Après une décennie de
croissance fulgurante, l’économie subit un coup de mou. Dur retour à la réalité
pour la population victime de l’explosion du coût de la vie.
Une croissance du PIB de
0,9% en 2012. La performance aurait arraché un sourire béat à François Hollande
si elle avait été française. Seulement, c’est le Brésil qui signe ce résultat,
un pays habitué à aligner les scores de haut niveau sous l’ère Lula (5,7% en
2004 jusqu’à 7,5% en 2010). Après une décennie de croissance affolante, la
sixième économie mondiale subit un coup de mou depuis 2011. Le miracle
brésilien semble avoir atteint ses limites. Dur retour à la réalité pour les
centaines de milliers de manifestants qui crient leur colère contre un
gouvernement qui ne parvient pas à relancer la machine économique.
Les raisons de cette perte
de vitesse? Une conjoncture défavorable comme pour beaucoup de pays émergents.
En raison de la contraction des marchés européens et américains principalement,
secoués par la crise, les débouchés extérieurs manquent. Les exportations ont
encore chuté en 2012, handicapées par un taux de change trop élevé.
L’appréciation de la monnaie pénalise aussi plusieurs secteurs industriels. Si
on y ajoute des coûts de la production qui s’envolent avec la forte hausse des
coûts salariaux, pas étonnant que la compétitivité du pays en fasse les frais.
Cerise sur le gâteau, Standard & Poor’s a abaissé la perspective de la note
du pays. Une crise de crédibilité en vue?
L’essentiel négligé
En bientôt deux semaines de contestation sociale, le Brésil paie le prix de sa fulgurante ascension. Le gouvernement a négligé l’essentiel: accompagner la croissance par des infrastructures de base indispensables (santé, transport, éducation…). Et ce ne sont pas les 15 milliards de dollars engloutis dans les stades et autres équipements pour la Coupe du monde de 2014 qui vont améliorer les conditions de vie des habitants. Cette mauvaise allocation de l’argent public, couplée à la corruption à tous les échelons du pays, ne fait qu’irriter un peu plus la population.
En bientôt deux semaines de contestation sociale, le Brésil paie le prix de sa fulgurante ascension. Le gouvernement a négligé l’essentiel: accompagner la croissance par des infrastructures de base indispensables (santé, transport, éducation…). Et ce ne sont pas les 15 milliards de dollars engloutis dans les stades et autres équipements pour la Coupe du monde de 2014 qui vont améliorer les conditions de vie des habitants. Cette mauvaise allocation de l’argent public, couplée à la corruption à tous les échelons du pays, ne fait qu’irriter un peu plus la population.
«Le gouvernement aurait dû
faire plus d’efforts pour investir dans les grands programmes d’infrastructures
publiques comme les routes ou les hôpitaux et dans les services publics», estime
Christine Rifflart, économiste spécialiste de l’Amérique latine à
l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). «Non seulement
pour en améliorer la qualité mais aussi pour stimuler la production nationale
et la demande. Ce qui aurait permis de relancer la production industrielle.»
Perte de pouvoir d’achat
Depuis 2003, la politique de Lula a permis d’élever le niveau de vie des habitants et de sortir 30 à 40 millions d’habitants de la pauvreté. La classe moyenne a émergé et a tellement pris goût aux progrès sociaux qu’elle en réclame toujours plus aujourd’hui. «Une partie des couches moyennes qui protestent souffre d’une perte constante de son pouvoir d’achat, parce qu’elle paie plus d’impôts et a encore à payer la santé, l’éducation privée, parce que les services publics sont de mauvaise qualité dans la grande partie du pays», observe Maria do Socorro Sousa Braga, professeur de politique à l’Université fédérale de Sao Carlos.
Les plus démunis dénoncent la hausse des prix des biens de base. Celle du ticket de transport public, facteur déclencheur des manifestations, n’est qu’une des nombreuses augmentations devenues insupportables, surtout dans un contexte de retour à une inflation qui crève les plafonds (6,5%). «Les hausses de salaires combinées au taux de change élevé ont fait exploser les prix des biens non administrés», relève Christine Rifflart. Les mauvaises récoltes l’an passé n’ont rien arrangé. Le prix du kilo de tomate a ainsi doublé en un an.
