Manifestants à Istanbul (Turquie), le 31 mai 2013.
Mehmet Ali Poyraz/ZAMAN
Des centaines de
manifestants qui campaient dans un parc d’Istanbul pour empêcher le
déracinement de près de 600 arbres, ont été délogées à coup de canons à eaux et
de gaz lacrymogènes…
La dernière charge de la
police anti-émeute, envoyée pour ratisser le parc au petit matin, a laissé des
traces. "Ils ont utilisé une
brutalité démesurée, mais il en faudra plus pour nous décourager ", raconte,
Baris, 25 ans, barbu et la tignasse en bataille, en se massant le corps
endolori.
- Vendredi matin 31 mai,
après les avoir copieusement enfumés à grands renforts de gaz lacrymogènes, les
forces de l'ordre ont délogé manu militari quelque 300 personnes du parc de
Gezi, un espace vert situé au-dessus de la place Taksim, en plein cœur
d'Istanbul et menacé par un projet de construction de la mairie
Des dizaines de personnes
ont été blessées vendredi à Istanbul lors d'une intervention musclée de la
police turque contre un rassemblement dirigé initialement contre un projet
d'urbanisation controversé qui a viré en contestation politique. A l'aube, des
policiers en tenue antiémeute ont délogé à grand renfort de canons à eaux et de
gaz lacrymogènes quelques centaines de manifestants qui campaient dans un parc
de la place Taksim, au coeur de la mégapole turque, pour empêcher le
déracinement de quelque 600 arbres
dans le cadre d'un projet d'aménagement urbain. Depuis le début de l'occupation
du parc, mardi, plusieurs milliers de personnes sont venus témoigner leur
soutien : des associations culturelles, des syndicats, des groupes
d'artistes, d'étudiants, des défenseurs de la nature, des anticapitalistes,
quelques punks avec leurs chiens...
Et,
au-delà, tous les riverains stambouliotes ulcérés par la marchandisation du
centre-ville et le remodelage urbain mené par la municipalité à coups de
bulldozers.
A l'orée d'une troisième
nuit d'occupation, jeudi soir, ils étaient plus de 10 000 serrés sur les
pelouses, pour une assemblée générale à ciel ouvert. Le parc de Taksim a tout
pour devenir le point de départ d'une contestation inédite contre la politique
du gouvernement de Recep Tayyip Erdogan.
L'opposition l'a vite
compris. Plusieurs députés, dont le chef du Parti républicain du peuple (CHP),
Kemal Kiliçdaroglu, sont venus se montrer. Même au sein de la majorité, le
projet attire des critiques.
Au moins 63 personnes arrétées
Violente, l'intervention a
fait de nombreux blessés et suscité un mouvement de mobilisation dans la
société civile stambouliote, dont de nombreux militants ont rejoint le parc et
provoqué d'autres incidents. Toute la journée, la police et les manifestants se
sont affrontés sur la place et dans les rues environnantes, au milieu de
nombreux touristes et d'une épaisse fumée toxique qui a contraint les autorités
à fermer la station de métro de la place.
Des nombreux manifestants ont été blessés, victimes
de fractures ou de détresse respiratoire, certains gisant inconscients de
longues minutes avant d'être secourus.
Deux personnes, dont un journaliste, ont été sérieusement blessées à la tête, a
constaté un photographe de l'AFP. Selon le gouverneur de la ville Huseyin Avni
Mutlu, douze personnes étaient toujours hospitalisées en fin de journée et au
moins 63 personnes ont été interpellées. "Un de nos amis s'était accroché
à un arbre, ils l'ont roué de coups, il doit être opéré des testicules",
raconte Marti Büyüközden, une porte-parole de Solidarité Taksim, quelques
heures après l'intervention musclée. Mais les militants sont revenus, ils ont
replanté leurs tentes entre les arbres et ressorti les instruments de musique
qui n'avaient pas été brûlés par la police.
- Amnesty critique «le recours excessif à la force»
«Ils pulvérisent du gaz
sur tout le monde, comme si c'était du pesticide. Enfants, bébés, personnes
âgées, touristes, plus personne ne compte», a écrit Twitter l'un des
manifestants, sous le nom de "@blogcuanne". Amnesty International a
critiqué «le recours excessif à la force contre des manifestants pacifistes»,
pendant que Reporters sans frontières (RSF) dénonçait les «attaques ciblées»
des forces de l'ordre contre des journalistes.
- Le Premier ministre assure qu’il ne reculera pas
«Vous ne pouvez pas faire
ça. Vous n'êtes pas propriétaires de la ville, vous n'êtes pas propriétaires de
la Turquie», a lancé le député kurde Ertugrul Kurkcu, en assénant : «Ceux qui
servent le peuple ne peuvent pas le frapper ou le gazer.» Protestation ou pas,
le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan a fait savoir mercredi qu'il ne
reculerait pas : «Faites ce que vous voulez, nous avons décidé», avait-il lancé
à ses détracteurs.
