Village martyr, Vassieux-en-Vercors fut comparé à
Oradour-sur-Glane pour les massacres et déportations qui y furent commis.
Aujourd’hui, une nécropole et deux musées y attirent plusieurs dizaines de
milliers de visiteurs chaque année.
La Résistance, éternel débat français
Histoire Vivante : Première
ou Seconde Guerre mondiale, les commémorations historiques vont se succéder en
2014. L’occasion aussi de réactiver le débat sur la Résistance, en France, à
l’exemple du maquis du Vercors.
Les rayons historiques des librairies sont au
garde-à-vous depuis des mois! Et pour cause: 2014 sera l’année de la Grande
Guerre (1914-18), dont on célébrera les 100 ans à l’été prochain. Mais 2014
marquera aussi les 70 ans du Débarquement en Normandie. Tournant historique majeur suivi d’une autre date
clé, côté français: le soulèvement et la répression brutale du maquis du
Vercors en juillet 1944. Un souvenir douloureux, élevé au rang des hauts faits
de l’esprit français de résistance.
Les hommes politiques ne
s’y sont pas trompés. C’est sous le second septennat de François Mitterrand
qu’a été entreprise l’édification du Mémorial de la Résistance en Vercors
(inauguré en juillet 1994 pour les 50 ans du soulèvement du maquis). Plus
récemment, en 2009, Nicolas Sarkozy a choisi le village de Chapelle-en-Vercors
pour un grand discours sur l’identité nationale et les valeurs profondes de la
France…
Mais pourquoi le Vercors,
«forteresse montagneuse» de 60km sur 30 aux portes de Grenoble, est-il devenu
synonyme d’esprit d’insoumission? Pourquoi ce maquis a-t-il si particulièrement
marqué les mémoires? A ses débuts, l’histoire du Vercors ressemble à celle des
autres maquis qui se forment dès l’armistice (juin 1940) en France. A partir de
1942, les hommes affluent, le maquis se structure. Imaginé par un architecte de
la région, un projet connu sous le nom du plan «Montagnards» est échafaudé et
accepté par les services de la France libre en exil. Le plan prévoit d’utiliser
le massif du Vercors comme base d’accueil de matériels aéroportés afin de
couper la retraite allemande au moment de la libération (à partir du sud du
pays).
Plusieurs parachutages
américains sont effectués, dès 1943, dans le but de soutenir les maquisards. Le
Vercors est rapidement considéré, côté allemand, comme l’un des principaux
centres de résistance. Début juin 1944, le signal est lancé: près de 4000
maquisards (mal équipés) passent à l’action. Pour la première fois en France
depuis 1940, une zone décrète sa «libération». Mais suite à une série de
mésententes, de promesses non tenues ou d’erreurs – les versions ont longtemps divergé
– les renforts n’arrivent pas. L’armée allemande mobilise alors la plus
importante force (10000 soldats environ) jamais envoyée contre un maquis durant
la Seconde Guerre mondiale.
Un «second Oradour»
En quelques jours, le
Vercors passe de l’euphorie à la tragédie, au point que le village de Vassieux
sera comparé au village martyr d’Oradour-sur-Glane (près de Limoges), où 642
personnes furent massacrées en un jour. Durant deux semaines, la répression
sera sans pitié: au total, près de 850 morts (dont 200 civils), 570 maisons
incendiées, une quarantaine de déportés.
A titre de comparaison,
l’attaque allemande contre le célèbre maquis des Glières (près d’Annecy) en
février/mars 1944 fait 120 morts. Très vite, après la guerre, la tragédie va
diviser les esprits. Au cœur de la polémique, la thèse selon laquelle le
Vercors aurait été «sacrifié» par les responsables français basés alors à
Londres ou Alger.
Longtemps soutenue par
d’anciens résistants, la «légende noire» du Vercors est périodiquement réactualisée.
Ainsi, en 2004, un article du «Nouvel Observateur» commentait: «L’histoire du
maquis du Vercors est une histoire de courage, mais aussi de trahison et de
massacres [...] Les Alliés et les dirigeants de la France libre ont laissé
crever ces résistants-là, que de Gaulle, brutal dans sa conquête du pouvoir,
n’aurait su manipuler.»
Cette vision manichéenne
n’a cependant pas résisté à l’historiographie contemporaine. Spécialiste de la
question, Gilles Vergnon relativise: «La «légende noire» du Vercors, dans sa
version maximaliste (le Vercors «trahi») ou plus modérée (le sentiment qu’il
s’est produit des choses inavouables, ou «pas claires»), a comme toute légende,
une puissante vertu explicative». La vérité est comme souvent plus complexe,
ajoute l’historien.
Utile lors de la Libération?
En fait, le destin
tragique du maquis du Vercors est la résultante d’une série de circonstances.
«Des promesses orales inconsidérées et surinterprétées par leurs destinataires,
un chevauchement de compétences et des rivalités entre les services français à
Alger et à Londres, une mobilisation prématurée, mais largement spontanée, en
juin 1944, le piétinement pendant trois longues semaines des Alliés en
Normandie, scellent son destin», note encore Vergnon.
Parmi les autres griefs
adressés aux responsables du maquis, il y a aussi le fait de s’être trompés de
guerre, de n’avoir pas adopté une tactique de guérilla contre un ennemi trop
puissant. Longtemps, après-guerre, on a insisté sur l’utilité militaire du
Vercors dans la libération du pays. C’est cette utilité qu’ont relativisée,
dans des recherches plus récentes, certains historiens. A ce titre, conclut
Gilles Vergnon: «La Résistance a joué un rôle incontestable, dans la libération
de la France, mais qu’on ne peut quantifier ou convertir en chiffres précis.
