"Diaz - Un Crime
d’Etat" reconstitue l’assaut de la police contre une école mise à
disposition des manifestants, comblant ainsi le seul hors-champ d’un G8 de
Gênes filmé sous toutes les coutures. Ci-dessous: le militant Olivier de
Marcellus, témoin des événements.
«DIAZ - UN CRIME D’ÉTAT»
Reconstitution d’un «dérapage contrôlé» de la
police au Sommet du G8 de Gênes, le film de Daniele Vicari estomaque autant
qu’il pose les bonnes questions. Critique et témoignage.
Du G8 de Gênes en juillet
2001, on se souvient d’abord des images d’une ville mise à sac, d’une
répression policière musclée et de la mort de Carlo Giuliani, jeune manifestant
abattu par les carabinieri. Avec Diaz - Un crime d’Etat, Daniele Vicari revient
sur un autre événement retentissant, considéré par Amnesty International comme
«la plus grave atteinte aux droits démocratiques dans un pays occidental depuis
la fin de la Seconde Guerre mondiale»: le dernier jour du Sommet, sous prétexte
d’arrêter des membres du black bloc, 300 policiers débarquent en force dans
l’école Diaz, qui abrite le Forum social, son centre de presse et sert de
dortoir à une centaine d’altermondialistes. Dans un déchaînement de violence
inouï, les pandores matraquent sans discernement. Bilan: 93 arrestations et 87
blessés, pour la plupart grièvement.
Si ces exactions ont échappé aux caméras des journalistes et autres vidéos amateurs, il y a eu des témoignages, des livres et des documentaires. Mais leur impact semble relatif face à la puissance évocatrice du cinéma de fiction, qui fait de Diaz un film nécessaire. Une dénonciation militante au premier degré, préjugera-t-on à tort. Animé par une plus grande ambition, le cinéaste vise à susciter l’indignation autant qu’à détailler les rouages de l’affaire – à la manière du Bloody Sunday de Paul Greengrass (2002), sur le fameux «dimanche sanglant» de janvier 1972 en Irlande du Nord. C’est une réflexion sur l’inquiétante fragilité de la démocratie qui se déploie ici. Car cette descente (de police) aux enfers n’est pas survenue dans un passé ou un pays lointains, ni sous un régime totalitaire. C’était hier et à nos portes.
Si ces exactions ont échappé aux caméras des journalistes et autres vidéos amateurs, il y a eu des témoignages, des livres et des documentaires. Mais leur impact semble relatif face à la puissance évocatrice du cinéma de fiction, qui fait de Diaz un film nécessaire. Une dénonciation militante au premier degré, préjugera-t-on à tort. Animé par une plus grande ambition, le cinéaste vise à susciter l’indignation autant qu’à détailler les rouages de l’affaire – à la manière du Bloody Sunday de Paul Greengrass (2002), sur le fameux «dimanche sanglant» de janvier 1972 en Irlande du Nord. C’est une réflexion sur l’inquiétante fragilité de la démocratie qui se déploie ici. Car cette descente (de police) aux enfers n’est pas survenue dans un passé ou un pays lointains, ni sous un régime totalitaire. C’était hier et à nos portes.
ÉMOTION ET DÉCONSTRUCTION
Tout en introduisant plusieurs personnages qu’on retrouvera plus tard dans la tourmente, les premières scènes de Diaz (affrontements avec les forces de l’ordre, mort de Carlo Giuliani, etc.) décrivent l’atmosphère de chaos et de guerre civile qui règne alors à Gênes, porte ouverte à tous les débordements. Par petites touches, Daniele Vicari pose un climat de tension latente nourri par l’engrenage des provocations, suggérant déjà la fatalité d’un drame.
Cette entrée en matière, agrémentée d’images d’archive selon la formule hybride du docu-fiction, culmine après 30 minutes avec l’assaut contre l’école. Une séquence choc d’un réalisme éprouvant, qui traduit la terreur et l’incrédulité des occupants des lieux, roués de coups par une soldatesque hargneuse en roue libre. On en ressort hébété et lessivé, en s’imaginant que le long métrage va s’arrêter là. Mais il reste encore une heure, où le récit se poursuit et revient sur lui-même en flash-blacks pour révéler les faits sous un jour nouveau.