Depuis 2003, la politique de Lula a permis d’élever le niveau de vie des habitants et de sortir 30 à 40 millions d’habitants de la pauvreté. La classe moyenne a émergé et a tellement pris goût aux progrès sociaux qu’elle en réclame toujours plus aujourd’hui. «Une partie des couches moyennes qui protestent souffre d’une perte constante de son pouvoir d’achat, parce qu’elle paie plus d’impôts et a encore à payer la santé, l’éducation privée, parce que les services publics sont de mauvaise qualité dans la grande partie du pays», observe Maria do Socorro Sousa Braga, professeur de politique à l’Université fédérale de Sao Carlos.
Les plus démunis dénoncent la hausse des prix des biens de base. Celle du ticket de transport public, facteur déclencheur des manifestations, n’est qu’une des nombreuses augmentations devenues insupportables, surtout dans un contexte de retour à une inflation qui crève les plafonds (6,5%). «Les hausses de salaires combinées au taux de change élevé ont fait exploser les prix des biens non administrés», relève Christine Rifflart. Les mauvaises récoltes l’an passé n’ont rien arrangé. Le prix du kilo de tomate a ainsi doublé en un an.
Autre exemple de
renchérissement, les loyers ont pris
120% en moyenne depuis 2008. Les fins de mois sont difficilespour ceux qui
doivent s’en sortir avec un salaire minimum de 678 réals (280 francs).
Rien qu’un ticket de bus ou de métro coûte environ 3 réals.
Le dilemme de Dilma Rousseff
Au moins, le taux de chômage est bas. Et le PIB reprend un peu des couleurs depuis deux trimestres. Mais la reprise économique s’annonce fragile. «Le pays aura du mal à revenir à la croissance des années 2000, environ 3%, sans la mise en œuvre de réformes structurelles importantes pour accroître l’investissement domestique», estime Nora Wassermann, économiste des marchés émergents au Crédit Suisse. «Jusqu’ici, le gouvernement a plutôt mis l’accent sur la relance à court terme comme les mesures protectionnistes, les exonérations fiscales pour certaines industries comme l’automobile ou l’augmentation des prêts des banques publiques.»
Au moins, le taux de chômage est bas. Et le PIB reprend un peu des couleurs depuis deux trimestres. Mais la reprise économique s’annonce fragile. «Le pays aura du mal à revenir à la croissance des années 2000, environ 3%, sans la mise en œuvre de réformes structurelles importantes pour accroître l’investissement domestique», estime Nora Wassermann, économiste des marchés émergents au Crédit Suisse. «Jusqu’ici, le gouvernement a plutôt mis l’accent sur la relance à court terme comme les mesures protectionnistes, les exonérations fiscales pour certaines industries comme l’automobile ou l’augmentation des prêts des banques publiques.»
Pour relancer les
exportations, le gouvernement pourrait dévaluer sa monnaie. Avec l’effet
pervers de faire encore grimper les prix des biens de consommation. Un
difficile arbitrage entre croissance et lutte contre l’inflation. La marge de
manœuvre de la présidente Dilma Rousseff est limitée. Et à une année et demie
de la prochaine élection présidentielle, la population attend des résultats.
Thierry Jacolet
Le coût des Journées mondiales de la jeunesse,
autre cible de protestation
Alors que les
manifestations populaires contre la vie chère prennent de l’ampleur au Brésil,
les critiques commencent à pleuvoir sur le coût public de l’organisation des
Journées mondiales de la jeunesse.
Des milliers de Brésiliens
continuent à défiler, à Sao Paulo et à Rio de Janeiro ainsi que dans une
trentaine de villes du pays, pour protester contre l’augmentation du coût des
transports, de la vie et contre le budget de
15 milliards de dollars que l’Etat va consacrer à l’organisation de la Coupe du
monde de football, en 2014. Sur la Toile, les critiques commencent
également à pleuvoir sur le coût, pour l’Etat, des Journées mondiales de la
jeunesse (JMJ) qui se tiendront du 23 au 28 juillet prochain à Rio de Janeiro.
Les réseaux sociaux relaient en effet depuis deux jours un article publié le 17 mai dernier par le journal O Globo. D’après le quotidien, le premier voyage du pape au Brésil, dans le cadre des JMJ, coûtera 118 millions de réais (près de 50 millions de francs). La somme sera répartie entre la municipalité de Rio de Janeiro, le gouvernement de l’Etat de Rio et l’Etat fédéral brésilien. Ce montant, d’après O Globo, est lié aux coûts de sécurité et d’organisation de l’évènement.
