Réforme du rail en Europe: la bataille va commencer
Une nouvelle bataille pour l'avenir du rail européen va commencer. Et avec elle, les combats pour la transition écologique, les transports durables, pour l'équilibre des territoires, l'interconnexion en Europe et la qualité des services publics ferroviaires vont voir s'ouvrir un nouveau front.
Demain, Siim Kallas, le Commissaire européen en charge des transports, qui brille souvent par l'implacable rigidité de ses positions, pourrait donner à son dogmatisme désormais reconnu un air de victoire. Un air, seulement. Car si l'intérêt général devrait être le saint-graal de sa politique, le bon sens devrait quant à lui en être la vertu, plutôt que le grand absent.
Sa proposition de réforme du secteur ferroviaire européen, couramment appelée le "IVème paquet ferroviaire", visant la libéralisation du transport ferroviaire de passagers et le découplage entre les gestionnaires d'infrastructures et les opérateurs de services ferroviaires - ainsi que la mise en place de normes de sécurité et d'interopérabilité - est donc à l'agenda du Collège des Commissaires, en dépit des efforts allemands et français pour le faire reculer.
Si certaines sources proches de la Commission semblent indiquer que sur un aspect au moins, celui du dégroupage, le Commissaire devrait faire un pas en arrière, ce pas parait pour le moment relativement dérisoire, l'essentiel de la substance devant rester intact.
Jugé malvenu par les allemands, qui devraient entièrement revenir sur l'organisation de leur secteur s'il était adopté dans sa version originale, et les français, dont le gouvernement est sur le point d'amorcer une réforme prenant la direction diamétralement opposée et qui craignent, eux, l'ouverture de leur réseau à la concurrence, le IVème paquet ferroviaire demeure néanmoins le grand objectif de la DG MOVE pour cette fin de mandat.
Pourquoi? Parce que Siim Kallas croit dur comme fer à une équation jusqu'ici jamais démontrée: seule une concurrence accrue pourra permettre une diminution des prix et un report modal vers le rail - que par ailleurs nous appelons tous de nos vœux -, et sans le dégroupage, une véritable concurrence est impossible. Deux postulats que nous nous attèlerons ici à réfuter.
Si la réforme suscite donc des inquiétudes, à tort ou à raison, chez les opérateurs historiques, des voix écologistes, des voix de gauche, s'élèvent également, non pas contre la libéralisation par principe, mais pour l'intelligence politique et la prise en compte des réalités, au-delà de la croyance absolue dans les bienfaits de la concurrence.
Des voix s'élèvent pour que ce soient les citoyens, les travailleurs et les régions qu'ils habitent qui profitent en premier lieu de cette réforme, et non le principe de concurrence tout seul, dont nous avons peu à faire s'il n'est pas au service d'un meilleur service public, de transports durables et de qualité, de conditions d'emploi décentes.
Le premier pan de ce paquet donc, sur la mise en concurrence, modifierait les règles concernant les contrats de service public, généraliserait l'obligation des appels d'offres à quelques exceptions, et obligerait les Etats-membres à assurer l'accès non discriminatoire des opérateurs de services au matériel roulant. Conformément aux règles du marché intérieur, toutes entreprises européennes pourrait donc participer à tout appel d'offre.
Soyons honnêtes, l'expérience de la concurrence dans le fret ferroviaire et dans le transport international de voyageurs, déjà d'actualité, démontre qu'il n'y a simplement aucun lien de causalité entre la libéralisation et l'augmentation du trafic, l'augmentation de la part modale ou la diminution des tarifs, mais que ces variables dépendent en réalité d'autres facteurs: premièrement, le volume et le type d'investissement fait par les autorités publiques, deuxièmement, la volonté politique et la cohérence générale des politiques ferroviaires au niveau national, enfin, les règlementations sociales applicables en matière de rachat et de reprise du personnel.
Les écologistes ne défendent pas une position dogmatique, mais une posture de bon sens. Oui, il peut être intéressant, lorsque le service public est défaillant, notamment sur les tronçons transfrontaliers ou dans les zones rurales, de tenter des appels d'offre en vue de garantir un service manquant, mais globalement, restons réalistes, le secteur ferroviaire demeure peu rentable aux vues des lourds investissements qu'il demande. Des investissements publics sont donc impératifs, et l'ouverture totale à la concurrence a peu de chances d'améliorer le résultat.
Par ailleurs, si nous défendons le meilleur service pour les citoyens, nous défendons aussi les meilleures conditions d'emploi pour les travailleurs européens. Or, l'obligation de procéder à des appels d'offre les mettra en concurrence, et pourrait avoir, sans garde-fous sociaux, des conséquences désastreuses. Faisons les choses dans le bon sens, l'Europe sociale n'attendra plus.
Parallèlement à la libéralisation, le paquet contiendrait, dans sa première mouture, la séparation totale entre le gestionnaire d'infrastructure et les opérateurs de service, couramment dénommé le "dégroupage total". En étendant les fonctions du gestionnaire d'infrastructure, le texte rendrait impossible l'exercice des deux activités par un groupe intégré moyennant une simple séparation comptable de ces activités, comme c'est par exemple aujourd'hui le cas en Allemagne.
Cette disposition mérite que l'on s'y attarde. Siim Kallas, déterminé à démanteler le modèle allemand, qu'il accuse de permettre des financements croisés, c'est à dire d'utiliser in finel'argent public pour financer les activités commerciales de la Deutsch Bahn fait preuve d'une obsession peu compréhensible.
De fait, divers travaux démontrent qu'il n'y a pas de lien de cause à effet entre la séparation verticale et le degré d'ouverture du secteur ferroviaire à la concurrence. On a donc du mal à comprendre cette obstination, surtout quandses conséquences pourraient être désastreuses : un désalignement des stratégies poursuivies par les deux secteurs, c'est-à-dire un gestionnaire d'infrastructures qui poursuit ses propres objectifs, et un opérateur de service les siens, c'est comme un corps dont les deux jambes ne décident pas de marcher dans la même direction, ça finit par trébucher... Pour que les deux secteurs soient transparents, nous n'avons pas besoin qu'ils deviennent aveugles.
Après des rumeurs sur un éventuel report du paquet, un assouplissement de l'obligation de dégroupage, la Commission parait aujourd'hui rester ferme sur le fond: le rail européen devra être concurrentiel et sa gestion dégroupée.
Nous, écologistes, nous voulons la transition vers une mobilité durable, articulée autour de l'efficacité, du report modal vers les modes de transport les plus propres et de la réduction du trafic. Nous voulons des conditions d'emploi décentes, lutter contre le dumping social, une qualité de service public élevée, une justice écologique qui intègre les coûts environnementaux dans les prix des transports.
Nous appelons la Commission européenne à la raison, les dogmes sont des illusions, jamais ils n'ont servi l'intérêt général.
Le but, c'est l'interconnexion, pas la compétition. Le but, c'est le service public, pas la concurrence. Le but enfin, ce sont des transports propres et intermodaux, pas des transports concurrencés. Siim Kallas a oublié que la concurrence n'est qu'un outil, et qu'un outil ne sert à rien sans l'intelligence humaine pour l'utiliser, pour l'utiliser à une fin, une fin sensée et crédible.
L'Europe du rail doit être celle des solutions écologiques et sociales, C'est cette vision que nous sommes prêts à défendre, au Parlement européen, durant l'année qui vient.
Jean-Jacob Bicep, député EELV au Parlement européen
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