- Nuit blanche pour des milliers de Stambouliotes
en colère contre le gouvernement
Des milliers de
Stambouliotes ont passé la nuit de vendredi à samedi dans la rue à défier la
police et ses grenades lacrymogènes après la violente répression d'un
rassemblement dirigé contre un projet d'urbanisation controversé, qui a viré en
protestation contre le gouvernement islamo-conservateur.
Dans plusieurs quartiers
du centre d'Istanbul, de nombreux groupes de manifestants ont déambulé jusqu'à
l'aube armés de casseroles pour battre la chamade contre le gouvernement du
Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, souvent encouragés par les riverains
depuis leurs balcons et leurs fenêtres, a constaté l'AFP.
"Tayyip, regarde
combien on est, face à toi", ont scandé les protestataires dans le
quartier résidentiel de Cihangir, sur la rive européenne de la métropole
turque.
Parmi eux, Özkan, un jeune
étudiant en philosophie, est particulièrement remonté contre le Premier
ministre et son cabinet. "Des salauds de fascistes", clame-t-il.
Pas seulement à cause du
déracinement prévu de 600 arbres dans un parc de la place de Taksim, toute
proche, pour y construire un centre commercial, un projet à l'origine du
mouvement de contestation, dont la répression vendredi a fait de nombreux
blessés.
"Les arbres, c'est
juste la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Les gens en ont ras-le-bol de
tout ce que ce gouvernement leur fait", commente le jeune homme,
s'indignant du vote la semaine dernière d'une loi restreignant la consommation
et la vente d'alcool.
Comme un geste de défi,
certains manifestants avancent dans les rues bière à la main.
"Ils veulent
transformer ce pays en un Etat islamiste, ils veulent nous imposer leur vision
en prétendant respecter le cadre démocratique", s'insurge une autre
manifestante, une femme d'une trentaine d'années qui refuse de donner son nom
mais dit travailler dans le cinéma.
Issu de la mouvance
islamiste, M. Erdogan est régulièrement accusé par les milieux pro-laïcité de
dérives autoritaires et de vouloir "islamiser" la société turque.
Dans d'autres quartiers
comme Beyoglu et Besiktas, toujours dans le centre européen d'Istanbul, la
confrontation avec les forces de l'ordre est plus musclée.
Massivement déployée, la police y fait un usage
immodéré de grenades lacrymogènes, auxquelles les manifestants répondent par
des jets de pierre.
Les rues sont jonchées de
pavés et de douilles de grenades. Quelques allées sont obstruées par des
barricades de fortune. Dans le ciel, un hélicoptère de la police observe les
mouvements des manifestants.
Les locaux d'un syndicat
servent de refuge à des centaines d'activistes entre deux opérations coup de
poing. Des médecins y ont installé un service de premiers soins, qui traite
principalement les irritations cutanées et respiratoires occasionnées par le
gaz lacrymogène.
D'autres militants y ont constitué une cellule de
crise.
"Nous essayons
d'envoyer des avocats quand il y a des arrestations, de fournir un soutien
médical, de réunir des informations", explique Me Can Atalay, un avocat du
barreau d'Istanbul.
Sur un tableau, un
activiste note les dernières informations sur les déplacements de troupes de la
police, les manifestations dans d'autres quartiers et d'autres villes, des
cités balnéaires de la mer Egée (ouest) aux communes des montagnes kurdes
(est), ou encore les adresses e-mail où témoigner de violences policières.
Les nouvelles de la
mobilisation sont encourageantes: "la police a refusé d'intervenir à
Edirne" (nord-ouest), "un bureau de l'AKP incendié à Izmir (ouest),
écrit le préposé.
"J'ai 62 ans, et
jamais je n'ai connu un tel espoir", affirme Mücella Yapici, architecte,
"j'ai de l'espoir pour la démocratie et pour la fraternité dans notre
pays".
A ses côtés, un jeune
militant, tout en muscles et en tatouages, parlant sous le couvert de
l'anonymat, se prend à rêver: "Il y a eu un printemps arabe, moi j'espère
que c'est le début du printemps turc".
- Manifestation en Turquie: Des gaz lacrymogènes
lancés sur la foule à Istanbul
Des milliers de
manifestants (500 000 personnes) défilent depuis vendredi pour protester
contre le gouvernement turc...
