé à n'importe quel moment, n'importe où, simplement parce qu'on est une femme. Il est difficile de continuer à vivre après une agression qui est à la fois un produit du hasard - et donc totalement imprévisible - et pourtant ne l'est pas du tout puisqu'il s'agit d'un crime motivé par la haine d'un groupe - les femmes en l'occurrence - auquel il se trouve qu'on appartient.
Si ce n'avait pas été moi qui fut agressée sur cette route, ç'aurait été la prochaine femme qui s'y serait aventurée.
Mais si mon mari s'y était promené, il aurait été en sécurité.
Même si je ne me considérais pas responsable de cette agression, je ne pouvais pas non plus tenir mon agresseur pour responsable.
Tom voulait le tuer, mais moi, comme d'autres victimes dont j'ai fait la connaissance, je trouvais presque impossible de me fâcher contre lui.
Je crois que la terreur que je sentais encore empêchait une réaction de colère.
Il se peut que le sentiment de colère envers un agresseur exige qu'on puisse s'imaginer proche de lui, idée trop effrayante pour une victime, dans les premières phases de la guérison. Comme Aristote l'observe dans la Rhétorique, Livre I.:" Personne ne se fâche avec un individu contre lequel il est impossible de se venger et nous éprouvons relativement peu de colère, ou même aucune, envers ceux qui nous dépassent de loin par leur puissance."14
La colère était en, là, cependant, mais je la dirigeais contre les objets moins dangereux, exemple ma famille et mes plus proches amis. Elle se répandait, me signalant de façon aiguë et douloureuse que j'étais en train de recommencer à vivre.
Je ne pouvais accepter ce qui m'était arrivé.
Que devais-je faire maintenant ?
Comment les autres pouvaient-ils continuer leur vie quant il y avait tant de femmes qui mouraient ?
Comment Tom pouvait-il continuer à faire ses cours, à voir ses étudiants, à bavarder avec ses collègues... et comment se faisait-il qu'il puisse se promener sans danger alors que moi je ne pouvais pas ?
L'incompatibilité de ma peur et de ma colère se manifesta le plus quand j'ai commencé à suivre un cours d'autodéfense pour femmes. J'ai vu que la seule façon de me libérer de la paralysie provoquée par mon impuissance par les reproches que je me faisais était de développer un sentiment de puissance - de force physique autant que de pouvoir politique. Apprendre à se défendre fait partie intégrante de ce processus, non seulement parce que cela nous permet d'éprouver une rage entièrement justifiée et curative, aussi parce que, comme Iris Young le fait remarquer dans son article, " Throwing like a girl", « les femmes dans une société sexiste sont physiquement handicapées" - elles se déplacent avec hésitation, avec peur, dans un espace vécu comme rétréci, sous-estimant systématiquement leur vraie force. »15
Nous devons apprendre à nous sentir en droit d'occuper l'espace nous défendre. La chose la plus difficile à apprendre pour la plupart femmes de mon cas était simplement de crier " Non ! " On nous a appris à ne pas nous défendre quand nous sommes agressées, à essayer plutôt de calmer ou de supplier l'agresseur - stratégies qui, selon les chercheurs, se sont avérées les moins efficaces pour empêcher le viol.16
Mon professeur, elle-même survivante d'une agression, m'a aidée, vers les difficultés des premiers cours, les fIashback et la peur, et m'a montré que je pouvais être plus forte que jamais.
À la fin d'une classe, j'ai vu une étudiante inscrite dans la classe suivante arriver avec un chien d'aveugle. J'étais furieuse de voir que, avec toutes les autres difficultés de sa vie, cette femme doive en outre s'inquiéter d'être violée.
Il me semblait comprendre un peu sa peur puisque je sentais, pour la première fois de ma vie, une sorte de déficit de la perception - non pas les troubles de la vision consécutifs à l'agression - mais plutôt l'absence d'yeux pour regarder derrière moi.
