Les femmes et le déplacement : de la force dans l’adversité Les déplacements de population comptent parmi les conséquences les plus graves des conflits armés actuels. Ils touchent les femmes par bien des aspects. Mais loin d'être des victimes impuissantes, les femmes sont ingénieuses, résistantes et courageuses face aux épreuves. Les explications de Nadine Puechguirbal, conseillère du CICR chargée des questions concernant les femmes et la guerre. Pourquoi, à l'occasion de la Journée internationale de la femme, le CICR sensibilise-t-il le public au sort des femmes déplacées par les conflits armés dans le monde ?
Nous voulons non seulement attirer l'attention sur les souffrances de ces femmes, mais aussi rendre hommage à leur immense courage et à leur formidable résistance à l’adversité, qui leur permettent d’assurer la survie de leurs proches dans des contextes hostiles et inconnus.
À mon avis, il est aussi très important de faire connaître les menaces particulières que le déplacement fait peser sur les femmes. Bien trop souvent, on les regroupe avec les enfants sous l'étiquette de groupe le plus vulnérable. Pourtant, ces deux groupes sont très différents et chacun a des vulnérabilités et des besoins spécifiques.
Les femmes ne sont pas totalement sans défense. Nous voulons balayer les présuppositions et les stéréotypes pour attirer l'attention sur les besoins et les vulnérabilités spécifiques des femmes en temps de guerre, ainsi que sur la force véritablement remarquable dont elles font preuve en protégeant leurs proches, en subvenant à leurs besoins et en trouvant des moyens ingénieux de surmonter les épreuves.
Pourquoi les femmes déplacées sont-elles souvent exposées à de plus grands risques que les hommes déplacés dans les conflits armés ?
L'immense majorité des conflits armés sont déclenchés, organisés et menés par des hommes, mais il n'en demeure pas moins que les femmes représentent une proportion importante des victimes de la guerre. Pendant un conflit armé, les civils qui ne participent pas aux hostilités sont souvent contraints de fuir leur foyer pour ne pas être pris dans les violences. Femmes et enfants doivent laisser derrière eux leur maison et leur communauté. Dans la panique et le chaos qui s’ensuivent, de nombreuses femmes se retrouvent seules, sans personne pour les aider à prendre soin de leurs enfants. Imaginez combien il doit être douloureux d'être brutalement déraciné d'un lieu qui est peut-être le plus sûr que vous ayez connu de toute votre vie.
D'un jour à l'autre, ces femmes doivent assumer toutes les responsabilités quotidiennes afin d’assurer leur survie et celle de leurs proches ; elles mobilisent pour cela leur ingéniosité et leur courage. Les femmes déplacées doivent souvent parcourir de longues distances pour trouver de l'eau, de la nourriture, du bois à brûler, des médicaments et d'autres articles essentiels. Ce faisant, elles s’exposent à de grands risques tels que subir des violences sexuelles ou une agression et être blessées par des mines ou des munitions non explosées – entre autres. La charge d’entretenir la famille, qui s’ajoute à l'angoisse et au traumatisme des pertes brutales, a aussi des effets dévastateurs sur la santé des femmes.
Dans les cultures où les femmes n'ont le droit de se déplacer qu'accompagnées par un homme de leur famille, le fait d'être séparées de leur mari peut empêcher certaines de fuir les hostilités. Il arrive aussi qu'elles ne possèdent pas les papiers d’identité nécessaires pour passer des postes de contrôle ou traverser des frontières internationales, ou qu’elles n'aient pas de quoi payer les transports. Il est très fréquent que l'on signale des cas de femmes harcelées au passage des frontières et aux postes de contrôle.
Les camps ou les communautés de personnes déplacées peuvent offrir à ces femmes une sécurité relative, mais ils ne mettent pas fin à leurs problèmes. Au contraire, l'environnement d'un camp peut comporter de nouveaux risques et ajouter à leur charge. Alors que jusque-là les femmes avaient probablement pu compter sur leur famille et sur des réseaux de parenté pour partager nourriture et ressources, la séparation d'avec leur famille et leur communauté les prive de ce soutien.
Le manque de ressources peut engendrer des situations dans lesquelles les femmes, en raison de leur sexe, sont reléguées à la dernière place en termes d'accès à la nourriture ou à l'eau : en clair, elles mangent moins et en dernier. De plus, il existe un réel danger qu'elles se résignent à échanger des faveurs sexuelles contre de la nourriture ou d'autres articles de première nécessité.
L’absence de sécurité et d'intimité dans les camps peut exposer les femmes à des problèmes de santé, en accroissant par exemple le risque de violences sexuelles. Traumatisme causé par ce qu'elles ont vécu, blessures dues au conflit, violences sexuelles et grossesses non désirées accroissent inévitablement les besoins des femmes en matière de soins de santé. Or, le déplacement peut entraver leur accès à des soins de qualité au moment où elles en ont le plus cruellement besoin.
Loin d’être des victimes passives, les femmes dans les situations de conflit trouvent souvent des moyens ingénieux de s’en sortir. Pourriez-vous nous donner quelques exemples ?
Les médias dépeignent souvent les femmes comme des victimes passives des combats – récits poignants qui visent à émouvoir, à influencer l'opinion publique et à susciter l'intérêt de du public. S'il est certain que les femmes endurent bien trop souvent des violences et des cruautés atroces en temps de guerre, il me paraît important d'aller au-delà de cette image pour comprendre pleinement le sort difficile qui est le leur, sans le minimiser.
