Dans notre activité
clinique avec les enfants, les adolescents, et les familles, nous constatons,
au quotidien, que beaucoup de souffrances psychiques sont la conséquence d'un
traitement aléatoire, falsifié, fantaisiste, voire contradictoire, de
leur histoire personnelle. Une grande partie de notre travail consistera, au
fil des rencontres, à faire émerger, dans les récits qui se déploient en
toute liberté, des pensées, des souvenirs, des "aveux", l'expression
de fantasmes, de dénis, de contradictions, qui éclaireront sous un jour nouveau
certains vécus douloureux, des questionnements obsédants, des angoisses
persistantes. Les symptômes qui amènent ces jeunes ou leur famille à nous
rencontrer sont aussi bien des difficultés scolaires, sociales, somatiques, et
dans les familles des problèmes relationnels :
Bastien, depuis tout
petit, avait entendu sa mère lui dire qu'il était le fruit d'une rencontre avec
un bon ami, « de passage », qui s'était « enfui », quand il
avait appris qu'elle était « tombée » enceinte. Des proches, souvent
des amis de sa mère, soulignaient à quel point il ressemblait à son frère aîné,
issu, lui, d'un mariage précédent. Comme il avait compris très vite que le
sujet était plus que délicat, il s'était dit qu'un jour sans doute,
quelle que soit l'option à retenir, il finirait bien par connaitre la vérité.
Mais, à l'adolescence, à la faveur d'un conflit un peu plus violent que les
autres avec sa mère, celle-ci lui « balança » que, décidément,
« il ne pouvait être que « mauvais », vu les conditions
dans lesquelles il avait été conçu, c'est à dire dans l'inconscience et la
violence, avec un inconnu... une « brute », un « fou ». Cet
épisode douloureux de sa vie sera suivi d’un long temps de confusion et
d’agitation. Il aura fallu, pour que Bastien retrouve un certain équilibre et
une meilleure relation avec sa mère, qu’elle accepte de revenir, en sa
présence, avec des paroles apaisées et bienveillantes, sur l’énigme de ses
origines. Elle devait, par là même, revisiter sa propre histoire et dérouler
avec sincérité le récit d'un autre scénario, dans lequel elle ne jouait
forcément pas le « beau rôle », et ou son « partenaire » n'était
pas forcément le « monstre » supposé. Peut- être cette crise était-
elle nécessaire pour créer dans leur relation, si fusionnelle aux dires de
tous, un peu d’espace, et leur permettre de s’éloigner sans violence. Leur
histoire commune inscrite sous le sceau du secret, du déni, et du silence, les
ligotait l’un à l’autre dans une souffrance muette.
L’histoire que nous livre
Marion, comme celle de Bastien, mais peut être plus encore, est lourde de
secrets et de mensonges :
C’est à l’occasion d’une
demande d’IVG, que nous la rencontrons. Elle a 16 ans et vient à l’hôpital avec
son ami, après beaucoup d’hésitations. « Moi je voulais le garder, c’est mes parents qui n’ont pas voulu, ils
disent que je suis trop jeune et que je n’ai pas de travail. Mais avec mon
copain on était fou de joie. D’abord on ne l’a dit à personne, on a passé une
semaine de rêve, mais après je l’ai dit à ma mère et là elle m’a dit « on va te faire avorter ». Je l’ai haïe, les parents on ne sait jamais ce qu’ils ont dans la tête,
enfin je dis mes parents, mais c’est mon oncle et ma tante.
Manon évoque alors un imbroglio
familial où l’on peine à se retrouver : « Quand j’ai eu 8 ou 9 ans, dit-elle, on m’a appelée. Il y avait
aussi mon oncle, enfin celui que je croyais mon oncle et on m’a dit : ton
oncle c’est ton père, ton père c’est ton oncle et ta tante c’est ta
mère ».
On comprend que Manon,
dont la mère biologique est partie quand elle avait 6 mois, a été élevée par
son oncle, le frère de son père, marié avec sa tante, la sœur de sa mère !
Mais les choses se compliquent encore puisqu’un soir de colère, alors qu’elle
venait d’avoir 14 ans, son père (« mon
vrai père » dit-elle) lui assène qu’il n’est en fait pas son
père car il épousé sa mère alors qu’elle était enceinte d’un autre…
C’était il y a deux ans.
Confusion absolue, chaos. Manon parle de cette révélation comme « d’un sale coup fait par sa mère biologique »
à qui elle ne pardonnera jamais, déversant sur cette mère définitivement
absente, toute l’agressivité et la colère qu’elle peut porter à l’encontre d’
adultes si peu fiables.