J'essayais de compenser ce manque pendant mes promenades en regardant souvent par-dessus mon épaule et en ponctuant ma démarche droite et déterminée d'intermittentes pirouettes, ce qui devait sans doute me donner l'air d'une femme plus capricieuse que terrifiée.
La confiance que j'ai acquise en apprenant à me défendre efficacement ne m'a pas seulement permis de me promener dans la rue.
Elle m'a redonné la vie.
Mais c'était une vie changée.
Une vie paradoxale.
Je commençais à me sentir plus forte que jamais, et plus vulnérable; j'étais plus résolue à changer le monde, mais j'avais besoin aussi de me reposer plusieurs fois par jour.
Des nouvelles que mes amis trouvaient pénibles, certes, mais non traumatisantes, - le procès des inculpés de viol dans le cas de la femme qui faisait du jogging à Central Park, la controverse autour du roman American Psycho, la guerre du Golfe, l'accusation du viol portée contre le jeune Kennedy, le procès de Mike Tyson, le meurtre à coups de couteau de la professeure de droit, Mary Jo Frug, près de Harvard Square à Boston, l'assassinat à coups de hache de deux étudiants à Dartmouth College - tout cela déclenchait chez moi des flashback débilitants.
À la différence des survivants de guerres ou de tremblements de terre, qui vivent ensemble dans un univers bouleversé, les victimes de viol font face toutes seules à la destruction cataclysmique de leur univers, entourées de gens qui ont du mal à comprendre ce qu'il y a de si affligeant.
Je me suis rendue compte que je manifestais tous les symptômes du syndrome de stress post-traumatique - la dissociation, les flashback, l’hyper vigilance, une réactivité exagérée, des insomnies, le incapacité de concentration, un intérêt réduit pour les activités importantes de la vie, et le sentiment d'un avenir qui se réduisait.17
Je comprenais pourquoi les enfants exposés à la violence de nos villes ont tant de mal à imaginer l'avenir.
J'avais toujours été préoccupée de ma carrière, j'avais toujours fait des projets pour l'avenir, mais maintenant je ne pouvais plus imaginer comment j'allais passer une seule journée, sans même évoquer ce que j'allais faire dans un an.
Il me semblait que je n'écrirais plus jamais rien, que je ne ferais plus jamais de la philosophie.
Le Manuel diagnostique et statistique de l'Association Américaine Psychiatrie définit le syndrome de stress post-traumatique comme étant partie le résultat « d'un événement qui survient en dehors du champ de l'expérience humaine normale ».18
Parce que le traumatisme demeure, pour plupart des gens, inconcevable, il est aussi indicible.
Même quand je réussissais à trouver les mots - et la force - qu'il fallait pour décrire mon épreuve, il était difficile pour les autres de m'écouter.
Ils auraient préféré que je me "ravigote", comme un ami me pressait de faire.
Mais il est essentiel d'en parler, encore et encore.
Il s'agit d'un moyen pour remaîtriser le trauma, même si l’on se trouve souvent à nouveau traumatisée lorsque les personnes refusent d'écouter.
Dans mon cas, chaque fois que quelqu'un s'avérait incapable de réagir, c'était comme si j'étais de nouveau toute seule dans le ravin, mourant, criant.
Et comme si personne ne m'entendait.
Ou pire encore comme si l'on m'entendait, mais que l'on refusait de m'aider.
Je sais maintenant que certains essayaient de m'aider, mais que la guérison du traumatisme exige du temps, de la patience, et surtout la détermination de la survivante.
Au bout d'environ six mois, j'ai pu assumer davantage la responsabilité de ma guérison, et ne m'attendais plus à ce que les autres s'en chargent.
J'ai entamé la dernière étape de ma guérison, période pendant laquelle j'ai accepté et intégré de plus en plus ce qui s'était passé.
Je suis devenue membre d'un groupe de soutien aux survivantes, j’ai suivi beaucoup de thérapies, je me suis engagée dans des activités politiques, comme la promotion d'un projet de loi destiné à combattre la violence contre les femmes, actuellement en délibération au Congrès, à Washington.19
J’ai réussi progressivement me remettre au travail.
