Manifestation de Nantes : des casseurs, mais aussi des tracteurs...
La
manifestation de Nantes samedi contre le projet d’aéroport de Notre Dame
des Landes a été marquée par des affrontements entre des ("antifas"} et
la police. Une réalité qui fait oublier la forte présence des paysans
et le nombre des manifestants.
Les opposants au projet d’aéroport sont venus en nombre, ce samedi, à 13 h, devant la préfecture de Loire-Atlantique. L’objet de la manifestation est de marquer fortement que la détermination ne faiblit pas, même si Notre Dame des Landes semble avoir disparu de l’actualité. La manifestation est préparée de longue date. Mais la veille, la préfecture a changé l’itinéraire prévu : "Considérant que plusieurs milliers de personnes sont attendues dans le cadre de cette manifestation, indiquait vendredi l’arrêté préfectoral, considérant que la présence de groupes violents a été observée dans des manifestations de ce type par le passé, à Nantes, et qu’ils ont causé dans des circonstances comparables de serieux troubles à l’ordre public", l’autorité a interdit le centre ville - qui concentre les rues commerçantes.
Sous la pluie, on attend le début de la marche, qui va bientôt commencer.
Tout avance dans la bonne humeur. Couleurs, masques d’animaux, percussionnistes, clowns, et puis des milliers de personnes portant pancartes et le parapluie, qui n’est bientôt plus nécessaire.
Les politiques sont aussi venus, du moins ceux d’Europe Ecologie les Verts. Les comités locaux – de Bretagne, Basse-Normandie ou des Pays de la Loire – qui rappellent leur engagement de toujours contre l’aéroport, mais aussi les "nationaux", José Bové, Eva Joly, Pascal Durand, Yannick Jadot. Les deux ministres Duflot et Canfin sont absents ; la secrétaire nationale du parti, Emmanuelle Cosse explique : « Ils ont aussi le droit à des vacances. Mais ils auraient pu être là, ils ont manifesté leur soutien à cette manifestation ». Tout de même, n’y a—t-il pas un nouveau grand écart avec la participation au gouvernement ? « Non, c’est une position très assurée depuis le début, Notre Dame des Landes fait partie de nos combats, tout comme Fessenheim. Et dans le cas de cet aéroport, c’est plus en local qu’en national que le projet est porté. Notre présence au gouvernement est importante, d’autant plus qu’il y a de plus en plus de socialistes qui ont marre de ce projet, même s’ils ne le disent pas ».
Pendant ce temps-là, alors que le long cortège entame sa déambulation au départ de la rue de Strasbourg, un des manifestants profite d’un arbre dans la ville pour y monter une cabane, symbole de la résistance sur la ZAD.
Les zadistes participent pleinement à l’animation de la manifestation, par des clowns qui égaient le cortège ou par d’autres qui mènent quelques tracteurs.
L’importance de la mobilisation tient à son caractère hétéroclite. On tombe sur quelques bonnets rouges, qui viennent eux aussi revendiquer leur opposition à l’aéroport de Notre Dame des Landes. Officiellement, l’organisation n’a pas pris de position ; mais une cinquantaine a fait le déplacement pour exprimer leur doute quant à la pertinence économique du projet : « Je suis convaincu qu’on peut développer l’actuel aéroport, et qu’il créera tout autant d’emplois », explique Dider, bretonnisation officielle du prénom Didier, « reconnue par l’office de langue bretonne ! ». Il est là pour défendre le pays breton, dont Nantes fait partie, selon sa philosophie du « vivre, décider et travailler au pays ».
L’ambiance est détendue, rythmée par les batucadas - percussions - ou quelques simagrées de clowns activistes. Les gens viennent en famille, comme Emilie avec son bébé de 15 mois, Mano. « Il n’y a pas de problèmes d’insécurité, c’est convivial. Et puis Mano était prédestiné : il est né deux jours après la grande manifestation de réoccupation, en novembre 2012… » sourit-elle.
A l’avant de la manifestation, la bonne humeur règne. Le porte-parole de l’Acipa, Julien Durand est tout sourire : "Ce jour est dans la continuité des manifestations de réoccupation, fin 2012, ou de la chaîne humaine, au printemps 2013 : autour de 40 000 personnes sont venues dire non à l’aéroport. Et ça se passe dans la bonne humeur, avec des familles. Il n’est pas question, après une telle détermination, que le pouvoir revienne occuper le terrain. Si le pouvoir veut passer en force, ce sera la révolution à Notre Dame des Landes."
Le cortège a passé le pont Haudaudine, arrive sur l’ile de Nantes, prend à droite. Tracteurs, passants en K-way et portant pancartes, musiciens et clowns avancent gaiement sous le ciel bleu dans les quartiers modernes et froids de l’ïle. Des jeunes crient "Non non non au mariage PS-Vinci, Avortement pour l’aéroport !".
Au volant de son tracteur, Sylvain Fresneau, le paysan dont l’exploitation est située au centre de la Zad, est ravi : "Nous sommes 520 tracteurs ! Plus qu’il n’y en a jamais eu".
