Portraits de la médiation numérique – Mehdi Naïli – Animer un lieu public de rencontres et de liens en zone rurale montagneuse
« Animer un lieu public de rencontres et de liens en zone rural montagneuse »
Mehdi Naïli travaille à l’Espace Public Internet (EPI)
– Valdec’Quint, localisé à St Julien en Quint (Drôme). Espace de
rencontre situé au cœur d’une commune étendue de 150 habitants,
elle-même située dans la vallée de Quint (400 habitants).
Cet espace propose 4 postes informatiques en « libre service » et un
ordinateur portable permet de réaliser des opérations plus
confidentielles (télédéclarations) dans un espace dédié. Mehdi,
animateur, est présent deux jours et demi par semaine.
A l’extérieur, il y a un « petit carré vert » que Mehdi fait fleurir.
Il y installe des tables pour que les personnes puissent s’y poser et
profiter de l’extérieur – et quand l’EPI est fermé, les gens ont accès
au WIFI qui reste connecté, une table et des chaises sont laissées à
l’usage de tous.
C’est avant tout un lieu de rencontre. Au moment de l’entretien, des
mamans et des enfants sont présents, en train de fabriquer des
instruments de musique. Cet espace accueille également un bar
associatif, une médiathèque, une ludothèque, des soirées y sont
régulièrement organisées,
C’est aussi un lieu
d’information, on peut y poser des petites annonces, y trouver des
informations sur les démarches administratives, par exemple les
déclarations d’impôts. C’est un lieu public ouvert à tous, dans lequel
on peut faire des choses très différentes.
Cet
espace multi-ressources appartient à la commune mais la gestion de cet
espace a été confiée à une association, comme garantie du dynamisme du
projet.
Qui sont les personnes qui viennent dans l’espace ?
Ce sont beaucoup de personnes de la commune, puis des personnes de deux
des trois autres villages (Saint-Andéol, Vachères-en Quint, et
Sainte-Croix), plus on est proches, plus on vient facilement ; les
personnes de Sainte-Croix, les plus éloignées, vont plutôt à Die.
Viennent également des habitants de Marginac, village situé de l’autre
coté du col, à 6 km, car ils n’ont pas l’ADSL, et ils sont contents de
ne pas devoir aller jusqu’à Die.
Nous sommes en milieu rural donc
nous accueillons des gens de tous âges : ça va de 2 ans (même si cela
n’est pas pas pour de la pratique informatique) à plus de 70 ans.
Quels sont les lieux ouverts à tous, publics ou privés qui existent sur la commune ?
Il n’y a plus aucun commerce fixe dans toute la vallée, plus de café
(la licence est à reprendre). Un épicier vient une fois tous les 15
jours, le boulanger deux fois par semaine. La mairie est ouverte et a
une permanence une fois par semaine. Et il y a une école avec classe
unique active, avec 19 élèves en primaire.
Que viennent faire les gens à l’EPI (qui a donné son nom au Centre multi-ressources..) ?
J’ai senti la façon dont, avec l’ouverture de l’EPI, on retrouvait un
lieu où on pouvait venir sans avoir prévu de choses précises et
rencontrer d’autres personnes. Ce lieu répond au besoin de se
rencontrer. On vient à l’EPI pour boire un verre, lire une BD… faire de
l’ordinateur.
Certes, tous les habitants ne sont
pas encore venus. Sur les 2 jours ½ par semaine d’ouverture, nous avons
environ 90 visites par mois et près de 100 adhérents – qui sont pour
plus de la moitié de la commune. Une fréquentation dont nous n’avons pas
à rougir je pense !
Qu’est-ce qui se passe dans cet espace ?
Je suis présent deux jours et demi par semaine. J’anime un atelier
collectif hebdomadaire (les jeudis), sur un usage précis : cela va de
l’utilisation de la visiocommunication à l’usage des mails, en fonction
des demandes des gens. Mais comme on n’est pas en ville, c’est difficile
de réunir beaucoup de personnes sur un même thème au même moment. En
revanche je fais beaucoup d’accompagnement individuel. Les personnes
arrivent en disant :« Tiens, j’avais envie de faire ça… tu peux
m’aider ? ».