Quand j'ai recommencé à enseigner à Dartmouth College, à l'automne de 1991, la première étudiante à venir me voir dans mon bureau, pendant la semaine d'orientation pour étudiants de première année m'a dit qu'elle avait été violée. Au printemps de 1992, quatre étudiantes ont porté plainte pour agression sexuelle devant la police locale.
À la suite de ces événements, les autorités ont conseillé aux étudiantes de ce collège de faire très attention, de fermer leur porte à clé, de ne pas sortir la nuit sans se faire accompagner par un homme.
On leur a dit: ‘Ne faites pas de bêtises’.
Tout en voulant "protéger" les femmes, en limitant leur liberté de déplacement ou en leur fournissant une escorte, les universités sont peu disposées à apprendre aux femmes à se protéger elles-mêmes.
Après des mois de pression sur les administrateurs de Dartmouth, nous avons réussi à les convaincre de proposer un cours d'autodéfense et de sécurité contre le viol pour femmes.
Ce cours a été présenté en hiver 1992 sous les auspices du département d'éducation physique, et presque cent étudiantes et employées s'y sont inscrites.
Peu après le commencement du cours, on m'a dit que les étudiantes ne pourraient le faire reconnaître comme unité de valeur, puisque l'administration avait considéré que le cours était une discrimination contre les hommes.
On m'a dit qu'accorder une unité de valeur pour ce cours constituerait une violation du Titre IX des amendements de 1972 portant sur l'éducation, qui interdit la discrimination basée sur le sexe dans les programmes d'éducation bénéficiant d'une subvention fédérale.
Mais l'octroi d'une unité de valeur aux hommes qui jouent au football ne constitue pas une telle violation de la loi, même si le Titre IX fait une exception explicite pour les cours d'éducation physique impliquant un important contact corporel et même si chaque trimestre, l'université offre plusieurs cours d'arts martiaux, auxquelles s'attachent une unité de valeur.
Or, ceux-ci sont ouverts aux hommes, adaptés aux hommes et à leurs besoins, et suivis principalement par des hommes.
Un administrateur m'a dit que, même si le Titre IX le permettait, on ne pourrait accorder une unité de valeur à un cours d'autodéfense, car ce cours violerait alors "l'article sur la non-discrimination à l'université".
Il poursuivit en affirmant qu'il "espérait que tout homme et toute femme raisonnable considérerait cet article comme valable".
Ce qu'il voulait dire, évidemment, c'était que je n'étais pas "raisonnable", et cela ne me plaisait pas du tout en tant que philosophe.
J'ai donc écrit une lettre au comité administratif approprié en critiquant la position de l'université, position selon laquelle ne sont discriminatoires ni les sports pratiqués par les membres d'un seul sexe, ni les clubs masculins, ni les clubs féminins, ni les congés de maternité, mais seulement les cours d'autodéfense pour femmes.
L’administration a finalement consenti à accorder une unité de valeur pour le cours, mais peu après cette victoire, j'ai lu dans le New York Times « qu'un service de transport de nuit offert aux femmes pour prévenir contre le viol dans la ville de Madison et dans le campus de l'université du Wisconsin risquait de perdre son financement parce qu'il constituait une discrimination contre les hommes ».20
Le doyen des étudiants de cette Université avait dit que ce groupe - la Régie des transports pour femmes - qui fournit ce vice gratuitement depuis dix -neuf ans devait changer ses règles pour inclure les hommes comme conducteurs et passagers.
Ce sont, à mon avis, des exemples de l'application de ce que Catharine Mac Kinnon appelle « la stupide théorie de l'égalité ».21
Soutenir qu'une politique destinée à empêcher le viol est discriminatoire envers les hommes revient à dire que l'adaptation de bâtiments pour les handicapés est discriminatoire envers les gens bien portants qui n'en bénéficient pas.22
La violence sexuelle victimise non seulement les femmes qui en sont directement les victimes, mais aussi toutes les femmes.
