Passé recomposé
Une ligne de basse synthétique jouée
en boucle, un beat métronomique, des accords de guitare évanescents et
cette voix, brisée, revenue d’entre les damnés. «What are you fighting
for?» – «pour quoi te bats-tu?» interroge- t-elle sur «Broken English».
Lorsqu’elle déboule sur les ondes fin 1979, cette chanson accomplit un
triple tour de force: elle met fin à une dérive junkie de plusieurs
années qui a conduit Marianne Faithfull à vivre à la rue; elle rompt
avec l’image de muse blonde romantique des Stones qui l’emprisonnait et
frustrait ses aspirations artistiques; enfin, elle invente une icône
new-wave dans un univers musical qui a complètement changé avec
l’irruption cubiste et tranchante du punk. La musique, le business,
l’esthétique... Marianne Faithfull a bien l’intention d’assumer ses
rides (33 ans, une éternité) et ses ratures. Broken English est
donc plus qu’un disque pop, c’est le manifeste d’une artiste en pleine
affirmation. Musicalement – cette version Deluxe remastérisée et
augmentée de divers bonus et du mix original le confirme –, l’album a su
capturer un son et une énergie qui devaient tout à leur époque:
terrorisme (la chanson titre s’adresse à Ulrike Meinhof de la RAF),
féminisme («Witches’ Song», ode aux «sorcières» honnies) et lutte des
classes (reprise du «Working Class Hero» de Lennon). Si la production a
par endroits pris un coup de vieux (le funk noctambule de «Guilt» et son
sax strident), des chansons comme «Broken English» et la synthétique
«Ballad of Lucy Jordan», popularisée des années plus tard par le film Thelma et Louise, suscitent toujours la même adhésion admirative.
Roderic Mounir
Roderic Mounir
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