La dernière fois une agricultrice
devait commander des bandes pour son semoir qui ne peuvent se trouver
qu’en Allemagne. Nous avons fait les recherches ensemble. Elle s’est
initié à l’informatique grâce à l’EPI pour répondre à des besoins
concrets qu’elle rencontre dans son quotidien.
J’ai l’impression que nous répondons à un besoin clair et que les demandes des personnes sont très diversifiées.
As-tu des particularités en terme de propositions faites ?
Je mets en avant les outils et logiciels libres. Je profite de mon
métier pour élargir l’usage de ces logiciels libres – maintenant je
partage mon enthousiasme là-dessus.
Souvent des
usagers font la bascule quand ils ont des soucis avec leurs ordinateurs,
ils se rendent compte des avantages offerts. Pour moi c’est aussi un
rôle de prévention à jouer, notamment dans les explications autour des
problèmes de protection des données personnelles.
Comment raconterais-tu ton travail à une personne qui n’a jamais rencontré un animateur multimédia/numérique ?
Ce que je mets en avant c’est la façon dont je crée du lien. Je suis un
animateur, j’aide les gens à se rencontrer, à échanger et je donne des
outils aux personnes pour qu’elles concrétisent leurs envies. Je fais
beaucoup de mise en relation.
Pour moi
l’informatique, c’est un outil superbe, pour peu qu’on le maîtrise un
tout petit peu, qui peut faciliter des projets, des pratiques.
Qu’est-ce qui est important dans l’existence d’une structure comme la tienne ?
C’est un des rares lieux où n’importe qui peut entrer, rencontrer des
gens, avoir quelqu’un pour l’écouter. C’est un lieu public, avec une
demande forte de relations.
Le besoin initial
c’est l’envie de se rencontrer, mais aussi de ne pas se sentir à la
marge. Ce qui se passe dans ce lieu valorise les gens. Par exemple, des
personnes ont mis en valeur leurs activités en créant leur site
internet, d’autres reprennent confiance en leur capacité de « se mettre à
la page ».
C’est aussi une ouverture sur le
reste du monde, cela permet de décloisonner son lieu de vie. Nous sommes
dans une petite vallée isolée, au sein d’un territoire isolé, au pied
des montagnes, au fin fond de la Drôme. L’EPI, c’est le moyen de rester
connecté avec les autres et, au niveau local, l’occasion d’échanger
facilement.
Par exemple pour les démarches
administratives, Internet va faciliter la vie, car d’ici, Crest, la plus
proche ville de taille moyenne, c’est à 40 km !
Mon contrat se termine à la fin de l’année et les personnes commencent à
s’inquiéter sur le devenir de l’espace et de ce qui s’y passe.
Comment es-tu arrivé à ce poste ?
J’ai fait des études de langues étrangères : anglais, allemand,
espagnol. Suite à quoi je suis venu dans le Diois pour travailler sur la
coordination d’un réseau d’écoles européennes afin de construire un
projet pédagogique de rencontres entre classes du primaire. Après j’ai
passé une licence de FLE et je suis parti en Géorgie et en Hongrie
pendant 2 ans. Je suis revenu à Crest, en m’investissant dans des
fermes, dans le milieu associatif local. J’ai entendu parler des
animateurs TIC, du développement des EPI et cela m’a intéressé. J’ai
alors décidé de candidater et suis arrivé ici à Saint-Julien-en-Quint il
y a près de deux ans maintenant.
Avant de commencer, que pensais-tu sur ce métier d’animateur numérique ?
Une des craintes que j’avais, c’était de ne pas être assez technique et
en fait en creusant je me suis rendu compte que les compétences sont
doubles : animation et technique. Pour moi le point commun, le fil rouge
de mon parcours professionnel, c’est l’animation, la transmission de
savoirs.
Quelles sont les qualités essentielles à avoir pour bien faire ce métier ?