La peur du viol a longtemps eu pour conséquence de maintenir les femmes à leur place. Que l'on soit d'accord ou non avec une auteure comme Susan Brownmiller qui pense que le viol est le moyen par lequel tous les hommes maintien toutes les femmes dans une position subordonnée23, le fait que la vie de toutes les femmes est limitée par la violence sexuelle est indéniable. Les auteures de The Female Fear, Margaret Gordon et Stephanie Riger, citent des études qui confirment ce que toutes les femmes savent déjà, à savoir que la peur du viol empêche les femmes de jouir d'un droit que les hommes croient avoir acquis en naissant.
50% d'Américaines ne se servent jamais des transports publics la nuit de peur d'être violées.
Pour la même raison, les femmes sont huit fois plus susceptibles que les hommes d'éviter de se promener dans leur propre quartier la nuit.
Dans le séminaire que j'ai donné au printemps de 1992 sur la violence contre les femmes, les hommes participant au séminaire étaient stupéfaits du nombre de précautions prises par les femmes chaque jour contre l'agression, comme de fermer à clé les portes et les fenêtres, de regarder dans le siège arrière de la voiture a d'y monter, de ne pas se promener seule la nuit, de regarder dans les placards en rentrant. Et il s'agit là d'un campus "sûr" dans la Nouvelle Angleterre.
Bien que les femmes trouvent toujours que leur travail et leurs loisirs sont injustement limités par un relatif manque de sécurité, la législation paternaliste interdisant aux femmes certains emplois "dangereux" (par exemple, celui de serveuse24) a heureusement disparu, sauf, évidemment, dans le domaine militaire.
C'est toujours un sujet de débat que de savoir si les femmes devraient pouvoir participer au combat, et la raison alléguée le plus récemment pour les en exclure est qu'elles sont plus sujettes que les hommes à la violence sexuelle.
Ceux qui veulent limiter le rôle militaire des femmes en raison de leur prétendue inaptitude au combat citent à l'appui de leurs arguments les attentats à la pudeur commis contre les deux prisonnières de guerre américaines en Irak.25
Autant dire que, puisque les femmes sont plus vulnérables que les hommes à l'agression sexuelle dans les universités, elles sont inaptes à l'éducation post-secondaire.
Personne, à ma connaissance, n'a proposé de revenir en arrière et, pour résoudre le problème du viol, de revenir à l'époque où les universités comme Dartmouth étaient réservées exclusivement aux hommes.
Pourtant, certains ont sérieusement proposé que l'on impose un couvre-feu aux étudiantes, malgré le fait que les auteurs d'agressions sont des hommes.
Voilà encore un indice de l'attitude très répandue selon laquelle il est naturel de vouloir résoudre le problème de la violence sexuelle en restreignant la vie des femmes.
L'absurdité de cette approche devient manifeste quand on se rend compte qu'une femme peut être sexuellement agressée n'importe où et à n'importe quel moment - dans des lieux "sûrs", en plein jour, même chez elle.
Pendant des mois après mon agression, j'avais peur que les gens s'en avisent - j'avais peur de leur réaction ou de leur incapacité de réagir.
J'avais peur que mon travail professionnel ne soit discrédité, ou pire encore d'être ressentie comme partiale, de n'être pas vraiment "philosophe".
Maintenant, je n'ai plus peur de ce qui peut arriver quand je parle publiquement de la violence sexuelle. J'ai bien plus peur de ce qui continuera à arriver si je n'en parle pas.
La violence sexuelle est un problème qui a une envergure catastrophique; c'est une réalité obscurcie par sa banalité, sa perpétuation, malgré le grand nombre de ses victimes.
Imaginez-vous le scandale moral, la réponse d'urgence qu'on serait sûr de mobiliser, si toutes ces agressions se produisaient au même moment ou se limitaient à une seule région géographique !
Mais pourquoi les coordonnées spatio-temporelles de ce grand nombre d'agression devraient-elles être considérées comme moralement pertinentes ?
