Glasnost pour la coopération française
L’Assemblée nationale discute lundi d’une
proposition de loi visant à rendre plus transparente l’aide au développement
française. Satisfaction mesurée pour les ONG.
En France, la gestion de
l’aide publique au développement est longtemps demeurée opaque. Aucune loi
n’encadrait le dispositif d’aide, quand la Suisse dispose d’un tel texte depuis
1976 1!
Avec le projet de loi d’orientation et de programmation relatif au
développement et à la solidarité internationale, en discussion dès lundi à
l’Assemblée nationale, la France devrait se doter d’un tel outil.
Coordination Sud, qui
rassemble plus de 130?ONG françaises de solidarité internationale, s’en
félicite. «La loi apporte une structure. Elle permet une meilleure orientation,
un meilleur contrôle», soutient Sébastien Fourmy, directeur du plaidoyer à
Oxfam. Mais il regrette qu’elle soit «plus une loi d’orientation que de
programmation». Aucune date n’est d’ailleurs fixée pour atteindre l’objectif de
consacrer 0,7% du revenu national brut à l’aide publique de développement. Le
ministre délégué au Développement Pascal Canfin, assume (lire ci-dessous).
Indicateurs de résultats
La loi fixe pour objectif
ultime la lutte contre la pauvreté mais aussi contre le changement climatique
et insiste sur la transparence. Les parlementaires auront désormais leur mot à
dire. Tous les deux ans un rapport leur sera remis. Ils pourront ainsi
contrôler et évaluer l’impact de l’aide.
Pour mieux informer les
Français et les bénéficiaires, la loi détaille trente indicateurs de résultats,
par exemple le niveau d’accès ou de scolarisation des enfants. Un site internet
suivra les évolutions des projets, comme c’est déjà le cas pour l’aide
française au Mali 2.
Sur ce site, les activités
financées par Paris figurent sur une carte interactive où sont décrits les
objectifs, la hauteur des financements et les échéances. Les Maliens peuvent
prévenir d’un retard par SMS ou e-mail. Autant de moyens qui permettent une
bonne utilisation des finances publiques et de lutter contre la corruption.
Impliquer la société civile
Un autre acteur sera
davantage sollicité: les organisations non gouvernementales. Le rapport des
Cours des comptes remis en juin 2012 relève que «la part d’aide publique au
développement transitant par leur canal est (...) plus faible en France que
chez les autres donateurs: 9?millions d’euros en 2010, soit 0,15% seulement de
l’aide bilatérale, alors qu’elle s’élève en moyenne à près de 2% pour les
membres de l’OCDE».
Le gouvernement français
s’est engagé à doubler la part de l’aide transitant par les ONG d’ici la fin du
quinquennat. Ces organisations seront régulièrement consultées via le Conseil
national du développement et de la solidarité internationale (CNDSI), créé en
décembre où siègent aussi des parlementaires, des représentants du secteur
privé, des collectivités locales et des établissements d’enseignement supérieur
et de recherche.
L’Afrique, principal
réceptacle des fonds de l’aide au développement français, est concernée au
premier chef par cette réforme. Vecteur d’influence voire de corruption, la
coopération française va-t-elle enfin tourner la page de la Françafrique? Du
côté de Survie, ONG spécialisée dans cette relation néocoloniale, on demeure
dubitatif.
JEAN-BAPTISTE MOUTTET
«Nous tournons la page de la colonisation»
L’écologiste Pascal
Canfin, ministre délégué au Développement, fait de la loi relative au
développement et à la solidarité internationale, un symbole de changement de
vision en matière d’aide publique.
En quoi cette nouvelle loi
suit votre volonté de rupture avec la Françafrique alors que la France
intervient au Mali et en Centrafrique ?
Pascal Canfin: J’ai entendu
un énorme consensus international pour dire que la France avait bien fait
d’intervenir au Mali et en Centrafrique. Nous intervenons militairement à la
demande des partenaires africains et sous mandat des Nations Unies et avec pour
objectif politique d’aller vers des élections libres dès que les conditions
sécuritaires seront réunies, comme ça a été le cas au Mali. Regardez le chemin
parcouru depuis l’intervention française en Centrafrique sous Valéry Giscard
d’Estaing [En septembre 1979, l’armée française renverse Bokassa, ndlr.]
Par ailleurs, notre
politique de développement était auparavant un monopole de l’exécutif. Il n’y
avait aucun contrôle parlementaire, au-delà du vote du projet de loi de
finance. Cette politique était un héritage de la gestion de la décolonisation
de l’empire français. Nous sommes définitivement en train de tourner cette
page. Nous avons fait des progrès très importants en ce qui concerne la
transparence. Au Mali, nous avons mis en ligne l’ensemble des projets d’aide
publique française, projet par projet. Nous allons élargir cette mesure, d’ici
la fin de l’année 2014, aux seize pays pauvres prioritaires.