Tout juste peut-on dire qu’en l’absence (hypothétique) de la Résistance, les
armées alliées auraient libéré le territoire français de l’occupant, mais sans
doute avec des délais plus longs, des pertes et des difficultés supplémentaires.»
- Sur le sujet: Gilles Vergnon, «Résistance dans le Vercors, Histoire et
lieux de mémoire», Ed. Génat, 2012.
- A noter aussi que différentes manifestations marqueront en 2014 les 70
ans du soulèvement du maquis du Vercors, dont une grande exposition à Grenoble
sur le thème des maquis; une autre exposition se tiendra à Vassieux, alors que
plusieurs nouveaux livres devraient paraître sur le sujet.
Le lourd tribut payé par les maquis
Gilles Vergnon est historien et maître de conférences
en histoire contemporaine à Sciences-Po Lyon. Il est un spécialiste de
l’histoire de la Résistance, en particulier dans le Vercors. Entretien.
- L’histoire du maquis du Vercors a
été marquée, après-guerre, par une polémique autour de l’idée de «sacrifice» ou
de «trahison» des maquisards par les responsables de la France libre à
l’étranger. Cette polémique existe-t-elle encore entre historiens?
Gilles Vergnon: Non, cette
polémique n’a jamais existé au niveau de la recherche historique! La
«trahison», à savoir l’inaction délibérée, l’abandon du Vercors pour des motifs
partisans ou politiques, est la thèse soutenue par le Parti communiste dans les
années 50. Cela a laissé passablement de traces dans les mémoires régionales.
Mais le premier historien à avoir fait une étude complète sur le Vercors, dès
les années 60, écartait complètement cette thèse.
- Toutefois, un livre récent destiné
à la jeunesse reprend cette thèse?
Oui, mais l’auteur la
reprend mezza voce. Il est vrai que l’idée continue de traîner. Selon celle-ci,
soit de Gaulle, soit les Alliés, soit les deux sont responsables du fait que
les maquisards n’ont pas reçu des moyens suffisants. C’est un fait que le
Vercors n’a reçu ni parachutistes ni armes lourdes promises. Mais je doute,
même dans ce cas-là, que ces quelques centaines de mortiers ou de parachutistes
aient pu inverser la situation.
- Le Vercors est-il un cas
particulier de maquis brutalement écrasé?
Non, cela va aussi se
passer dans l’Ain, en Ardèche ou dans le Lot. En 1944, il y a partout des
écrasements de maquis accompagnés de répression sur les civils. Cependant, la
particularité du Vercors, c’est le nombre élevé de morts, même s’il y a moins
de tués qu’à Oradour par exemple. Le Vercors est donc devenu un résumé mémoriel
de tout cela. L’histoire du Vercors n’est pas fondamentalement différente de ce
qui s’est passé dans les autres concentrations de maquis.
- Ce qui frappe lors de l’assaut
allemand contre le Vercors, c’est l’ampleur de la répression?
Le malheur du Vercors,
comme pour les autres maquis du Sud-Est, c’est qu’il surplombe la vallée du
Rhône et donc des axes de communication décisifs pour l’armée allemande. Pour
les Allemands en repli, tous les maquis menaçant ces axes de communication
devaient être disloqués. Ils ont donc sélectionné leurs cibles.
- Le Vercors pose une autre grande
question: est-ce que le type de résistance adopté était le bon?
Cette critique peut être
légitime. Mais, lorsque l’on regarde de près, les choses sont plus compliquées
que ça. On a opté pour un combat classique, mais sans avoir reçu les armes
attendues. Les effectifs n’étaient pas assez nombreux ni équipés pour mener une
bataille rangée, mais trop nombreux (environ 3500 hommes) pour mener une
guérilla. De plus, deux tiers des hommes étaient complètement inexpérimentés.
- Que pensez-vous du parallèle entre
le Vercors et le tragique massacre de la population d’Oradour-sur-Glane en 1944
également?
La comparaison a été faite
par la presse d’alors. Est-ce comparable? Oui et non. Oui, parce que dans les
deux cas il y a massacre de civils innocents (hommes, femmes, enfants). La
différence, c’est qu’Oradour est froidement planifié et exécuté, alors qu’il
n’est pas sûr que le commando aéroporté, qui tombe sur Vassieux le 21juillet
1944, avait le plan et les ordres de massacrer les civils. Dans la chaîne de
commandement allemand, on ne se sait pas qui décide quoi et à quel moment. En
revanche, dans les jours suivants, des massacres, en particulier de civils,
eurent effectivement lieu dans les villages de la région.
- Un certain nombre de films (de
fiction mais aussi des documentaires) ont été réalisés avec pour cadre
l’histoire du Vercors. Mais pas vraiment de production à grand spectacle:
pourquoi?
C’est bizarre, en effet.
Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, il n’y a pas de grand film de
fiction sur les maquis. Il existe plein de films de fiction sur la Résistance,
mais rien sur ce thème des maquis. Pourquoi? Je n’ai pas de réponse, mais dans
le cas du Vercors, le fait qu’il y ait eu une trace de polémique après la
guerre a sans doute découragé des projets.
Pascal Baeriswyl
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