Du point de vue de la victime, le fait qu'elle est isolée dans son viol et dans sa guérison, joint à la banalité trivialisante du crime, rend l’agression et ses suites d'autant plus traumatiques.
Aussi catastrophique que soit la violence sexuelle, je tiens cependant à souligner qu'il est possible d'y survivre, et même de vivre mieux après, encore qu'il ne semble pas en être ainsi au moment même.
Lorsque je vois une survivante en train de lutter contre sa rage et sa tristesse qui l'écrasent, je me rappelle une femme très douce et maternelle dans mon groupe de soutien qui se tenait silencieuse pendant notre première réunion. À la fin de l’heure, elle a demandé, doucement, en pleurant : "Est-ce que quelqu'un peut me dire si - un jour - cela cessera de faire mal ?"
Je me posais la même question et aucune réponse ne pouvait me satisfaire.
Mais maintenant je peux dire que oui, il y a un moment où ça cesse de faire mal, du moins pour les périodes de plus en plus longues.
Six mois après l'agression, j'étais heureuse de découvrir que je pouvais vivre quinze minutes sans y penser.
Aujourd'hui, des heures passent sans que j'aie de fIashback. Quand ça va bien. Quand ça ne va pas, je me mets au lit, les membres de plomb, incapable de trouver une seule bonne raison de continuer.
La monitrice de notre groupe nous a dit lors de cette première réunion : « Vous ne serez plus jamais la même. Mais vous pouvez être meilleure. »
Je réagissais vivement en me disant que j'avais trop perdu : mon sentiment de sécurité, le respect de moi-même, mon amour, et mon travail.
J'étais heureuse avant.
Comment pouvais-je aller mieux après ?
Survivante elle-même, elle me comprenait, mais elle savait aussi, comme elle le disait, que : « lorsque votre vie est brisée, vous êtes obligée de ramasser les morceaux, et vous avez alors la possibilité de les examiner. Vous pouvez dire : ‘Je ne veux plus de celui-là’ ou ‘Je vais retravailler celui-là’ ».
J'ai dû abandonner plus que je n'aurais jamais voulu.
Mais j'ai acquis de très réelles compétences, je prends mieux beaucoup de choses, et je ne me sens plus souillée par expérience.
Certes, celles d'entre nous qui ont été victimes d'agressions sexuelles ne sont pas accueillies par une pluie de serpentins comme les soldats revenant de la guerre, et ce n'est pas à nous non plus qu'on remet les clés de la ville comme aux otages libérés : mais survivre à l'agression sexuelle est tout de même un honneur.
Cela ne fera jamais partie de curriculum vitae, mais c'est ce dont je suis le plus fière.
Aujourd'hui, plus de deux ans après l'agression, je peux reconnaître les bénéfices que j'ai tiré de ma guérison - la lucidité, la confiance, la détermination, les nombreux amis, dont des victimes, qui ont redonné un sens à ma vie.
Cela ne veut pas dire que, tout compte fait, l'agression et ses suites ont été une bonne chose, ou, comme ma tante l'a dit: "une vraie faveur du ciel".
J'aurais préféré ne pas descendre cette route.
En tant que philosophe, j'ai trouvé difficile d'avoir à apprendre que la connaissance n'est pas toujours désirable, que la vérité n'est pas nécessairement libératrice.
Parfois, elle vous remplit d'une terreur paralysante et puis d'une rage incontrôlable.
Mais je suppose qu'on devrait l'accueillir tout de même, pour la même raison que Nietzsche nous exhorte à aimer nos ennemis: si la vérité ne vous tue pas, elle vous rendra plus fort.
Les gens me demandent si je suis maintenant guérie, et je leur réponds en disant que cela dépend de la signification du mot "guérison".
Si cela implique que je suis revenue au point où je me trouvais avant l'agression, alors la réponse est non, et que je ne m'y retrouverai plus jamais.
Je ne suis plus cette personne qui est sortie, en chantant, ce 4 juillet 1990, dans la campagne française ensoleillée.
