«Alors fous-moi la paix
avec tes paysages ! Parle-moi du sous-sol !»
Samuel Beckett, En
attendant Godot, acte II
La question du gaz de schiste comporte une
dimension centrale, celle du paysage. Pourtant celle-ci est ignorée chez les
partisans de l’exploitation de ce gaz. Pour les industriels, tout se fait finalement comme si nous étions
dans une conquête de type far west, une mise en valeur de territoires vierges
de toute occupation humaine. Les cartes déployées par les sociétés de forage,
formées de grands carrés et striées de bandes rectilignes, celles des passages
prévus des camions de repérage, s’intéressent au sous-sol, peu à la surface.
Tout ce qui est visible dans le paysage est pour ces industriels une source de
contraintes : comment utiliser les réseaux de transport puisque les routes sont
étroites et sinueuses ? Comment contourner des propriétés privées ? Etc.
Or, en 2013, avoir une lecture du paysage et des
usages de l’espace de ce type traduit une vision caricaturale de la réalité. La ruralité n’est pas celle de l’imaginaire des
industriels demandant des permis d’exploitation : ce ne sont pas des champs à
perte de vue, quelques bois parsemés de quelques petits villages. En 2013, en
France, la ruralité est bien plus complexe et multifonctionnelle. Il s’agit
d’un territoire habité, construit par des générations d’usages et d’usagers qui
ont majoritairement cherché à ménager les espaces et les ressources présentes.
La richesse des analyses produites sur la renaissance rurale tranche grandement
avec la vision simpliste d’un espace vierge et monotone qui n’attendrait que la
mise en valeur du gaz de schiste pour sortir d’une torpeur supposée. A l’heure
du développement durable, de l’analyse fine du réchauffement climatique et de
la révolution énergétique par la recherche de nouvelles sources
d’approvisionnement, considérer que l’exploitation d’un gaz souterrain exigeant
de grandes quantités d’eau est l’avenir de l’énergie en France, dans des
territoires de faible densité relève de la provocation.
Prenons le cas de l’Ardèche. Voilà un département
dont l’attractivité est liée à la qualité de ses paysages, de ses produits
locaux et à son patrimoine naturel.
Comment justifier la mise en place de quelques torchères au cœur des villages
et ses conséquences à savoir la pollution des nappes, l’utilisation d’eau en
abondance (dans un département déjà fortement contraint par la sécheresse) ou
encore le balai de camions sur des routes pittoresques ? Quelque chose ne
tourne pas rond. Quelle est la vision du paysage que les défenseurs du gaz de
schiste ont dans leurs têtes ? Un territoire lunaire, vide d’hommes ? Un désert
de ruralité ? A trop regarder les images du Dakota ou de la Patagonie
argentine, finiraient-ils par croire que la France rurale est aussi
ressemblante ?
Tant que la valeur des
paysages ne sera pas au cœur des débats et la densité seulement mobilisée comme
symbole du vide et du laisser-faire, les tenants de l’exploitation du gaz de
schiste pourront développer leurs idées éloignées de tout contexte territorial
sans tenir compte des individus. Au contraire, parlons en géographes de
l’épaisseur des territoires et de la richesse des aménités de l’espace rural.
FRANÇOIS TAULELLE Géographe.
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