Dans un montage alternant ces deux mouvements à contretemps, Diaz - Un Crime d’Etat va donner le plein sens de son sous-titre. Le film, construit autour du motif répété d’une bouteille jetée sur une voiture de police, pouvait jusque-là laisser entendre que ce déferlement de violence aveugle découlait d’un enchaînement de circonstances. Ce geste servira en fait de prétexte à une expédition punitive clairement préméditée. Sans désigner précisément les coupables, Vicari signale la volonté politique de faire un exemple, thèse accréditée par la suite des événements.
Tandis qu’on fabrique sur place des «preuves» contre de prétendus forcenés du black bloc justifiant a posteriori l’opération, les suspects sont évacués à l’hôpital puis à la caserne-prison de Bolzaneto, où se joue le second acte d’une odieuse mascarade. Là, au mépris de leurs droits les plus fondamentaux, des citoyens de multiples nationalités seront torturés et humiliés durant trois jours, avant d’être relâchés ou reconduits à la frontière pour les étrangers. L’ombre de Salò ou les 120 journées de Sodome de Pasolini plane sur ces scènes dont on questionnerait l’invraisemblable véracité si le script de Diaz n’était pas rigoureusement inspiré de témoignages et des minutes des procès intentés ensuite par les victimes.
Tout en introduisant plusieurs personnages qu’on retrouvera plus tard dans la tourmente, les premières scènes de Diaz (affrontements avec les forces de l’ordre, mort de Carlo Giuliani, etc.) décrivent l’atmosphère de chaos et de guerre civile qui règne alors à Gênes, porte ouverte à tous les débordements. Par petites touches, Daniele Vicari pose un climat de tension latente nourri par l’engrenage des provocations, suggérant déjà la fatalité d’un drame.
Cette entrée en matière, agrémentée d’images d’archive selon la formule hybride du docu-fiction, culmine après 30 minutes avec l’assaut contre l’école. Une séquence choc d’un réalisme éprouvant, qui traduit la terreur et l’incrédulité des occupants des lieux, roués de coups par une soldatesque hargneuse en roue libre. On en ressort hébété et lessivé, en s’imaginant que le long métrage va s’arrêter là. Mais il reste encore une heure, où le récit se poursuit et revient sur lui-même en flash-blacks pour révéler les faits sous un jour nouveau.
Dans un montage alternant ces deux mouvements à contretemps, Diaz - Un Crime d’Etat va donner le plein sens de son sous-titre. Le film, construit autour du motif répété d’une bouteille jetée sur une voiture de police, pouvait jusque-là laisser entendre que ce déferlement de violence aveugle découlait d’un enchaînement de circonstances. Ce geste servira en fait de prétexte à une expédition punitive clairement préméditée. Sans désigner précisément les coupables, Vicari signale la volonté politique de faire un exemple, thèse accréditée par la suite des événements.
Tandis qu’on fabrique sur place des «preuves» contre de prétendus forcenés du black bloc justifiant a posteriori l’opération, les suspects sont évacués à l’hôpital puis à la caserne-prison de Bolzaneto, où se joue le second acte d’une odieuse mascarade. Là, au mépris de leurs droits les plus fondamentaux, des citoyens de multiples nationalités seront torturés et humiliés durant trois jours, avant d’être relâchés ou reconduits à la frontière pour les étrangers. L’ombre de Salò ou les 120 journées de Sodome de Pasolini plane sur ces scènes dont on questionnerait l’invraisemblable véracité si le script de Diaz n’était pas rigoureusement inspiré de témoignages et des minutes des procès intentés ensuite par les victimes.
FANTÔMES DU FASCISME
Bien qu’il peigne un tableau complexe et très complet des événements, évitant aussi les pièges du manichéisme, on peut néanmoins regretter que Daniele Vicari colle de trop près à leur strict déroulement, au détriment d’une analyse plus poussée du contexte politique qui a permis pareil déni de démocratie. Pourtant, au-delà de cette question, le propos essentiel du film demeure: un appel à la vigilance quand, au cœur de l’Europe, les fantômes du fascisme se révèlent si prompts à ressurgir.
