Violences politiques – Violences contre les femmes Le mythe de l'amour
- Nous pensons que la mythologie de l'amour et de la maternité est l'outil le plus puissant de la société patriarcale pour maintenir les femmes à leur place.
- La conception de l'amour est différente selon les sexes.
Les hommes vivent dans l'attente de recevoir de l'amour, d'abord de la part de la mère, puis de l'amie, de la fiancée, de la conjointe, plutôt qu'ils n'en donnent. Ils cherchent leur épanouissement personnel dans le travail, leur statut social, les connaissances accumulées plutôt que dans les relations avec les autres (amour, paternité, amitiés).
Tandis que pour les femmes, l'amour - et le mariage en tant que "garantie" d'amour permanent - sont les buts essentiels de leur vie par lesquels elles sont valorisées.
Par ailleurs, on attend d'elles de donner de l'amour plutôt que d'en recevoir.
- Le mythe de l'amour absolu, inaccessible dans la vie réelle, crée pour les femmes une sorte de dépendance émotionnelle et le sentiment de ne pas pouvoir vivre sans homme.
En mettant fin à une relation amoureuse, une femme a peur de perdre son statut de femme, fondé sur sa capacité à donner de l'amour.
Le "don d'amour", caractéristique du statut féminin, peut évoluer vers des sentiments maternels pour le conjoint agresseur, que la femme considère comme un individu faible, irresponsable de ses actes, qui a besoin d'amour et d'aide.
Le mythe de l'horrible crapaud qu'un baiser peut transformer en prince charmant, véhicule l'idée du pouvoir magique du "don d'amour". Il favorise, chez les femmes, l'espoir de pouvoir changer le conjoint violent. "Les jeunes filles vont penser que l'amour d'une femme bien peut sauver n'importe quel homme".
- Le fait que l'agresseur a souvent une phase par laquelle il regrette son comportement, s'excuse et promet de ne plus jamais recommencer, contribue à renforcer le mythe, chez la femme, qu'un horrible crapaud peut être transformé en prince charmant, et l'incite à rester avec lui.
De surcroît, le mythe de la maternité renforce l'assujettissement des femmes à leur relation, car il est dit que les enfants ne peuvent grandir "normalement" que dans une famille nucléaire traditionnelle. Ce qui signifie qu'il est préférable de vivre avec un père violent que sans père du tout. Et bien entendu, être une "bonne" mère veut dire tout faire pour l'amour de ses enfants. Au contraire, une femme qui quitte une telle structure est considérée comme une "mauvaise" mère, dont les décisions peuvent être nuisibles à ses enfants.
L'image de la femme dans nos cultures est fondée sur l'abnégation et le sacrifice de soi.
Les femmes acquièrent du pouvoir en vivant, tout au long de leur vie, pour les autres.
Mais cette logique est ambivalente.
D'un côté, plus une femme correspond à l'idéal culturel féminin, plus elle aura de la considération pour elle-même.
D'un autre côté, l'identification à cette image culturelle l'empêche de se sentir en droit de décider quelque chose pour son propre bien, c'est-à-dire de quitter cette situation de violence.
Casser une relation - même et surtout si elle-ci est violente - lui ferait perdre son pouvoir et sa considération d'elle-même.
Donc, c'est une logique piégée.
- En outre, plus une femme reste avec un homme violent, plus la frustration augmente et moins elle a la force de quitter une telle situation.
En effet, les attentes de l'idéal imposé par nos cultures sont particulièrement irréalisables dans une relation de violence conjugale, et la femme devient de plus en plus déprimée de vivre dans ce cercle vicieux qu'il lui semble impossible de briser.
Ces mythes sont culturellement promus par nos codes moraux : les sociétés et les religions ont longtemps stigmatisé le divorce, les mères monoparentales et les alternatives à la famille nucléaire.
Il est aussi important de souligner ici avec quelle force ces codes imposent la famille comme une sphère privée intouchable.
Dans ce contexte, une femme battue est isolée et peut avoir le sentiment d'être la seule femme à subir cette violence, tandis que les autres femmes lui semblent vivre des relations d'amour heureuses.
Ce sentiment d'avoir échoué la culpabilise et elle a peur, si elle quitte son conjoint, de devoir avouer sa situation ("anormale") aux autres (les "heureuses").
- Les stéréotypes psychologiques concernant les femmes et les hommes, véhiculés par l'école et la famille, constituent un autre handicap pour des femmes agressées par leur conjoint.
On nous transmet que les femmes sont par nature passives, émotionnellement dépendantes, moins sûres d'elles que les hommes..., ainsi les femmes peuvent avoir de grandes difficultés à décider toutes seules et pour elles-mêmes, et douter de leur capacité à se débrouiller seule sans conjoint.
- Les femmes agressées par leur partenaires n'ont pas de caractéristiques psychologiques spécifiques.
