- «On a les
médias que l’on mérite». Directeur du site d’information Mediapart, Edwy Plenel
estime que la presse quotidienne va être contrainte de se réinventer. Il l’a
dit hier à Fribourg lors d’une conférence-débat. En pleine mutation, la presse doit contribuer
à revigorer la démocratie. Tel est le credo d’Edwy Plenel dont le site
Mediapart a secoué plusieurs gouvernements français.
- «Le numérique, ce n’est pas la mort du papier.» Directeur du site d’information Mediapart – détonateur entre autres de l’affaire Jérôme Cahuzac – Edwy Plenel estime que la presse quotidienne va être contrainte de se réinventer. L’essentiel réside dans la vitalité du journalisme, pièce maîtresse de la santé des démocraties modernes. Celui qui a passé un quart de siècle au grand quotiden «Le Monde» était l’hôte, hier soir à Fribourg, de «La Liberté».
- «Le numérique, ce n’est pas la mort du papier.» Directeur du site d’information Mediapart – détonateur entre autres de l’affaire Jérôme Cahuzac – Edwy Plenel estime que la presse quotidienne va être contrainte de se réinventer. L’essentiel réside dans la vitalité du journalisme, pièce maîtresse de la santé des démocraties modernes. Celui qui a passé un quart de siècle au grand quotiden «Le Monde» était l’hôte, hier soir à Fribourg, de «La Liberté».
- La commission d’enquête parlementaire sur
l’affaire Cahuzac (ndlr: ex-ministre du Budget dont la démission pour fraude
fiscale en mars dernier a provoqué une crise majeure en France) est entrée en
action. Concrètement que peut-on en attendre?
Edwy Plenel: L’affaire Cahuzac, à toutes ses étapes, met à l’épreuve la culture politique française et met en évidence sa faiblesse, ses impuissances. Il en va de même de la commission d’enquête parlementaire. Mais c’est déjà une très bonne nouvelle en soi qu’elle existe. Depuis 30 ans, c’est la première fois qu’une affaire donne lieu immédiatement à une commission d’enquête de l’Assemblée. En revanche, ces commissions d’enquête sont toujours prisonnières de cette faiblesse du Parlement français qui est pris en otage par le pouvoir présidentiel, et donc par la majorité liée au seul président.
Edwy Plenel: L’affaire Cahuzac, à toutes ses étapes, met à l’épreuve la culture politique française et met en évidence sa faiblesse, ses impuissances. Il en va de même de la commission d’enquête parlementaire. Mais c’est déjà une très bonne nouvelle en soi qu’elle existe. Depuis 30 ans, c’est la première fois qu’une affaire donne lieu immédiatement à une commission d’enquête de l’Assemblée. En revanche, ces commissions d’enquête sont toujours prisonnières de cette faiblesse du Parlement français qui est pris en otage par le pouvoir présidentiel, et donc par la majorité liée au seul président.
- Autrement dit, une commission aux effets limités
par avance?
Je dirais que la conséquence de cela, c’est qu’en dehors du président de cette commission, qui est du groupe centriste (UDI), les députés de gauche qui en font partie n’ont qu’un seul objectif: protéger le pouvoir; et les députés de droite: accabler le pouvoir. Ce n’est pas cela que j’attends d’une commission d’enquête. J’attends qu’elle dise la vérité tout simplement. Qu’elle réponde à cette simple question: comment se fait-il que le «petit Mediapart» ait pu trouver et prouver ce que l’ensemble de l’Etat (services fiscaux, policiers, administratifs, partis) n’a pas trouvé?
Je dirais que la conséquence de cela, c’est qu’en dehors du président de cette commission, qui est du groupe centriste (UDI), les députés de gauche qui en font partie n’ont qu’un seul objectif: protéger le pouvoir; et les députés de droite: accabler le pouvoir. Ce n’est pas cela que j’attends d’une commission d’enquête. J’attends qu’elle dise la vérité tout simplement. Qu’elle réponde à cette simple question: comment se fait-il que le «petit Mediapart» ait pu trouver et prouver ce que l’ensemble de l’Etat (services fiscaux, policiers, administratifs, partis) n’a pas trouvé?
- Faut-il alors parler d’impuissance ou de
complicité?
Il y a deux hypothèses contradictoires. Soit l’impuissance, la fragilité, la maladresse, l’incompétence; soit des solidarités oligarchiques qui ont aussi entravé la vérité. L’affrontement partisan, gauche-droite, sur cette affaire tient beaucoup du jeu de rôles. Pourtant, cette affaire interpelle l’ensemble de notre fonctionnement politique. A savoir: un pouvoir exécutif tétanisé, un pouvoir législatif coalisé et un pouvoir judiciaire impuissant, immobile jusqu’à ce que nous l’interpelions nous-mêmes. Enfin, un contre-pouvoir médiatique qui dans sa majorité a accompagné le mensonge.
Il y a deux hypothèses contradictoires. Soit l’impuissance, la fragilité, la maladresse, l’incompétence; soit des solidarités oligarchiques qui ont aussi entravé la vérité. L’affrontement partisan, gauche-droite, sur cette affaire tient beaucoup du jeu de rôles. Pourtant, cette affaire interpelle l’ensemble de notre fonctionnement politique. A savoir: un pouvoir exécutif tétanisé, un pouvoir législatif coalisé et un pouvoir judiciaire impuissant, immobile jusqu’à ce que nous l’interpelions nous-mêmes. Enfin, un contre-pouvoir médiatique qui dans sa majorité a accompagné le mensonge.
- Conséquence de l’affaire Cahuzac, un projet de
«moralisation de la vie politique» a été lancé. Mais celui-ci semble déjà en
retrait par rapport aux intentions de départ. Pourquoi le monde politique
montre-t-il une telle résistance à rendre public, en particulier, son
patrimoine?
Au-delà de l’argent ou de différences culturelles, il y a cette idée qu’il existe une grande crise de nos démocraties. Du coup, la politique se crispe et veut être moins sous le regard, sous le contrôle des citoyens. J’appelle cela la tentation oligarchique. C’est l’idée selon laquelle «nous sommes ceux qui savent mieux que le peuple ce qui est bon pour lui». Or, c’est là où il nous faut, nous citoyens, défendre à nouveau avec insistance l’idéal démocratique: chacun a le droit de s’en mêler, de participer, etc. Le risque dans nos sociétés, c’est justement la lassitude à l’égard de la démocratie. Nous, journalistes, notre légitimité sociale c’est d’être au service du «droit de savoir» des citoyens.
Au-delà de l’argent ou de différences culturelles, il y a cette idée qu’il existe une grande crise de nos démocraties. Du coup, la politique se crispe et veut être moins sous le regard, sous le contrôle des citoyens. J’appelle cela la tentation oligarchique. C’est l’idée selon laquelle «nous sommes ceux qui savent mieux que le peuple ce qui est bon pour lui». Or, c’est là où il nous faut, nous citoyens, défendre à nouveau avec insistance l’idéal démocratique: chacun a le droit de s’en mêler, de participer, etc. Le risque dans nos sociétés, c’est justement la lassitude à l’égard de la démocratie. Nous, journalistes, notre légitimité sociale c’est d’être au service du «droit de savoir» des citoyens.
- «La presse papier doit se réinventer». Dans votre
dernier livre, vous avez des mots sévères à l’endroit du système médiatique français,
qualifié de «corrompu»?
Edwy Plenel: Je parle de corruption au sens d’un matériau qu’on dit corrompu quand il perd de sa substance. Objectivement, en France, nous avons un problème. D’un côté, il y a des médias contrôlés par des grands groupes extérieurs aux métiers de l’information, ce qui provoque des conflits d’intérêts. D’un autre côté, nous avons un problème d’indépendance du service public audiovisuel: une question en débat aujourd’hui vu les régressions qui ont eu lieu sous Nicolas Sarkozy. Ce ne sont pas les journalistes que je mets en cause, mais notre culture: le fait que nous ayons accepté cela. Je ne donne aucune leçon, mais je dis toujours: on a les médias que l’on mérite. La vitalité de l’information exprime, ou non, la vitalité d’une démocratie.
Edwy Plenel: Je parle de corruption au sens d’un matériau qu’on dit corrompu quand il perd de sa substance. Objectivement, en France, nous avons un problème. D’un côté, il y a des médias contrôlés par des grands groupes extérieurs aux métiers de l’information, ce qui provoque des conflits d’intérêts. D’un autre côté, nous avons un problème d’indépendance du service public audiovisuel: une question en débat aujourd’hui vu les régressions qui ont eu lieu sous Nicolas Sarkozy. Ce ne sont pas les journalistes que je mets en cause, mais notre culture: le fait que nous ayons accepté cela. Je ne donne aucune leçon, mais je dis toujours: on a les médias que l’on mérite. La vitalité de l’information exprime, ou non, la vitalité d’une démocratie.
- Comment définir une presse qui soit «forte»?
Une presse forte, c’est d’abord celle qui vit de ses lecteurs. Plus une presse est dépendante de la publicité, plus elle est fragile dans son indépendance. La crise que vivent nos médias liée à la révolution numérique nous rappelle cette vérité fondamentale: nous devons d’abord dépendre de nos lecteurs. C’est pourquoi Mediapart a combattu la gratuité en disant que l’information a un prix et une valeur.
- Ce qui frappe lors de chaque nouvelle «affaire», c’est la virulence des attaques, notamment entre journalistes?
Personnellement, je n’attaque pas ad nominem. Depuis 35 ans, je vis avec toutes ces attaques, ces calomnies parfois. Je pense que ces polémiques, ces attaques, disent la faiblesse de la démocratie française. Paradoxalement, les journalistes étrangers nous voient, eux, comme un média rassurant sur l’état de la démocratie française. Ils sont étonnés du fait que, depuis cinq ans, l’ensemble des dossiers sensibles concernant la vie publique française ont démarré à Mediapart. Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas de bons journalistes ailleurs. Mediapart a été créé pour redonner du courage à tout le monde.
Une presse forte, c’est d’abord celle qui vit de ses lecteurs. Plus une presse est dépendante de la publicité, plus elle est fragile dans son indépendance. La crise que vivent nos médias liée à la révolution numérique nous rappelle cette vérité fondamentale: nous devons d’abord dépendre de nos lecteurs. C’est pourquoi Mediapart a combattu la gratuité en disant que l’information a un prix et une valeur.
- Ce qui frappe lors de chaque nouvelle «affaire», c’est la virulence des attaques, notamment entre journalistes?
Personnellement, je n’attaque pas ad nominem. Depuis 35 ans, je vis avec toutes ces attaques, ces calomnies parfois. Je pense que ces polémiques, ces attaques, disent la faiblesse de la démocratie française. Paradoxalement, les journalistes étrangers nous voient, eux, comme un média rassurant sur l’état de la démocratie française. Ils sont étonnés du fait que, depuis cinq ans, l’ensemble des dossiers sensibles concernant la vie publique française ont démarré à Mediapart. Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas de bons journalistes ailleurs. Mediapart a été créé pour redonner du courage à tout le monde.
- Mais comment, selon vous, va se décider la
bataille entre presse papier et presse numérique?
Ma conviction est que le numérique, pour l’information quotidienne, sera en amont par rapport à la presse papier. D’un coup, une invention technologique supprime trois facteurs de coûts: le papier, l’impression, la distribution, soit 60% à 65% du prix d’achat d’un journal. Cela ne veut pas dire la mort de la presse papier: mais celle-ci doit se réinventer. L’autre enjeu, côté numérique, c’est qu’il faut défendre la notion de valeur, d’où l’idée qu’il faut payer pour y avoir accès. Le numérique peut permettre de faire un journalisme de qualité à condition de défendre le meilleur de la tradition professionnelle: indépendance, fidélité du public, etc.
