Ukraine : Timochenko libérée
Kiev. Le parlement ukrainien a libéré samedi
l'opposante emprisonnée Ioulia Timochenko et décidé d'une élection
présidentielle anticipée en mai, destituant de facto Viktor Ianoukovitch, qui,
de son côté, refuse de démissionner et dénonce un «coup d'Etat».
L’opposante doit se rendre
sur la place de l’Indépendance dans la soirée…
Son portrait est dressé
depuis le début de la contestation sur la place de l’Indépendance. A Kiev,
celle qui est surnommée «l’opposante à la tresse d’or» est devenue le symbole
de la répression de la présidence Ianoukovitch.
A l’annonce de sa
libération, les feux d’artifice ont résonné dans le centre de la capitale,
épicentre de la contestation ukrainienne. Elle a pris une voiture depuis
l’hôpital carcéral où elle était détenue à Kharkiv dans l’Est du pays. Elle
doit prendre un avion pour se rendre à Kiev et rejoindre le Maïdan, où les
manifestants l’attendent avec impatience.
Condamnée pour abus de pouvoir
«Elle a été emprisonnée
par Ianoukovitch à cause de ses idées. J’espère qu’elle se présentera aux
élections» du 25 mai prochain annoncées par le Parlement dans l’après-midi,
avance Hanna, une activiste de 33 ans, infirmière.
Ioulia Timochenko, égérie
de la Révolution orange lors de l’élection de 2004, a été condamnée pour abus
de pouvoir en 2011 après avoir refusé de quitter son poste de Premier ministre
après les élections de 2010, remportées par Victor Ianoukovitch.
«Prisonnière politique»
«Sa condamnation n’était
pas légitime. Elle n’a pas eu de procès. On lui a fabriqué des preuves»,
poursuit Hanna, qui la considère comme une «prisonnière politique».
L’opposante,
particulièrement populaire à l’Ouest du pays, a été libérée après un vote du
Parlement qui était revenu sur la constitution de 2004. «Les députés étaient
obligés de la libérer. Il n’y a plus de policiers à Kiev. La foule se trouvait
devant les grilles. Ça aurait été un carnage», ajoute un manifestant qui
concède ne pas la porter particulièrement dans son cœur, en raison des
«soupçons de détournement d'argent» qui pèsent sur elle. «Pourvu qu’elle ne
soit pas réélue à nouveau», glisse-t-il.
«Ioulia libérée !», scandaient des centaines de personnes à Kharkiv
(est), où Ioulia Timochenko était hospitalisée près du centre pénitentiaire.
L'ancienne égérie de la «Révolution orange» de 2004, arborant sa tresse
emblématique, les a saluées de la main. Son entourage a annoncé qu'elle se
rendait à Kiev, sur le Maïdan, la place de l'Indépendance où campent des
milliers d'opposants.
«La dictature est tombée
non pas grâce aux hommes politiques et aux diplomates, mais grâce aux gens qui
sont sortis dans la rue, qui ont réussi à protéger leurs familles et leur
pays», a-t-elle déclaré, rendant hommage aux centaines de milliers de personnes
qui ont manifesté pendant trois mois leur opposition au régime.
Le président de la
Commission européenne, José Manuel Barroso, s'est félicité de ce dénouement.
Le Parlement ukrainien
avait voté plus tôt dans la journée la «libération immédiate» de l'ancienne
Première ministre.
Les députés ont ensuite
constaté ce qu'ils ont considéré comme une vacance du pouvoir et destitué de
facto le chef d'Etat.
«Le président Ianoukovitch
s'est écarté du pouvoir et ne remplit plus ses fonctions», indique la
résolution adoptée par les députés, qui ont fixé au 25 mai l'élection
présidentielle anticipée.
L'armée reste neutre
Mais, de Kharkiv (est),
Viktor Ianoukovitch, dont le mandat court jusqu'en mars 2015, a assuré qu'il
n'avait nullement l'intention de démissionner.