Elles ne sont pas masochistes et n'ont pas le désir d'être maltraitées comme certaines théories psychologiques l'ont suggéré.
Leurs caractéristiques psychologiques se trouvent bien au contraire dans la moyenne des femmes.
Elles ne peuvent pas être considérées comme déviantes cliniques mais comme personnalités stables.
- Ce qui bloque les femmes dans ces relations sont en réalité les effets psychologiques des agressions. Nicole Walton Allen a répertorié pour sa part les effets suivants :
Le choc d'être maltraitée à ce point par la personne qui assure l'aimer.
La culpabilité, car elle pense avoir "contribué" aux violences.
La dépression de se voir enfermée dans cette relation sans espoir.
La honte, car quelqu'un l'a trouvé méprisable au point de la frapper.
L'humiliation d'avoir laissé abuser d'elle à ce point.
- Une estime de soi très faible, car elle n'a pas "réussi" son mariage.
Selon la théorie de Walker, les femmes battues ont "intégré" une impuissance à s'en sortir : « Si une femme apprend à travers une socialisation erronée qu'elle n'a pas de moyens de contrôle sur des faits aussi horribles que celui d'être battue par un homme qui l'aime, en même temps, elle apprend qu'elle ne peut pas vivre sans l'homme qui l'aime et s'occupe d'elle. La conséquence en est que "l'impuissance intégrée" à s'en sortir se transforme lentement en dépression et paralysie (...). Comme la femme s'empêtre dans sa relation avec l'homme qui l'agresse, elle est de plus en plus prise au piège de cette "impuissance intégrée" de s'en sortir. Le processus se perpétue indéfiniment.».
- Quelquefois, pour tenter de gérer la situation d'agression, une femme peut chercher à en nier la gravité.
- Elaine Hilberman évoque quatre "convictions" de femmes battues :
Les violences sont "normales", elles font partie d'une relation.
La violence des hommes a une cause : maladie physique ou mentale, alcoolisme, chômage ou autres formes de stress.
Elles méritent ces violences pour avoir été mauvaises et provocantes, donc les violences sont justifiées.
Les agressions peuvent être contrôlées si les femmes sont suffisamment bonnes, calmes et dociles.
- Ces "convictions" aident les femmes à justifier un comportement, qui sinon leur apparaîtrait irrationnel, en même temps qu'elles leur permettent de le supporter lorsqu'elles ne sont pas en mesure de mettre fin à la relation. Mais ces "convictions" les empêchent par ailleurs de constituer les raisons qui pourraient les rendre suffisamment fortes pour se séparer du conjoint agresseur. Ainsi elle enferment les femmes encore plus dans leurs situations.
- Outre les aspects psychologiques et culturels, des problèmes économiques, liés à l'inégalité de leur situation sociale et professionnelle, rendent difficile le départ des femmes battues.
Même si la femme a réussi à prendre la décision de partir, elle n'a souvent pas l'argent pour commencer une nouvelle vie à cause de sa dépendance économique vis-à-vis de son conjoint.
- Elle a d'énormes difficultés à trouver un endroit où aller, si ce n'est chez sa famille ou ses ami-e-s, endroits d'ailleurs que le conjoint agresseur peut retrouver facilement.
Même si elle trouve un foyer, une maison d'hébergement pour femmes battues ou d'autres endroits adéquats, il ne lui sera pas facile de trouver un travail - surtout que, la plupart du temps, elle a des enfants et a quitté le marché du travail depuis des années, si jamais elle a travaillé.
Le fait de vivre dans la structure fermée de la famille nucléaire ne favorise pas l'accès aux informations.
De surcroît, les femmes sont empêchées de se tourner vers une "nourriture affective" diversifiée.
- Elles n'ont donc peut-être que peu de ressources d'amour et de support en dehors de leur conjoint agresseur, qui, dans beaucoup de cas, est extrêmement jaloux et possessif.
D'autre part, pour les institutions, par définition conservatrices, le mariage et la famille sont les bases incontestables de nos sociétés: en général, hôpitaux, médecins, policiers, services sociaux, ainsi que le système juridique n'apportent pas le soutien nécessaire aux femmes pour qu'elles puissent changer leurs situations.
- Erin Pizzey dit : « C'est ça un cercle vicieux : si les femmes encaissent les violences, on suppose qu'elles aiment ça. En réalité, elles restent et les encaissent, car elles n'ont pas d'endroit où aller. Puisqu'elles restent et les encaissent, on suppose qu'elles aiment ça et donc les possibilités pour elles de trouver un endroit où aller se reproduisent. Alors elles restent et encaissent les agressions et on suppose qu'elle aiment ça. Des milliers de femmes sont otages de ce cercle vicieux ».
C'est ce cercle vicieux qu'il faut casser pour donner une chance de s'en sortir aux femmes violentées par leur conjoint.
Esperanza Molleda et Christine Rammrath
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire