Photo : Des manifestants avec des
drapeaux turcs défilent près de la place Taksim, à Istanbul, le 5 juin 2013,
Aris Messinis
Des dizaines de milliers de personnes ont grossi mercredi,
à l'appel de deux syndicats, les rangs des manifestants qui réclament depuis
six jours la démission du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, dont le
gouvernement s'est défendu de diriger une «démocratie de seconde zone». Au
sixième jour de la contestation, la Confédération des syndicats du secteur
public (KESK) et la Confédération syndicale des ouvriers révolutionnaires
(DISK), toutes deux marquées à gauche, ont organisé des défilés dans plusieurs
grandes villes du pays.
A Istanbul, leurs deux
cortèges se sont fondus dans l'après-midi sur la place Taksim, au coeur de la
fronde qui agite la Turquie depuis vendredi, en scandant «Taksim, résiste, les
travailleurs arrivent» ou encore «Tayyip, les pilleurs sont là !».
Mêmes scènes dans la
capitale Ankara, où plus de 10.000 manifestants ont marché aux cris de «Dégagez
la route, les révolutionnaires arrivent !» ou «Taksim est partout !» en agitant
des drapeaux turcs.
Dans l'attente du retour
jeudi en Turquie de M. Erdogan, en visite officielle au Maghreb, les
contestataires restent déterminés, malgré les «excuses» présentées par le
vice-Premier ministre, Bülent Arinç, aux victimes de brutalités policières.
«Avant, les gens
redoutaient d'exprimer leur peur publiquement. Mêmes les tweets étaient un
problème. Maintenant, ils n'ont plus peur», s'est réjouie, au milieu des
manifestants stambouliotes, Tansu Tahincioglu, qui dirige une société sur
Internet.
«Erdogan doit présenter
des excuses, démissionner et être traduit en justice pour le recours excessif à
la force (par la police) et tout ce qu'il a fait aux médias», a-t-elle ajouté.
A l'issue d'une rencontre avec M. Arinç à la
mi-journée à Ankara, des représentants de la contestation ont exigé du
gouvernement le renvoi des chefs de la police de plusieurs grandes villes, dont
Istanbul et Ankara.
Ils ont aussi exigé
pèle-mêle la remise en liberté des personnes interpellées, l'abandon du projet
d'aménagement de la place Taksim à l'origine de la révolte, l'interdiction des
gaz lacrymogènes et un meilleur respect de la liberté d'expression dans le
pays.
«Les décisions du
gouvernement détermineront l'issue du mouvement», a déclaré un de leur
porte-parole, Eyup Mumcu, de la chambre des architectes d'Istanbul.
Brutalités policières
Comme les jours
précédents, des affrontements ont à nouveau éclaté à Ankara mercredi en fin de
journée. Les forces de l'ordre ont dispersé à grand renfort de gaz lacrymogènes
et de canons à eau plusieurs milliers de manifestants.
Deux personnes sont mortes
et plus de 2.800 ont été blessées dans les seules villes d'Istanbul, d'Ankara
et d'Izmir (ouest) depuis les premiers affrontements de vendredi, selon les ONG
de défense des droits de l'homme turques et internationales.
Ces chiffres n'ont pas été confirmés par les
autorités, dont le plus récent bilan mardi faisait état de «plus de 300»
blessés, en majorité des policiers.
Piqué au vif par les
critiques de plusieurs pays dénonçant le recours «excessif» à la force par la
police turque, le ministre des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, a assuré
mardi soir à son homologue américain John Kerry que son pays n'était pas «une
démocratie de seconde zone», selon un diplomate turc.
Dans un entretien
téléphonique, M. Davutoglu a également assuré qu'une enquête officielle était
en cours sur les agissements de certains policiers.
Tôt mercredi matin, au
moins 25 personnes ont été interpellées à Izmir (ouest) pour avoir répandu sur
le réseau social Twitter des «informations trompeuses et diffamatoires», a
rapporté l'agence de presse Anatolie. Ali Engin, un responsable local du
principal parti d'opposition, le Parti républicain du peuple (CHP), a déclaré
que les suspects étaient détenus pour avoir «appelé les gens à manifester».
Dimanche, M. Erdogan avait pesté publiquement
contre Twitter et les réseaux sociaux, les qualifiant de «faiseurs de
problèmes».
A l'opposé du ton ferme du
Premier ministre, son numéro deux Bülent Arinç a qualifié mardi de «légitimes»
les revendications écologistes à l'origine des troubles et assuré que son parti
islamo-conservateur respectait «les différents modes de vie» des Turcs.
Depuis le début de la
contestation vendredi dernier, les manifestants accusent M. Erdogan de dérives
autoritaires et de vouloir «islamiser» la Turquie laïque.
«Nous n'avons pas le droit
ou le luxe d'ignorer le peuple, les démocraties ne peuvent pas exister sans
opposition», a également souligné M. Arinç.
Les manifestants attendent
désormais le retour de Tunisie jeudi soir de M. Erdogan, qui a jusque-là balayé
d'un revers de main tous leurs griefs.