La tension est montée d'un
cran dans la nuit. La police turque a fait usage samedi matin de gaz
lacrymogènes aux abords de la place Taksim, dans le centre d'Istanbul, pour
disperser plusieurs centaines de manifestants au deuxième jours de violentes
manifestations contre le gouvernement turc, a constaté un journaliste de l'AFP.
- D'autres incidents signalés à Besiktas
Après un long face-à-face
avec des manifestants qui tenaient une barricade dans l'avenue Istiqlal, une
artère piétonne et commerçante qui mène à la place Taksim, les forces de
l'ordre ont tiré une salve de grenades lacrymogènes pour disperser la
foule. D'autres incidents ont été signalés un peu plus tôt dans la matinée
dans le quartier de Besiktas, lorsqu'un groupe de manifestants venus du la rive
anatolienne de la mégapole turque a traversé un pont sur le barrage et a été
dispersé par la police, ont rapporté les médias turcs.
Ce mouvement de
protestation, l'un des plus importants dirigés contre le pouvoir
islamo-conservateur depuis son entrée en fonction en 2002, est parti d'une
manifestation contre un projet d'aménagement urbain contesté à Istanbul et a
fait plusieurs dizaines dizaines de blessés vendredi à Istanbul.
Le premier ministre et ancien maire d'Istanbul
(1994-1999) a pour l'instant traité par le mépris cette mobilisation. "Ils peuvent faire ce
qu'ils veulent, notre décision est prise", a-t-il lancé, mercredi, en
inaugurant le chantier pharaonique du troisième pont sur le Bosphore, un autre
de ces projets fortement contestés et entrepris sans guère de concertation.
- "DES DIZAINES DE PROJETS DANGEREUX POUR
NOTRE VILLE"
"La place Taksim et
le projet de rénovation de la mairie sont extrêmement symboliques, note akif
Burak Atlar, le secrétaire de la chambre des planificateurs urbains. Quand on a
quelque chose à revendiquer, à crier, à célébrer, cela se passe toujours ici.
C'est le lieu des manifestations. Mais, pour Erdogan, aussi c'est un le lieu
d'expression d'une idéologie. Ce quartier vivant et festif représente tout ce
que le gouvernement déteste."
A l'emplacement du parc,
le gouvernement veut reconstruire les anciennes casernes de l'armée ottomane
qui avaient été détruites en 1940. M. Erdogan qui, pour beaucoup, est resté le
véritable maire d'Istanbul, a laissé entendre que ces casernes néo-ottomanes
pourraient aussi abriter un centre commercial. Istanbul en compte déjà des
dizaines. Pour couronner le tout, le chantier a été confié à un architecte,
Halil Onur, employé par la municipalité.
"C'est le plus
emblématique, mais il y a comme cela des dizaines de projets dangereux pour
notre ville", ajoute M. Atlar. Le pouvoir s'est lancé dans une frénésie de
construction à Istanbul, avec le troisième aéroport, prévu pour être le plus
grand du monde, la mosquée géante de Camlica ou encore les infrastructures à
ériger pour l'organisation des Jeux Olympiques de 2020, auxquels Istanbul est
candidate. Washington rappelle la
Turquie à l’ordre. Les Etats-Unis ont par ailleurs réagi après l’intervention
musclée des forces de l’ordre : "nous sommes préoccupés par le nombre
de gens qui ont été blessés lorsque la police a dispersé les manifestants à
Istanbul", a déclaré la porte-parole du département d’Etat, appelant son
allié turc à "respecter les libertés d’expression, d’association et de
rassemblement telles que ces personnes, visiblement, les exerçaient".
L’ONG Amnesty
International a également critiqué "le recours excessif à la force contre
des manifestants pacifistes", pendant que Reporters sans frontières (RSF)
dénonçait les "attaques ciblées" des forces de l’ordre contre des
journalistes.
V. C. (avec AFP)
Le nouveau visage d’Istanbul en débat
Le troisième pont sur le
Bosphore s'appellera Yavuz Sultan Selim, du nom du Sultan ottoman Selim 1er qui
régna de 1512 à 1520, grand conquérant qui mis notamment sous sa coupe
l'Egypte. Le chantier de cet ouvrage géant qui enjambera la mer au Nord
d'Istanbul, près de l'embouchure et de la mer Noire, a été béni et inauguré par
le premier ministre Recep Tayyip Erdogan et le président de la République
Abdullah Gül, ainsi qu'une bonne partie du gouvernement. L'enjeu est en effet
de taille pour les dirigeants turcs, et pas seulement parce qu'il va
désengorger le trafic automobile entre les deux rives de l'agglomération.
