Bibia PAVARD, « Les Éditions des femmes. Histoire des premières années, 1972-1979 » Paris, L’Harmattan, 2005, 221 pages.
- Les éditions des femmes ont été créées en 1972 par le groupe Psychanalyse et Politique, une des composantes du mouvement de libération des femmes (MLF), animé par Antoinette Fouque, professeure de lettres, qui s’est ensuite tournée vers la psychanalyse. Lors d’une conférence de presse inaugurale en avril 1974, il est question des femmes, « peuple sans écriture », qu’il faut encourager à prendre la parole et la plume pour proposer une nouvelle vision du monde.
- De nombreuses sources ont été sollicitées pour explorer un sujet peu abordé jusque là. Bibia Pavard a pu avoir accès aux archives des éditions des femmes. Elle a exploité un corpus abondant d’articles de presse, de textes, de tracts et réalisé des entretiens avec d’anciennes collaboratrices de la maison d’édition, des auteures, ainsi qu’avec Antoinette Fouque et Françoise Picq, figures du Mouvement des femmes (1). C’est dans une perspective d’histoire culturelle que sont abordées les sept premières années de « cette aventure des éditions des femmes » présentées en trois séquences chronologiques.
- Les débuts – « la venue à l’édition » 1972-1974 – sont l’occasion d’un rappel sur les pratiques culturelles des Françaises de l’époque et le manque de reconnaissance des intellectuelles. Les années 1960 voient cependant des initiatives comme la collection « femme » dirigée en 1964 par Colette Audry chez l’éditeur Denoël-Gonthier. La naissance des éditions des femmes s’inscrit dans un contexte de boom éditorial, lié au bouillonnement intellectuel des années 1970 ; ce projet qui se veut en rupture avec les pratiques « bourgeoises », est financé par une riche héritière, proche d’Antoinette Fouque.
- Les années 1974-1976 sont celles de l’essor d’une maison qui veut publier « tout le refoulé, le censuré, le renvoyé des maisons d’éditions bourgeoises ». Avec quatorze titres en 1974, dix-sept en 1975, et quarante et un en 1976, l’entreprise se porte bien et certains livres – comme Hosto Blues de Victoria Thérame –, rencontrent un réel succès. C’est aussi le cas de la collection pour enfants lancée en 1975 avec l’auteure et éditrice italienne Adela Turin, et des livres comme Rose Bombone ou Les filles (Agnès Rosenstiehl) qui renversent, de manière ludique, les stéréotypes de la littérature enfantine. Mais le niveau global des ventes demeure modeste, d’autres ouvrages étant moins accessibles. Les éditions des femmes se veulent en effet un lieu d’impulsion d’une écriture féminine, idée chère à Hélène Cixous, auteure emblématique de la maison. Avec une professionnalisation du travail, les choix éditoriaux affichent clairement une dimension militante et une ouverture internationale. C’est le cas avec Crie moins fort les voisins vont t’entendre, livre de l’anglaise Erin Pizzey préfacé par Benoite Groult,qui dénon cela violence domestique ; la publication de Journal et lettres de prison d’Eva Forest, opposante au régime franquiste, intervient dans le sillage d’une campagne de soutien aux emprisonnés espagnols. Certaines traductions deviennent de véritables best-sellers, comme Du côté des petites filles de l’italienne Elena Gianini Belloti ou La petite différence et ses grandes conséquences de l’allemande Alice Schwarzer. Afin d’améliorer sa visibilité, la maison d’édition ouvre, en mai 1974, une librairie à Paris dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés. Le lieu, à l’esthétique soignée, offre un choix d’ouvrages qui ne se limite pas aux ouvrages des éditions des femmes. Il en est de même pour les librairies ouvertes à Marseille en 1976 et à Lyon en 1977.
- Comment évaluer la réception des publications de cette jeune maison d’édition ? Bibia Pavart reconnaît que la tâche est difficile, faute de sources, et souligne un paradoxe : si l’accueil de la presse et des médias semble plutôt favorable, ce n’est pas le cas du côté des mouvements féministes. Aux différents théoriques, s’ajoutent en effet des conflits politiques et organisationnels comme celui qui a entraîné la fermeture de la librairie lyonnaise.
- Entre 1977 et 1979, les éditions des femmes connaissent, nous dit Bibia Pavard, à la fois une consécration et une mise en accusation. En 1977, est lancé un mensuel, Des femmes en mouvements, qui accorde une place importante à la dimension culturelle et à l’expression artistique des femmes. La maison redécouvre l’auteure brésilienne Clarice Lispector et propose même un inédit de Virginia Woolf. Mais les tirages stagnent : à la difficulté de fidéliser les auteures s’ajoutent une légitimité contestée par les féministes et la concurrence des collections « femme » qui se multiplient chez les éditeurs en quête de nouveaux marchés. La période est agitée avec des violences contre la librairie parisienne de la part de groupes anti-avortement et plusieurs procès, dont celui lié à la décision du groupe Psychanalyse et Politique de créer en 1979 une association portant le nom de MLF et d’en déposer la marque, un geste perçu comme une captation d’héritage par nombre de féministes. La maison d’édition qui prend alors le nom d’éditions des femmes-Antoinette Fouque continue ses activités en lançant les livres cassettes.
- L’empathie de Bibia Pavard à l’égard de cette entreprise originale, n’empêche pas un regard distancié qui pointe les contradictions et paradoxes d’une démarche à la fois militante et commerciale, utopique et pragmatique. Les éditions des femmes ont sans doute contribué à ouvrir un nouveau champ d’expression et de réflexion pour les femmes mais elles ne furent pas les seules à le faire. D’autres sources et d’autres pistes seraient sans doute à explorer, y compris dans l’analyse de trajectoires personnelles et collectives des actrices de cette histoire.
Notes
(1) Françoise Picq, Libération des femmes. Les années mouvement, Paris, Seuil, 1993.
Mathilde Dubesset, « Bibia PAVARD, Les Éditions des femmes. Histoire des premières années, 1972-1979 », Clio, numéro 29-2009, 68’, révolutions dans le genre ?, [En ligne], mis en ligne le 11 juin 2009. URL : http://clio.revues.org/index9311.html. Consulté le 03 mars 2010.
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