Turquie: «La situation est incontrôlable»
Des manifestants se
réjouissent du départ des forces de l'ordre, place Taksim, le 1er juin à
Istanbul (Turquie).
En témoignages, des
internautes décrivent l'évolution des événements...
Depuis vendredi, les
incidents se multiplient en Turquie entre les forces de l'ordre et les
manifestants qui accusent notamment le gouvernement de vouloir «islamiser» la
société turque laïque. La tension est encore montée d’un cran lundi soir après
la mort par balles d’un jeune homme à Hatay, dans le sud du pays.
Pourquoi la Turquie s’enflamme soudain
Plusieurs
internautes ont répondu à notre appel pour témoigner de la situation sur place:
Augusta: «Ils confisquent même nos médicaments»
«Les policiers sont
partout. Certains contrôlent les sacs des passants et confisquent non pas des
armes ou des objets susceptibles de semer le trouble mais des médicaments ou
des articles de premiers soins. Les gens veulent la démission d'Erdogan, ils ne
renonceront pas. »
Timour, citoyen
franco-turc à Istanbul: «L'extrême brutalité des policiers m'a fait prendre
part aux manifestations»
«Les manifestants ont
généralement entre 15 et 30 ans. Ces jeunes forment l'écrasante majorité des
cortèges. Ils ont grandi sous le pouvoir de l'AKP et dénoncent tantôt la personnalisation
et l'autoritarisme du pouvoir, tantôt ce qu'ils ressentent comme une
«islamisation» de la société turque. La répression policière est extrêmement
brutale. Pour ma part, c'est véritablement ce qui m'a fait prendre part aux
manifestations.
Je souhaite que la Turquie
devienne une démocratie réelle et apaisée, respectant les droits des
oppositions et des minorités, avec un sens de la concertation.
C'est justement pour en
finir avec l'autoritarisme et la brutalité des forces de l'ordre et des rapports
sociaux que je suis descendu, comme tant d'autres, dans la rue.»
Jack, étudiant français en Erasmus à Istanbul: «La
situation est incontrôlable»
«Le gouvernement utilise
la force comme seul moyen de dialogue. A Istanbul, où j’habite, les habitants
ouvrent leurs portes aux manifestants pour qu’ils puissent se réfugier, le
temps que les gaz se dissipent. Les docteurs sortent dans les rues pour
proposer des aides d’urgence. Les avocats offrent gratuitement leurs services à
ceux qui sont arrêtés par la police. Enfin, de nombreux magasins ouvrent le
wifi pour que les manifestants puissent se connecter à Internet et communiquer.
Le gouvernement n’hésite pas à brouiller la 3G régulièrement…
Ici, la situation devient incontrôlable. La police
ne se défend plus, elle attaque. La violence est inouïe. Ils utilisent des véhicules blindés. Ils
n’hésitent pas à gazer et rouer de coups les citoyens.»
«Les policiers sont
partout. Certains contrôlent les sacs des passants et confisquent non pas des
armes ou des objets susceptibles de semer le trouble mais des médicaments ou
des articles de premiers soins. Les gens veulent la démission d'Erdogan, ils ne
renonceront pas. »
Uygar, Turc et ancien étudiant en France: «Les
médias sont muets»
«Les médias restent muets
et refusent de diffuser ce qui se passe pendant les manifestations.
Le Premier ministre
Erdogan est parti en visite au Maghreb alors que les manifestations se
déroulent, parfois de manière sanglante, entre les forces de l'ordre et les
manifestants.
Les policiers sont très
violents et cachent les numéros inscrits sur leurs casques, qui permettent
normalement de les identifier. Le gouvernement a bloqué l’accès à de nombreux
sites Internet. Les artistes et les journalistes ont peur de s'exprimer. C'est
affreux… »
Turquie: La situation reste tendue au sixième jour
des manifestations. Des milliers de personnes continuent de descendre dans les
rues d'Istanbul et Ankara...
La tension restait vive en
Turquie ce mercredi matin au sixième jour des manifestations contre le Premier ministre
turc Recep Tayyip Erdogan qui ont vu de nouveau des milliers de personnes
descendre dans les rues d'Istanbul et d'Ankara.
Malgré les «excuses» du
gouvernement aux victimes de brutalités policières des jours précédents, des
milliers de manifestants ont envahi à la nuit tombée la place Taksim
d'Istanbul, où ils ont scandé des slogans réclamant le départ du Premier
ministre. Plusieurs milliers de personnes se sont également réunies en soirée à
Ankara.
Les syndicats pour un
arrêt de travail
La Confédération des
syndicats du secteur public (KESK), qui a appelé mardi à un arrêt de travail de
deux jours par solidarité avec les manifestants, devrait être rejointe mercredi
par la Confédération syndicale des ouvriers révolutionnaires (DISK), qui
revendique 420.000 membres. Dans la nuit de mardi à mercredi, la police a
utilisé des canons à eau pour tenter de disperser des centaines de manifestants
antigouvernementaux, ont rapporté des médias locaux.