Mais la fin de la troupe arrive déjà. Un grand vide apparait derrière les derniers manifestants. Les derniers ? C’est déjà fini ? Non. Mais à l’arrière, le gros des manifestants s’est arrêté au niveau de l’hôpital de l’Hôtel Dieu.
Car au croisement du Commerce, la situation a dégénéré, dès quinze heures. Face aux murs de grillages soutenus par plusieurs blindés de police, des petits groupes envoient des projectiles en verre, parfois quelques pavés. Les forces de l’ordre répondent par des gaz lacrymogènes et des canons à eau, projetés abondamment. L’air est saturé, et la manifestation se fige face au spectacle de ces heurts.
Un peu plus loin sur le Cours Roosevelt, c’est un abri bus et des toilettes publiques qui prennent feu, pendant que les affrontements redoublent d’intensité, au choc des déflagrations de grenades assourdissantes.
Les pavés du tramway sont enlevés pour servir de projectiles.
Pendant plus de trois heures, cette bataille rangée, en plein centre-ville, va concentrer l’attention des manifestants, éteignant quelque peu l’élan collectif.
Marco, 55 ans, vit à Nantes depuis plus de trente ans ; il souligne l’importance du dispositif policier pour l’occasion : « J’ai fait beaucoup de manifestations dans ma vie ici, mais c’est la première fois que je vois le centre-ville bloqué pour l’occasion. Un tel déploiement policier ressemble un peu à de la provocation ».
Gérard (prénom changé) est venu de la Zad, où il vit depuis plus d’un an. Il observe les affrontements de près, comme des centaines de manifestants qui restent là en discutant. "Cela dessert la lutte, pas tant pour l’image que cela donne que par ce que cela va empêcher de faire. que cela va donner une mauvaise image. En fait, près de 250 "antifas" sont descendus de partout pour affronter la police. Mais il y a tellement de haine en France, du fait des politiques menées, que l’on comprend qu’elle s’exprime".
D’autres tentent, par-ci par-là, d’attirer l’attention sur le message premier de la manifestation : ainsi Mireille a-t-elle paré son manteau de feuilles et fleurs diverses : "Je suis un bosquet vivant pour rendre hommage au bocage ». A quelques mètres des violences urbaines, la danse collective de ces hommes et femmes déguisés en arbustes a forcément quelque chose de surréaliste…
Ambiance étrange : pendant que l’affrontement se fixe au coin du cours Franklin Roosevelt et de l’avenue Olivier de Clisson, à l’arrière, tout le monde discute tranquillement, au son des tirs de grenades lacrymogènes. Autour d’une fanfare, des jeunes dansent joyeusement.
Le maire de Notre Dame des Landes, Jean-Paul Naud, est venu, ceint de son écharpe tricolore, avec plusieurs conseillers municipaux. "C’est une belle manifestation, dit-il. Dommage qu’il y ait tous ces cagoulés. Mais cela n’empêche pas que je maintienne mon opposition à l’aéroport. J’ai bon espoir qu’on trouve une porte de sortie juridique par les recours sur la loi sur l’eau.". Il explique qu’il ne s’agit pas d’être "contre le progrès", mais d’arrêter de consommer des terres agricoles. "On vient d’adopter notre plan local d’urbanisme. On va construire sur douze hectares, mais on ne touche pas aux zones agricoles : ce sera sur des friches ou au sein des lotissements".
Sur la place de Petite Hollande, longée par de longues files de tracteurs, les gens discutent autour de la petite scène. Elle aurait dû être au centre de l’attention pour les prises de parole, mais celles-ci se perdent dans l’indifférence. Le gros de l’attention et des discussions portent sur l’affrontement qui se poursuit, presque comme un jeu, à quelques centaines de mètres.
La station de tramway est incendiée et brûle.
L’après-midi s’achève et le froid revient. La foule commence à se disperser, les tracteurs s’en vont, la musique se tait. Les terrasses de café sont remplies, et les gens discutent au son des grenades lacrymogènes. Qui se rapprochent, car les gendarmes ont commencé à avancer et font reculer les fauteurs de trouble. Les incidents s’achèvent vers vingt heures. Laissant dans leur sillage une agence immoblilière de Vinci dévastée, un poste de police peinturluré, plusieurs vitrines de magasins brisés, deux engins de chantier et une voiture incendiés.
Des événements qui laissent un goût amer au très grand nombre des manifestants - sans doute plus de trente mille - qui venaient signifier leur détermination dans la gaieté et la non-violence. L’autre visage de la journée aura imprimé une image plus forte : celle d’une violence qui ne demande qu’à surgir. En réaction à la violence de l’Etat, sans doute, mais qui dessert à court terme le mouvement de lutte contre l’aéroport de Notre Dame des Landes.
Source : Reporterre.
Photos : Barnabé Binctin, sauf début de manifestation, Hervé Kempf, et dépavage, Twitter.
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