Ma conviction est que le numérique, pour l’information quotidienne, sera en amont par rapport à la presse papier. D’un coup, une invention technologique supprime trois facteurs de coûts: le papier, l’impression, la distribution, soit 60% à 65% du prix d’achat d’un journal. Cela ne veut pas dire la mort de la presse papier: mais celle-ci doit se réinventer. L’autre enjeu, côté numérique, c’est qu’il faut défendre la notion de valeur, d’où l’idée qu’il faut payer pour y avoir accès. Le numérique peut permettre de faire un journalisme de qualité à condition de défendre le meilleur de la tradition professionnelle: indépendance, fidélité du public, etc.
- Le journal-papier doit se réinventer, mais
comment quand les indicateurs semblent négatifs?
Pour ce qui est de la presse quotidienne, je pense que le modèle du journal-papier est profondément menacé. Mais peut-être, demain, les abonnés de Mediapart, par exemple, imprimeront leur quotidien numérique chez eux! Ce que je veux dire, c’est que le papier se réinventera à partir du numérique. La difficulé aujourd’hui réside dans la transition. Le numérique n’est pas la fin du journalisme, de la qualité ou de l’information. Mon impression, à l’image de Mediapart, est que nous faisons un journalisme plus approfondi sur le numérique qu’il n’était sur ce format limité, contraint, du papier.
Pour ce qui est de la presse quotidienne, je pense que le modèle du journal-papier est profondément menacé. Mais peut-être, demain, les abonnés de Mediapart, par exemple, imprimeront leur quotidien numérique chez eux! Ce que je veux dire, c’est que le papier se réinventera à partir du numérique. La difficulé aujourd’hui réside dans la transition. Le numérique n’est pas la fin du journalisme, de la qualité ou de l’information. Mon impression, à l’image de Mediapart, est que nous faisons un journalisme plus approfondi sur le numérique qu’il n’était sur ce format limité, contraint, du papier.
- Pour le «droit de savoir»
Le moins qu’on puisse
dire, c’est qu’il ne laisse personne indifférent. A 60 ans, Edwy Plenel est une
figure-clé du paysage médiatique français. A la tête de la rédaction du
«Monde», de 1996 à 2004, il est licencié suite à des désaccords de fond avec
les nouvelles options prises par les dirigeants du grand quotidien. A la fin
2007, il annonce la création d’un nouveau média participatif sur internet:
Mediapart. Il en est depuis le co-fondateur et directeur. Depuis 2010, le site
ne perd plus d’argent. Aujourd’hui, Mediapart compte près de 76 000 abonnés:
«Le site se dirige tranquillement vers les 100 000 abonnés», selon son
directeur.
Mais bien avant Mediapart, Edwy Plenel a bâti sa
réputation d’indépendance sur des enquêtes mettant à mal plusieurs
gouvernements. Ses révélations sur
plusieurs scandales, sous la présidence de François Mitterrand, vaudront à cet
homme de gauche au passé trotskiste des rancœurs solides, tant à gauche qu’à
droite. Il sera ainsi l’une des victimes des écoutes illégales de l’Elysée,
dans les années 80, suite notamment à ses révélations dans le cadre de
l’affaire du Rainbow Warrior.
Essayiste, enseignant, auteur de nombreux ouvrages
sur les affres de la République, il est lui-même attaqué pour ses méthodes. Aujourd’hui encore, il est avec son collègue
Fabrice Arfi sous le coup d’une mise en examen en rapport à la publication
d’enregistrements réalisés chez Liliane Bettencourt.
En février dernier, Edwy Plenel a publié son
dernier ouvrage: «Le droit de savoir».
Un vibrant plaidoyer pour le journalisme d’investigation et le droit des
citoyens à connaître les vérités qu’on veut leur cacher. L’occasion aussi d’une
critique répétée des faiblesses de la démocratie française, marquée par un
«présidentialisme déséquilibré» qui favorise toujours «les secrets du pouvoir
exécutif au détriment des curiosités du pouvoir parlementaire».
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