Outre le fait qu'il
célèbre une nouvelle fois l'ottomanisme triomphant, le jour anniversaire de la
conquête de Constantinople, le 29 mai 1453, ce pont contournera par le Nord la
ville d'Istanbul et reliera les autoroutes vers la Grèce et la Bulgarie, à
l'Ouest, vers Ankara à l'Est. Il comptera huit files de véhicules, plus deux
voies de chemin de fer. L'ouvrage coûtera environ 3 milliards d'euros. La
construction du "troisième pont", ne prendra pas plus de deux ans.
Les urbanistes notent qu'il accélérera le développement d'Istanbul vers le Nord
Ouest, la zone où doivent être construits le troisième aéroport, le plus vaste
du monde avec une capacité 150 millions de passagers annuel et dont le marché a
été confié début mai à un consortium d'entreprises turques mené par Limak, et
le village olympique, si toutefois Istanbul obtenait l'organisation des JO pour
2020...
Comme souvent sur ces
grands projets, le processus d'expropriation et de préparation, pour ce pont a
été mené sans concertation, les associations et les urbanistes dénonçant le
fait du prince. Et le nouvel axe de transports par le Nord aura surtout pour
conséquence d'étirer la ville d'Est en Ouest et de grignoter sur les rares
zones naturelles, notamment la forêt de Belgrade, le poumon d'Istanbul.
Au même moment un autre projet très contesté est à
l'agenda. Celui de la transformation de la place Taksim, place centrale dans
l'organisation sociale et urbaine de la ville. La grande municipalité d'Istanbul (IBB), qui reste
largement sous le contrôle de son ancien maire, Recep Tayyip Erdogan, a lancé
les grands travaux pour faire de cette place symbole, un vaste espace piéton et
commercial. Officiellement car le creusement de tunnels routiers aura surtout
pour conséquence, explique la Chambre des planificateurs urbains, de faire
converger plus d'automobiles vers la zone de Taksim.(plus de détails sur le
site de la plateforme de Taksim)
Au-dessus de la place, le
parc Gezi, rare espace vert du centre-ville, où l'on vient dormir dans l'herbe
et où les vieux viennent discuter autour d'un thé, est promis à la disparition.
La mairie veut y reconstruire d'anciennes casernes de l'armée ottomanes,
édifiées en 1780 et détruites en 1940 selon les plans de l'urbaniste français
Henri Prost. Encore une manifestation de cet ottomania. Le bâtiment, dont la
conception a été confiée à un employé de la municipalité, pourrait abriter des
résidences et également un centre commercial, a déclaré récemment le Premier
ministre Erdogan. Un "AVM" (alisveris merkezi, centre commercial) de
plus à Istanbul qui en compte déjà plus de soixante, parfois vides. Le parc
Gezi est considéré par le journal Radikal, qui a consacré plusieurs pages au
sujet ce matin, comme le Central Park, ou le Hyde Park d'Istanbul, même si sa
surface est beaucoup plus réduite. La place Taksim est le lieu de toutes les
célébrations, les cris, les rassemblements, les manifestations. Les autorités
ont d'ailleurs interdit celle du 1er mai qui termine traditionnellement à
Taksim et toutes les manifestations sur la place pendant un an.
Les émois suscités par la
destruction annoncée du parc Gezi ont appelé une réponse sèche de M. Erdogan:
"Ils peuvent faire ce qu'ils veulent, notre décision est prise",
a-t-il dit à l'inauguration du pont. Mardi, les bulldozers sont entrés en
action et ont commencé à abattre les arbres. Très vite, des dizaines de
personnes se sont rassemblées, alertées par Twitter et Facebook et ont commencé
à occuper les lieux. Depuis trois jours maintenant, le mouvement a grossi
jusqu'à rassembler près de 10.000 personnes jeudi soir, avant une troisième
nuit dans le parc. La police a pourtant tenté de "nettoyer" les lieux
en faisant usage de la force jeudi matin à 5h. Après avoir aspergé les
manifestants de gaz lacrymogène ils ont délogé 300 personnes, brûlé leurs
tentes plantées dans les pelouses. "Et même mon tambour", proteste
Akif, un jeune manifestant. Mais après quelques heures, tout le monde est
revenu. Plus motivé que jamais. Suivre le mouvement sur Twitter.
Ce mouvement "Occupy
Gezi" (suivre en direct vidéo) qui a été rejoint par des organisations
syndicales, culturelles, estudiantines, par des artistes et des élus, pourrait
donner lieu à un mouvement de colère inédit, par la forme et l'ampleur, contre
la politique du gouvernement (AKP) de Recep Tayyip Erdogan et la folie des
grandeurs qui s'est emparée des promoteurs. Le tout au coeur d'Istanbul, sur
cette place Taksim qui cristallise tous les enjeux.
Guillaume Perrier
http://istanbul.blog.lemonde.fr/
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