Les réseaux sociaux relaient en effet depuis deux jours un article publié le 17 mai dernier par le journal O Globo. D’après le quotidien, le premier voyage du pape au Brésil, dans le cadre des JMJ, coûtera 118 millions de réais (près de 50 millions de francs). La somme sera répartie entre la municipalité de Rio de Janeiro, le gouvernement de l’Etat de Rio et l’Etat fédéral brésilien. Ce montant, d’après O Globo, est lié aux coûts de sécurité et d’organisation de l’évènement.
A la charge de Rio
A lui seul, le gouvernement fédéral devra débourser plus de la moitié de la somme globale (62 millions de réais), dont 30 millions pour la seule sécurité du Saint-Père. Certains internautes fustigent le coût de 1 million de réais pour l’utilisation de l’avion Hercules de la force aérienne, permettant le transport des deux papamobiles de Rio jusqu’au Sanctuaire marial d’Aparecida, où le pape François célèbrera une messe unique le 24 juillet, avant de revenir en hélicoptère poursuivre son programme à Rio de Janeiro. Les 56 millions de réais restants seront à la charge de l’Etat de Rio et de la Ville. Les critiques portent également sur le nombre de militaires qui seront mis à la disposition des organisateurs par l’Etat brésilien.
A lui seul, le gouvernement fédéral devra débourser plus de la moitié de la somme globale (62 millions de réais), dont 30 millions pour la seule sécurité du Saint-Père. Certains internautes fustigent le coût de 1 million de réais pour l’utilisation de l’avion Hercules de la force aérienne, permettant le transport des deux papamobiles de Rio jusqu’au Sanctuaire marial d’Aparecida, où le pape François célèbrera une messe unique le 24 juillet, avant de revenir en hélicoptère poursuivre son programme à Rio de Janeiro. Les 56 millions de réais restants seront à la charge de l’Etat de Rio et de la Ville. Les critiques portent également sur le nombre de militaires qui seront mis à la disposition des organisateurs par l’Etat brésilien.
Le journal assure que 10 700 hommes, en majorité des forces
armées, seront mobilisés pour les JMJ. L’Eglise catholique va embaucher
pour sa part quelques 2000 agents de
sécurité privés, notamment pour le site de Guaratiba, où se dérouleront la
veillée et la messe de clôture des JMJ.
Sur les réseaux sociaux, les interrogations portent évidemment sur la participation financière de l’Eglise catholique à l’organisation de l’évènement. D’autant qu’aucune information n’a filtré sur le sujet.
Sur les réseaux sociaux, les interrogations portent évidemment sur la participation financière de l’Eglise catholique à l’organisation de l’évènement. D’autant qu’aucune information n’a filtré sur le sujet.
Quatre millions d’hosties
En revanche, s’appuyant sur une estimation provenant de l’Eglise elle-même et concernant 800 000 inscriptions de pèlerins (2 millions de personnes sont attendues), les JMJ devraient rapporter près de 300 millions de réais (127 millions de francs) à l’Eglise catholique.
Certains internautes relèvent enfin, en s’appuyant toujours sur les informations du journal O Globo, que même la liturgie sera portée en compte des finances publiques. La preuve? Les quatre millions d’hosties nécessaires aux célébrations qui jalonneront ces JMJ ont été commandées à divers fournisseurs locaux par les organisateurs. Mais la note sera réglée par les autorités brésiliennes. Un Etat brésilien, rappellent les internautes, qui aurait pu construire, avec ces 118 millions de réais, près de 2500 maisons populaires, dans le cadre du programme «Ma maison, ma vie» permettant l’accès à la propriété pour les plus démunis.
En revanche, s’appuyant sur une estimation provenant de l’Eglise elle-même et concernant 800 000 inscriptions de pèlerins (2 millions de personnes sont attendues), les JMJ devraient rapporter près de 300 millions de réais (127 millions de francs) à l’Eglise catholique.
Certains internautes relèvent enfin, en s’appuyant toujours sur les informations du journal O Globo, que même la liturgie sera portée en compte des finances publiques. La preuve? Les quatre millions d’hosties nécessaires aux célébrations qui jalonneront ces JMJ ont été commandées à divers fournisseurs locaux par les organisateurs. Mais la note sera réglée par les autorités brésiliennes. Un Etat brésilien, rappellent les internautes, qui aurait pu construire, avec ces 118 millions de réais, près de 2500 maisons populaires, dans le cadre du programme «Ma maison, ma vie» permettant l’accès à la propriété pour les plus démunis.