Je l'ai laissée, cette personne, dans un lit de ruisseau pierreux au fond d'un ravin.
J'ai dû l'y laisser pour survivre.
Peut-être que celles qui survivent à une rencontre avec la mort devraient changer de nom.
Le traumatisme m'a changée pour toujours, et si j'insiste trop souvent pour que ma famille et mes amis le reconnaissent, c'est parce que j'ai peur qu'ils ne sachent plus qui je suis.
Mais si la guérison signifie la capacité d'intégrer cette horrible réalité dans ma vie et de continuer, alors oui, je suis guérie.
Je ne me réveille plus chaque matin en sursautant et en pensant: "Il est impossible que cela me soit arrivé !"
C'est arrivé.
Et personne ne peut me garantir que cela ne puisse m'arriver encore une autre fois, bien que mes cours d'autodéfense m'aient donné la confiance pour me déplacer dans le monde et me promener de plus en en plus longuement - avec mes deux grands chiens.
Parfois, j'arrive même à m'amuser.
Et je ne me crispe plus quand je vois une femme en train de faire du jogging sur une route de campagne dans la région où j'habite, même si j'ai encore envie de sortir précipitamment et de la protéger, de lui dire de rentrer pour être en sécurité.
Mais je m'arrête, comme une mère qui apprend à laisser partir ses enfants, et je l'encourage silencieusement, me disant :
"Qu'elle soit toujours sans souci, si bien chez elle, dans le monde. Elle en a bien le droit".
Susan J. Brison Traduit de l'américain par Thomas Trezise
Notes
1 Je voudrais remercier la Société Nord Américaine de philosophie sociale de m'avoir invitée à faire cette communication en séance plénière au Huitième Congrès International de philosophie sociale à Davidson College le 1er août 1992. Je tiens également à remercier la Fondation Franklin J. Matchette d'avoir patronné cette communication.
2 F.B.I., Uniform Crime Reports for the United States, 1989, p. 6.
3 Robin Warshaw remarque que « selon les calculs du gouvernement, il y a, pour viol signalé, de trois à dix qui ne le sont pas. Et tandis que les viols par inconnus pas tous signalés, ceux commis par des relations ne le sont pratiquement jamais tant, si l'on se réfère aux observations du personnel à différents centres d'accu victimes de viol (où celles-ci subissent un traitement mais ne sont pas obligées une déclaration à la police), 70 à 80% de tous les viols sont commis par des familiers ». (Robin Warshaw, I never called it rape - New York - Harper & Row - 1984
4 Statistiques établies par la National Coalition against domestic violence, in "Report on proposed Legislation S.15 : The Violence against women act", p. 9. Données au Bureau du Comité Judiciaire de Sénat.
5 Après la présentation de ce texte à Davidson Coollege, Iris Young m’a parlé du texte de Jeffner Allen ( Lesbian Philosphy – Palo Alto, Institue of lesbian Stidies, 1986, dans laquelle elle discute son propre viol.
6 In : Rape : An historical and cultural enquiry , ed. Sylvana Tomaselle et Roy Porter (New York, Basil Blackwell, 1986) . Un autre article beaucoup plus intelligent est celui de Lois Pineau, intitulé « Date Rape : A feminist analysis ». Law and philosophy, 8, p.217- 243. Il y a, en outre, un excellent livre sur les causes de la violence masculine par une auteure à formation philosophique, Myriam Miedzian (Boys Will Be Boys: Breaking the link between Masculinity and Violence - New York, Doubleday, 1991). Les discussions philosophiques du problème du mal, y compris les plus récentes comme celle de Robert Nozick (The Examined Life: Philosophical Meditations - New York, Touchstont 1989), ne mentionnent pas le problème massif de la violence sexuelle. Même le livre de Nell Noddings, Women and Evil (Berkeley, University of California Press, 1989 qui représente une "tentative de décrire le mal du point de vue de l'expérience féminine « ne mentionne le viol que deux fois, brièvement, et, dans aucun des deux cas la peine de la victime n'est prise en considération.