Les délégués du CICR sont souvent témoins du courage remarquable des femmes déplacées : elles exploitent les ressources disponibles, trouvent de la nourriture et un abri pour les personnes dont elles ont la charge et s'organisent en associations pour s’exprimer d’une voix plus forte et unie.
On entend parfois des histoires effroyables sur les violences sexuelles infligées aux femmes en République démocratique du Congo. Le fait que certaines survivent et parviennent à subvenir à leurs besoins – et souvent à ceux de leurs enfants, nés d’un viol et rejetés par leur famille – témoigne de leur force. Au Nord-Kivu, des travailleurs psychosociaux soutenus par le CICR conseillent des femmes victimes de viol et les aident à reconstruire leur vie. L'institution permet aux bénéficiaires d’entreprendre des projets créateurs de revenus pour renforcer leur autonomie.
En Irak, les femmes déplacées sont incroyablement imaginatives et déterminées à assurer la survie de leur famille. Privées de leurs sources de revenus traditionnelles, elles sont obligées d'adopter de nouveaux rôles, bravant les conventions sociales et recourant à tous les moyens possibles, même le travail manuel pénible, pour gagner de l'argent et acheter de la nourriture.
Les femmes jouent un rôle crucial pour préserver la santé et le bien-être de leur famille et de leur communauté. Leur contribution à la prévention et au traitement des maladies est essentielle lorsque l'accès aux soins de santé est limité. Dans les situations d'urgence, les femmes peuvent aider aux accouchements dans leur communauté si aucun personnel médical formé n'est disponible à distance atteignable. Souvent, seules des accoucheuses traditionnelles peuvent dispenser des soins de santé reproductive à des femmes déplacées et à leurs nouveau-nés.
Les acteurs qui s'efforcent d'aider les déplacés internes doivent accorder une plus grande attention au point de vue des femmes déplacées. Comment le CICR procède-t-il en la matière ?
Tout d'abord, le CICR est conscient du fait que dans les camps de personnes déplacées, l'opinion des femmes est rarement écoutée, ce qui signifie que leurs besoins spécifiques sont négligés. Les femmes ont tendance à éviter de parler ouvertement de leurs besoins les plus personnels, raison pour laquelle il est crucial de créer un espace de dialogue sûr où leurs préoccupations pourront être abordées. Pour s'assurer que les femmes ne soient ni ignorées, ni exploitées, le CICR les intègre de plus en plus dans la planification, la mise en œuvre et l'évaluation des programmes.
Nous reconnaissons également que le fait de considérer les femmes comme des bénéficiaires passives est invalidant et risque de les exclure de l'action humanitaire. Ne pas consulter les femmes sur leurs besoins ou ne pas les intégrer à la planification des projets nuit à la qualité, à l'efficacité et à la rentabilité de l'aide fournie. Le CICR sait que ce sont généralement les femmes qui ont la responsabilité de répondre aux besoins alimentaires de leur famille. Leur participation est donc indispensable pour déterminer le type et la quantité de nourriture que distribuera l'institution, ainsi que les lieux où établir des points de distribution, pour des raisons de sécurité et d'accès.
L'expérience a démontré que lorsqu'on demande aux femmes leur contribution directe, leur point de vue et leurs priorités sont différents de ceux des hommes qui prétendent parler en leur nom. C'est le cas en Casamance, au Sénégal, où les femmes participent à des réunions communautaires. Lors de ces réunions, le CICR veille à ce qu'elles puissent se faire entendre, et il s'est avéré que leur perception renforce notre capacité de répondre aux besoins de la population en général.
En saisissant l'occasion de la Journée internationale de la femme pour attirer l'attention sur les femmes déplacées, le CICR donne la parole à celles qui font face activement à la situation douloureuse qu'elles vivent, révélant ainsi leur force et leur capacité de surmonter des souffrances terribles et, au bout du compte, d’en ressortir encore plus fortes.
Comment le CICR tient-il compte du fait que les besoins des femmes sont souvent différents de ceux des hommes ou des enfants ?
Nous avons conscience des façons particulières dont les conflits et les déplacements touchent les femmes – par des dangers et des menaces spécifiques, mais aussi par la transformation sociale qui peut s’opérer lorsqu'elles assument de nouvelles responsabilités. Il est évident que les femmes, les hommes, les garçons et les filles sont exposés à des risques différents. Si la grande majorité des personnes tuées, détenues ou disparues en temps de guerre sont des hommes, les femmes sont de plus en plus souvent prises pour cibles en tant que civils et exposées à des violences sexuelles.
Nous avons acquis une compréhension plus fine et plus complète des rôles, des responsabilités et des expériences des femmes et des hommes. Cela nous permet d'adapter plus précisément notre action à leurs besoins spécifiques dans les situations de conflit.
Nadine Puechguirbal
"Les femmes déplacées doivent souvent parcourir de longues distances pour trouver de l'eau, de la nourriture...et d'autres articles essentiels. Ce faisant, elles s’exposent à de grands risques tels que subir des violences sexuelles..." "S'il est certain que les femmes endurent bien trop souvent des violences et des cruautés atroces en temps de guerre, il me paraît important d'aller au-delà de cette image pour comprendre pleinement le sort difficile qui est le leur..." "...lorsqu'on demande aux femmes leur contribution directe, leur point de vue et leurs priorités sont différents de ceux des hommes qui prétendent parler en leur nom."
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