Jean-Claude Gerez et A.V.
Vamos pra rua
Se révolter pour 12
centimes? L’augmentation des prix du billet des transports publics a été
l’étincelle qui a mis le feu aux poudres au Brésil. Près de 250 000
manifestants ont défilé dans les rues des principales villes du pays samedi et
lundi dernier. Jusqu’à quand la sixième économie du monde pourra-t-elle se contenter
d’une sécurité sociale déficiente, d’écoles et d’hôpitaux publics de très
mauvaise qualité, d’un salaire minimum ridicule (moins de 340 francs suisses
mensuels) et de politiciens corrompus et scandaleusement rémunérés? Car ce sont
là les principales doléances de manifestants, qui scandent aujourd’hui «Vamos
pra rua» (allons dans la rue) sur les réseaux sociaux. La colère est telle que
nombre de Brésiliens tournent aujourd’hui le dos… au football. Surréaliste.
L’indécence des sommes dilapidées par le gouvernement en vue du Mondial 2014 a été l’autre élément déclencheur, dans le contexte du ralentissement de la croissance nationale. Ces dépenses ont montré une nouvelle fois au grand jour que ce ne sont pas les richesses qui manquent au Brésil, mais leur répartition. Alors que le Parti du travail (PT) détient la présidence du pays depuis une dizaine d’années, il n’a pas (pu?) enclenché les réformes structurelles, économiques et sociales, nécessaires à la création d’opportunités économiques viables et de services publics de qualité pour le plus grand nombre.
Allié à la grande bourgeoisie, continuant sur la voie du capitalisme national tracé par ses prédécesseurs, le PT s’est principalement contenté d’aides directes et indirectes aux plus défavorisés, basées pour la plupart sur de l’assistanat (la «bourse famille», par exemple). Certes, le gouvernement a réussi à éradiquer la faim avec cette politique. Mais si ces mesures ont permis de réduire la pauvreté, elles ne se sont pas attaquées aux causes de celle-ci. Le pays se trouve aujourd’hui dans l’impasse. Laquelle a ouvert la voie aux plus grandes mobilisations depuis l’éviction du président Fernando Collor de Mello en 1992.
Reste à savoir aujourd’hui si le mouvement parviendra à se structurer. Les mobilisations des réseaux Occupy en Europe ont prouvé que, sans une cristallisation des protestations dans des mouvements organisés, inscrits dans l’action au quotidien, le résultat est loin d’être au rendez-vous. Une fois terminée l’euphorie de la rue, tout le monde rentre dans ses pénates. Les protestataires brésiliens sauront-ils nous prouver le contraire?
L’indécence des sommes dilapidées par le gouvernement en vue du Mondial 2014 a été l’autre élément déclencheur, dans le contexte du ralentissement de la croissance nationale. Ces dépenses ont montré une nouvelle fois au grand jour que ce ne sont pas les richesses qui manquent au Brésil, mais leur répartition. Alors que le Parti du travail (PT) détient la présidence du pays depuis une dizaine d’années, il n’a pas (pu?) enclenché les réformes structurelles, économiques et sociales, nécessaires à la création d’opportunités économiques viables et de services publics de qualité pour le plus grand nombre.
Allié à la grande bourgeoisie, continuant sur la voie du capitalisme national tracé par ses prédécesseurs, le PT s’est principalement contenté d’aides directes et indirectes aux plus défavorisés, basées pour la plupart sur de l’assistanat (la «bourse famille», par exemple). Certes, le gouvernement a réussi à éradiquer la faim avec cette politique. Mais si ces mesures ont permis de réduire la pauvreté, elles ne se sont pas attaquées aux causes de celle-ci. Le pays se trouve aujourd’hui dans l’impasse. Laquelle a ouvert la voie aux plus grandes mobilisations depuis l’éviction du président Fernando Collor de Mello en 1992.
Reste à savoir aujourd’hui si le mouvement parviendra à se structurer. Les mobilisations des réseaux Occupy en Europe ont prouvé que, sans une cristallisation des protestations dans des mouvements organisés, inscrits dans l’action au quotidien, le résultat est loin d’être au rendez-vous. Une fois terminée l’euphorie de la rue, tout le monde rentre dans ses pénates. Les protestataires brésiliens sauront-ils nous prouver le contraire?
Christophe Koessler et Angèle Veyret (Coresp. au Brésil du 11 au 25 juin)
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