7 Harrison, op. cit, p. 51.
8 . Voir surtout les réflexions de Patricia Williams sur l'incident de la maison Ujaama dans The Alchemy of Race and Rights (Cambridge, Mass, Harvard University Press, 1991) p. " 110-116 ; l'article de Mari Matsuda. "Public Response to Racist Speech : Considering : the Victim's Story" Michigan Law Review, 87 [81, pp. 3220-2381) et l'article de Charles Lawrence, "If He Hollers, Let Him Go : Regulating Racist Speech on Campus (Duke Law Journal, 1990, p. 431-483). -
9 Williams, op. cit.
10 Harrison, op. cit, p. 52.
11 Comme le notent Margaret T. Gordon et Stephanie Riger, les auteures de The Female Fear: The Social Cost of Rape(Chicago, University of Illinois Press, 1991), "la nécessité de prouver le non-consentement de la victime est particulière au crime de viol forcé. On ne considère pas normalement que la victime d'un vol, par exemple ait consenti à ce crime si elle remet son argent au voleur (surtout si celui-ci a eu recours à la force ou menaces)" (p. 59).
12 Robert Lowell, Selected poems (New York, Farrar, Straus, Giroux, 1977), p. 8
13 Ronald de Sousa. The Rationality of emotion (Cambridge, Mass, MIT Press, 1987).
14 Je voudrais remercier John Cooper de m'avoir signalé cet élément de la théorie des émotions chez Aristote.
15 Iris Marico Young, Throwing like a girl and other essays in feminist philosophy and social theory (Indianapolis, Indiana University Press, 1990), p. 153.
16 Pauline B. Bart et Patricia H. O'Brien, "Stopping Rape : Effective avoidance strategies », Signs : Journal of Women in Culture and Society, 10 (1), p. 83-101.
17 Pour une description clinique du syndrome de stress post-traumatique (SSPT), voir le Diagnostic and Statistical Manual, 3e éd. Revue de l'American Psychiatries Association.
18 American Psychiatric Association, op. cit, p. 247.
19 Le projet de loi S.11 (anciennement S.15), patronné par le sénateur Joseph Bidel démocrate du Delaware, a été rédigé en grande mesure par Victoria Nourse, conseillère spéciale pour le droit criminel, bureau du comité judiciaire du sénat. Je m'intéresse particulièrement au Titre II qui ferait des agressions motivées par le sexe des crimes de discrimination. Cette reconceptualisation est importante du point de vue de la victime. Ce dont j'ai eu le plus de mal à me remettre était l'idée qu'un homme avait voulu me tuer simplement parce que je suis une femme. Cet aspect du préjudice causé par les crimes de discrimination ressemble au préjudice causé par le harcèlement racial. Il est impossible, dans le cas de ceux qui souffrent du SSPT, de distinguer clairement le préjudice physique du préjudice psychologique. La plupart des symptômes sont d'ordre physiologique. Je trouve bizarre qu'en philosophie du droit, tant de théoriciens s'adonnent à une sorte de dualisme cartésien que la plupart des philosophes de l'esprit ont rejeté il y a longtemps.
20 New York Times, 19 avril 1992, p.36.
21 Je me réfère à la discussion qui a suivi la conférence qu'elle a donnée à l'université Princeton, le 9 avril 1992
22 Pour une discussion éclairante de la nécessité de traiter les individus différemment réaliser une vraie égalité, voir Martha Minow ,Making All the Difference: Inclusion, exclusion, and American Law (Ithaca, New Yord, Cornell University Press, 1990)
23 Susan Brownmiller,Against our will : Men, Women, and Rape (New York, Ba Books, 1975).
24 Jusqu'en 1948, la Cour Suprême a maintenu une loi interdisant l'autorisation des femmes à travailler comme serveuse (à moins que la femme en question en soit l'épouse ou la mIe du propriétaire). Voir Goesaert v. Cleary, 335 U. S. 464 (1948)
25 NewYorkTimes,19 juin 1992, p.l et 13.

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