De la patience, sinon c’est mort ! Et puis être pédagogue, cela veut
dire être capable de se mettre « dans la peau » de la personne, de
comprendre ses références, ce qu’elle recherche, de mettre en
correspondance les outils correspondants et présenter les choses de
manière à ce qu’elle puisse se les approprier naturellement.
Comment vois-tu évoluer ce métier ?
Je me rends compte que plus l’informatique est utilisée et plus il y a
besoin de médiateurs, c’est à dire besoin de quelqu’un pour aider à
faire. Les gens ont l’accès mais il n’ont pas forcément les
connaissances qui vont avec. J’ai l’impression que, souvent, leurs
pratiques restent limitées à leurs « premières pratiques », un usage
« 1er degré » et quand ils ont des blocages techniques, ils ne vont pas
être en mesure de faire l’effort de comprendre comment le logiciel
fonctionne. Car cela demande du temps, c’est vrai.
L’atout du médiateur c’est qu’il a des connaissances, un savoir-faire
et il va permettre à la personne d’acquérir rapidement des connaissances
pour son propre usage.
Ce besoin me semble perdurer dans le temps, en même temps que les évolutions technologiques.
- Mehdi s’est tiré le portrait…
Comment s’articule sur le territoire le lien entre le numérique, le développement local ?
L’association qui porte l’espace a une vocation d’animation locale et
pour financer l’EPI on organise régulièrement des événements. Par
exemple, en mai on fait un spectacle de contes, financé par un Loto,
lui-même organisé pour le financement de l’EPI. Tout se tient !
J’ai aussi proposé à l’association un projet de marché festif bio, en
lien avec l’association et l’EPI. Cet événement pourrait avoir lieu les
étés sur la commune de Sainte-Croix et servir à la fois à mettre en
avant les producteurs bio du Diois, à promouvoir les alternatives, à
créer de la rencontre, et à proposer une soirée festive.
J’ai utilisé le numérique pour sonder les producteurs, et le Net
pourrait avoir toute sa place à nouveau pour la communication de
l’événement et la valorisation du travail des producteurs (portail
internet, boutique en ligne…).
Comment tu travailles au sein de tes réseaux ?
On a fait une rencontre des EPI du Diois et du Dieulefiltois, tous des
espaces ruraux, à une plus petite échelle, qui se situent dans un cadre
« commun », nous avions besoin de pouvoir discuter entre personnes
confrontées aux mêmes problématiques. On réfléchit à un projet de
cartographie sur le territoire, qui reposerait sur Open Street Map.
Comment souhaites-tu évoluer professionnellement ?
Une de mes idées c’est de continuer à réfléchir à l’évolution du
projet, dans la perspective dans laquelle l’espace a été construit
pendant deux ans. Un travail important a été réalisé pour se faire
connaître, pour accompagner des gens au quotidien, des gens très
différents. Aujourd’hui des personnes qui ne se rencontreraient pas
ailleurs se croisent. J’aimerais contribuer à réorienter les objectifs
du projet associatif sur des questions de territoire, d’animation
locale, avec une dimension liée à l’agriculture. En fait j’aimerais que
le projet soit dans cette articulation entre besoins du territoire et
l’outil numérique comme ressource.
Tu aurais une histoire qui résume le sens donné à ton travail ?
Ce n’est pas une histoire mais une expression que j’entends souvent et
qui me semble résumer ce qui se passe ici : « Ah ben tiens, faut venir à
l’EPI pour se voir ! ».
Avant de finir, un mot sur un sujet que tu aurais aimé aborder ?
Je n’ai pas parlé de mon inquiétude commune à beaucoup d’espaces
(notamment de la Drôme) et qui est liée à la pérennisation. Pendant ces
deux ans, j’ai fait plein de projections, j’ai mis en place plein de
choses, et maintenant plus le temps se réduit avant la fin de mon
contrat plus c’est compliqué de croire, imaginer et se projeter. Cela
fait partie de la réalité concrète. Je crois que pour avoir des
personnes qui se bougent, en lien avec les gens, il y a besoin d’une
certaine sécurité. Une sécurité qui permet d’envisager l’avenir à moyen
terme.
Posté le 3 juin 2012 par
©© a-brest, article sous licence creative commons cc by-sa
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