Une vérité que personne n’a vraiment envie d’entendre et que les médias italiens à la solde de Berlusconi ont à l’époque soigneusement étouffée. Sans parler de la procédure judiciaire toujours en cours – où les policiers condamnés bénéficieront de la prescription! – ni de l’absence d’enquête officielle sur les responsabilités politiques. Dans un tel contexte, Diaz dérange. En Italie, aucune chaîne de télévision n’a accepté de coproduire le film et les grands distributeurs n’ont pas voulu le diffuser...
Bien qu’il peigne un tableau complexe et très complet des événements, évitant aussi les pièges du manichéisme, on peut néanmoins regretter que Daniele Vicari colle de trop près à leur strict déroulement, au détriment d’une analyse plus poussée du contexte politique qui a permis pareil déni de démocratie. Pourtant, au-delà de cette question, le propos essentiel du film demeure: un appel à la vigilance quand, au cœur de l’Europe, les fantômes du fascisme se révèlent si prompts à ressurgir.
Une vérité que personne n’a vraiment envie d’entendre et que les médias italiens à la solde de Berlusconi ont à l’époque soigneusement étouffée. Sans parler de la procédure judiciaire toujours en cours – où les policiers condamnés bénéficieront de la prescription! – ni de l’absence d’enquête officielle sur les responsabilités politiques. Dans un tel contexte, Diaz dérange. En Italie, aucune chaîne de télévision n’a accepté de coproduire le film et les grands distributeurs n’ont pas voulu le diffuser...
Mathieu Loewer
«J’étais juste en face...»
Militant de l’Action
mondiale des peuples à l’époque, le Genevois Olivier de Marcellus était à Gênes
en 2001. Le soir de la descente de police à l’école Diaz, il se trouvait dans
le bâtiment d’en face. «Nous étions au rez-de-chaussée quand nous avons entendu
les camions arriver, les portières claquer et des bruits de course. Lorsque les
policiers sont entrés, avec une camarade, nous avons sauté par la fenêtre pour
aller nous cacher dans un souterrain où nous sommes restés toute la nuit. De
là, on a commencé à entendre des gens hurler à la mort de l’autre côté de la
rue. Ces cris terribles ont duré pendant des heures. Après, il y a eu la sirène
d’une ambulance, puis d’une deuxième, etc. Nous avons perdu le compte à
dix-huit, et compris alors que quelque chose de très grave s’était passé. Le
matin, nous sommes allés voir dans l’école. Je me souviens qu’il y avait du
sang sur les murs et le sol, des traînées rouges dans les escaliers aussi...
»Beaucoup de monde a été traumatisé par la brutalité de la police durant ce G8: le meurtre de Carlo Giuliani, les blindés qui avançaient à 50 km/h dans la foule, les brigades anti-émeute qui chargeaient des cortèges défilant pacifiquement, des faux manifestants venus pour casser... Tout a été planifié pour que Berlusconi puisse déclarer ensuite qu’il n’était ‘pas possible de faire la distinction entre les manifestants violents et le Forum social qui les couvrait et les protégeait’. L’école Diaz était ainsi le lieu idéal pour prétendre trouver des black blocs. Cet acte de véritable terrorisme d’Etat a vite été éventé. Pourtant, aucun policier n’a été emprisonné – ni même suspendu! – et aucun responsable inquiété, alors qu’une dizaine de manifestants ont pris six à dix ans de prison.» PROPOS RECUEILLIS PAR MLR
»Beaucoup de monde a été traumatisé par la brutalité de la police durant ce G8: le meurtre de Carlo Giuliani, les blindés qui avançaient à 50 km/h dans la foule, les brigades anti-émeute qui chargeaient des cortèges défilant pacifiquement, des faux manifestants venus pour casser... Tout a été planifié pour que Berlusconi puisse déclarer ensuite qu’il n’était ‘pas possible de faire la distinction entre les manifestants violents et le Forum social qui les couvrait et les protégeait’. L’école Diaz était ainsi le lieu idéal pour prétendre trouver des black blocs. Cet acte de véritable terrorisme d’Etat a vite été éventé. Pourtant, aucun policier n’a été emprisonné – ni même suspendu! – et aucun responsable inquiété, alors qu’une dizaine de manifestants ont pris six à dix ans de prison.» PROPOS RECUEILLIS PAR MLR
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