Les contestataires ont
tenté de se diriger vers les bureaux du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan
dans ces deux villes. Des heurts ont également eu lieu dans la ville de Hatay
(sud-est) à la frontière syrienne où un jeune homme de 22 ans était décédé la
veille après avoir été blessé lors d'une manifestation. Selon la chaîne de
télévision privée NTV, deux policiers et trois manifestants ont été blessés
mercredi à Hatay.
Au moins 25 personnes interpellés à Izmir
Tôt mercredi matin, au
moins 25 personnes ont été appréhendées à Izmir (ouest) pour avoir répandu sur
le réseau social Twitter des «informations trompeuses et diffamatoires», a
rapporté l'agence Anatolia. Ali Engin, un responsable local du principal parti
d'opposition, le Parti républicain du peuple (CHP), a déclaré à Anatolia que
les suspects étaient détenus pour avoir «appelé les gens à manifester».
Mardi, au lendemain d'une
nouvelle nuit de violences marquée par la mort d'un deuxième contestataire, le
vice-Premier ministre Bülent Arinç avait tenté d'enrayer le mouvement en
qualifiant de «légitimes» les revendications des écologistes à l'origine des
troubles et invité les mécontents à rester chez eux.
Erdogan toujours en tournée
A l'opposé du ton ferme du
chef du gouvernement, en tournée au Maghreb jusqu'à jeudi, Bülent Arinç avait
dispensé un discours plus conciliant. Au sortir d'une réunion avec le président
Abdullah Gül, il a d'abord présenté ses excuses aux très nombreux blessés
civils, à l'exception toutefois de «ceux qui ont causé des dégâts dans les rues
et tenté d'entraver les libertés des gens».
Sur un plan plus
politique, Bülent Arinç a assuré que son gouvernement respectait «les
différents modes de vie» des Turcs. Depuis le début de la contestation
vendredi, les manifestants accusent Recep Tayyip Erdogan de dérives
autoritaires et de vouloir «islamiser» la Turquie laïque. «Nous n'avons pas le
droit ou le luxe d'ignorer le peuple, les démocraties ne peuvent pas exister
sans opposition», a également souligné Bülent Arinç, promettant que son
gouvernement avait «retenu la leçon» de ces événements.
«Nous saluons les efforts du président Gül et
d'autres pour calmer les choses»
Ce discours a tranché avec
l'intransigeance de Recep Tayyip Erdogan qui, sûr de son poids politique, a
balayé les critiques et renvoyé ses détracteurs aux élections locales de 2014.
«A mon retour de cette visite, les problèmes seront réglés», a-t-il lancé,
provocant, lundi à Rabat. Les excuses du vice-Premier ministre ont été saluées
par les Etats-Unis, qui s'étaient inquiétés de l'usage «excessif» de la force.
«Nous saluons les efforts du président Gül et d'autres pour calmer les choses»,
a réagi la porte-parole du département d'Etat, Jennifer Psaki.
«S'ils font marche
arrière, s'ils changent quelque chose en Turquie, le conservatisme et tout ce
qu'ils ont fait, alors peut-être la foule pourra-t-elle rentrer chez elle», a
dit à l'AFP Didem Kul. «Mais nous ne pouvons pas rentrer chez nous sans en
avoir la preuve», a ajouté cette étudiante de 24 ans qui «occupe» Taksim. «Ces
excuses, c'est pour limiter la casse et parce qu'ils sont coincés», a renchéri
Baki Cinar, le porte-parole de la KESK.
Deux morts de contestataire…
Après la mort dimanche
d'un jeune homme percuté par une voiture pendant une manifestation à Istanbul,
un deuxième contestataire, âgé de 22 ans, a été tué lundi soir dans un rassemblement
à Hatay (sud-est) de plusieurs «coups de feu tirés par une personne non
identifiée», a annoncé le gouverneur de la ville, Celalettin Lekesiz.
De violents affrontements
avaient encore opposé dans la nuit de lundi à mardi la police aux manifestants
à Istanbul, Ankara ou Izmir, faisant de nombreux blessés.
Plusieurs milliers de blessés
Hormis les deux personnes
décédées dimanche et lundi, les violences des quatre derniers jours ont fait plus de 1.500 blessés à Istanbul et
au moins 700 à Ankara, selon les organisations de défense des droits de l'Homme
et les syndicats de médecins. Ces chiffres n'ont pas été confirmés par les
autorités. Le porte-parole du gouvernement a évalué mardi à seulement 64
manifestants et 244 policiers le nombre des blessés.
La brutalité de la
répression, largement évoquée sur les réseaux sociaux turcs, a suscité de
nombreuses critiques dans les pays occidentaux. Une porte-parole du
Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l'Homme, Navy Pillay, a
demandé à la Turquie de mener une enquête «rapide, complète, indépendante et
impartiale» sur «les policiers qui auraient violé la loi et les normes
internationales des droits de l'Homme».
MCD
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