La naissance de l’enfant de
sa cousine (qu’elle croyait sa sœur), coïncide avec cette révélation. Au milieu
de tous ces mensonges, de tous ces secrets, Manon semble avoir trouvé auprès de
ce bébé, qu’on lui confie souvent, un réconfort certain, comme une manière
d’adoucir par la tendresse qu’elle lui témoigne toute la violence de son
histoire. C’est là, dit-elle, qu’elle situe son désir d’avoir un enfant à elle.
On peut supposer que chez
Manon, ce désir d’enfant réparateur, restaurateur, enfant idéal et parfait,
s’inscrit dans le trouble qui est jeté sur son identité par des révélations
successives, réactivant l’image archaïque de la mauvaise mère, qui non
seulement l’a abandonnée quand elle avait 6 mois, mais qui en plus la conçu
avec un géniteur qu’elle ne pourra sans doute jamais reconnaitre. Mais son
désir d’enfant, qui aujourd’hui a pris corps, qui est devenu un projet très
concret, se heurte à la réalité de ses
parents qui le trouve inacceptable. Cette injonction suscite
d’abord chez Manon de la révolte mais ensuite l’adhésion : « je suis
d’accord dit-elle, mes parents c’est eux qui ont raison ».
Peut- être cette IVG
« sacrifice » que Manon consent à ses parents est –elle là aussi pour confirmer qu’elle
est bien leur fille ? Se soumettant à leur volonté, à leur
« loi », elle réassure le lien de filiation qui les unit, réassurance
absolument nécessaire qui tempère l’épreuve de l’IVG.
Ces deux exemples
témoignent de l’immense difficulté et du flot de souffrances, que représente le
fait de grandir dans un "climat" de secret, de mensonge et de
fantasme, autour leurs origines.
Mais nous rencontrons
aussi des familles qui semblent fonctionner avec l'exigence d'une loi
intérieure tyrannique où le déni et la culpabilité tiennent une grande place, à
l'insu même de leurs membres. Les limites qu’impose, dans sa réalité et son organisation, toute vie en
société, sont alors inefficaces car inenvisageables. C'est le cas notamment de
ces enfants qui nous apparaissent, de plus en plus souvent, installés à une
place d’objet « fétiche », objet narcissique de leurs parents
incapables de leur fournir une réelle autonomie dans leur développement,
entravant leur évolution psychique, hypothéquant alors une réelle sécurité
intérieure.
Dans notre pratique
clinique il est clair que toutes
les configurations familiales peuvent nous donner
l'occasion de mettre en lumière des problèmes de filiation, qu’ils soient
d’origine génétique ou psychique.
Dans le débat actuel
concernant le développement des modalités, médicales ou non, de conception
d'enfants –PMA, GPA- notre position de consultants et de thérapeutes n'est pas
de délivrer des « certificats de normalité », tant sur les pratiques
sexuelles que sur les choix individuels de conception d'enfants et... de
familles.
En revanche nous voulons témoigner de la nécessité impérieuse , pour un développement psychique des enfants le plus harmonieux possible, et quelques soient les conditions de leur conception, de leur tenir un discours de vérité, de sincérité et de confiance, au fur et à mesure de leur évolution, dans la famille et dans la société en général.
En revanche nous voulons témoigner de la nécessité impérieuse , pour un développement psychique des enfants le plus harmonieux possible, et quelques soient les conditions de leur conception, de leur tenir un discours de vérité, de sincérité et de confiance, au fur et à mesure de leur évolution, dans la famille et dans la société en général.
La conception d'un enfant n'est pas qu'une affaire
de biologie et de génétique, de même que la conception d'un couple parental
n'est pas qu'une affaire sociale et juridique.
Si la Loi
doit organiser les règles permettant aux individus de vivre en société,
elle doit aussi protéger leur cadre de vie, notamment celui des enfants, en
leur donnant toutes les possibilités de développer leur identité et leur
sécurité. Ils pourront alors d'autant mieux s’affirmer en tant que sujet et
assumer leur différence, au sein de leur famille d’abord puis dans leurs
groupes d'appartenance ensuite.
Rien n'est plus
enrichissant pour le développement d'un enfant...et de tout sujet en général,
que l'ouverture à l'autre, à la différence, dans le respect de la singularité
de chacun, mais sans oublier de faire usage de ces deux outils fondamentalement
humains que sont l'écoute et la parole de vérité.
Béatrice Copper-Royer et Francis Moreau.
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