L’Agence française de
développement a élargi l’aide publique à de nouveaux pays. Mais 85% des dons
concernent encore l’Afrique subsaharienne. Les Français ne continuent-ils pas
de se focaliser sur leurs anciennes colonies?
Je ne fais pas
d’idéologie, je regarde la réalité. Où les besoins de base ne sont-ils pas
réunis? Essentiellement en Afrique. Il est donc normal que 85% des dons aillent
en Afrique subsaharienne. Le sommet qui s’est tenu en décembre à l’Elysée [pour
la paix et la sécurité en Afrique, ndlr] a réuni plus de cinquante délégations,
donc l’ensemble du continent africain, francophone comme anglophone.
La loi clarifie le double
processus dans lequel nous sommes engagés: d’une part, nous concentrons les
dons en Afrique, de l’autre, on élargit le mandat de l’aide pour les prêts afin
d’intervenir partout dans les pays en développement ou en direction des grands
Etats émergents: en Amérique latine ou en Asie. Etre engagé dans cette logique
de cogestion d’un bien public mondial qui est le climat implique d’agir partout
où sont les enjeux.
Comme les ONG, les
entreprises sont considérées comme des acteurs du développement. N’est-ce pas
une façon d’assoir l’influence économique de la France?
L’aide publique française
est déliée [ouverte aux fournisseurs non français, ndlr] à plus de 89%. Il y a
des appels d’offres internationaux, je souhaite que les sociétés françaises
soient capables de les gagner. Dans les critères nous renforçons les clauses de
responsabilité sociale et environnementale pour que l’entreprise choisie,
française ou non, respecte au mieux les standards internationaux.
La loi insiste sur le
développement durable et la responsabilité sociale et environnementale,
n’est-ce pas hors contexte de le demander à des pays très pauvres?
Si nous voulons lutter
contre l’extrême pauvreté il faut intégrer la question de la soutenabilité
environnementale. La Banque mondiale l’affirme: la première menace sur la
sécurité alimentaire est un changement climatique non maîtrisé. Cela représente
plus de sécheresse, plus d’inondations, donc une baisse de la production et
donc par extension des tensions alimentaires plus fortes.
Les deux agendas de la
lutte contre la pauvreté et contre le changement climatique doivent fusionner
pour inventer un nouveau modèle de développement qui se fixe pour objectif
ultime l’éradication de l’extrême-pauvreté en 2030, soit plus aucun être humain
en dessous de 1,25 dollar par jour [c’est également l’objectif affiché par la
Banque mondiale, ndlr].
Coordination Sud qui
rassemble de nombreuses ONG françaises, salue les avancées de cette loi mais
émet un bémol concernant l’absence de programmation budgétaire.
La loi rappelle les
engagements internationaux [0,7% du revenu national brut dédié à l’aide
publique au développement, ndlr]. Aujourd’hui nous n’avons pas la visibilité
budgétaire suffisante pour tracer un chemin crédible vers le 0,7%. Dès que la
contrainte budgétaire sera moins forte, nous reprendrons le chemin vers les
engagements internationaux.
Dans le contexte actuel,
ma responsabilité est de maintenir les crédits. Les plus pauvres de la planète
ne doivent pas payer notre propre crise budgétaire. Le pourcentage de l’aide
publique au développement est passé de 0,46% à 0,47% grâce à l’augmentation des
financements innovants. Par exemple, nous avons augmenté de 12% la contribution
de solidarité sur les billets d’avion.
Les prêts prennent de plus
en plus d’importance, à côté des dons, alors que leur utilisation est critiquée
par la Cour des comptes car ils ont un coût et créent une dette pour les pays
bénéficiaires.
Il n’y a pas d’opposition
entre prêts et dons. Ils permettent de faire des choses différentes. Lorsque
nous sommes dans une logique de satisfaction des besoins de base, nous parlons
presque exclusivement de dons. Lorsque nous contribuons aux grands fonds
multilatéraux comme le fonds mondial contre le sida ou le paludisme, ou dans le
cadre européen, nous sommes dans le don. Inversement s’il s’agit de
problématiques de ville durable ou du financement d’un tramway ou d’un
écoquartier dans un pays émergent, nous avons recours au prêt car ces
politiques créeront de la valeur économique.
PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-BAPTISTE MOUTTET
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