«Le pays assiste à un coup
d'Etat (...). Je suis un président élu de manière légitime», a-t-il souligné
dans une allocution télévisée.
Il a aussitôt reçu le
soutien de la Russie, qui estime que «l'opposition n'a pas rempli une seule de
ses obligations» figurant dans l'accord signé vendredi avec le président et
dénonce «les extrémistes armés et les pillards dont les actes constituent une
menace directe (pesant) sur la souveraineté de l'Ukraine».
La déclaration de Viktor Ianoukovitch a été
enregistrée à une date inconnue.
Le nouveau président du
Parlement, Olexandre Tourtchinov, a affirmé que le chef d'Etat se cachait dans
la région de Donetsk (est), dont il est originaire.
«Il a essayé de prendre un
avion à destination de la Russie, mais il en a été empêché par des
gardes-frontières», a-t-il assuré.
Alors que l'accord qu'il a
conclu vendredi prévoit qu'il entérine rapidement des mesures adoptées par le
parlement en vue de la formation d'un gouvernement d'union nationale, Viktor
Ianoukovitch a souligné qu'il n'allait «rien signer avec les bandits qui
terrorisent le pays».
«Il n'y a pas de coup
d'Etat à Kiev. Les bâtiments officiels ont été abandonnés. Le président du
Parlement a été légitimement élu», a aussitôt répondu le ministre polonais des
Affaires étrangères Radoslaw Sikorski, qui a participé aux négociations entre
opposition et pouvoir.
La police a évacué le
quartier gouvernemental dans la capitale, le laissant sous le contrôle du
service d'ordre des opposants.
L'armée a, de son côté,
fait savoir dans un communiqué qu'elle n'allait «pas s'impliquer dans le conflit politique».
Les défections se sont
multipliées samedi dans le camp du chef de l'Etat, au fur et à mesure que
l'opposition s'emparait des leviers du pouvoir.
«Ianoukovitch a été mis
KO», s'est réjoui l'un des responsables de l'opposition, le champion du monde
de boxe poids-lourds, Vitali Klitschko, sur le site internet de son parti Oudar
(coup).
Menace sur l'intégrité territoriale
Deux proches de Ioulia
Timochenko ont été désignés à la tête du Parlement et du ministère de l'Intérieur,
avec pour objectif de rétablir le fonctionnement des institutions.
La police avait auparavant
affirmé être «aux côtés du peuple», dans un communiqué sur le site internet du
ministère de l'Intérieur.
A Kharkiv, des
responsables des régions pro-russes de l'est ont remis en cause la «légitimité»
du Parlement ukrainien, considérant qu'il travaille actuellement «sous la
menace des armes».
«L'intégrité territoriale
et la sécurité de l'Ukraine se trouvent menacées», ont-ils estimé.
L'Ukraine, 46 millions d'habitants,
est divisée entre l'est russophone et russophile, majoritaire, et l'ouest
nationaliste et ukrainophone.
Dans la banlieue de Kiev,
un embouteillage monstre a été provoqué par l'afflux de milliers d'Ukrainiens
allés jeter un oeil sur la luxueuse résidence présidentielle, abandonnée par la
sécurité. Les lieux sont gardés par le service d'ordre des opposants, qui
laissait les curieux contempler de l'extérieur les pièces décorées de marbre et
de dorures, la salle de réception en forme de galion et une collection de
faisans...
Situation économique épouvantable
Sur le Maïdan, transformée
en quasi-zone de guerre, au coeur de Kiev, des milliers de personnes sont
venues avec une bougie et des fleurs. Des photos de manifestants tués sont
affichées sur le podium érigé au centre de la place et une inscription proclame
«gloire aux héros».
«Nous devons rendre
hommage à ceux qui sont morts pour nous, nous devons être fiers d'eux et
continuer notre combat jusqu'au bout», a expliqué Natalia.
Des affrontements ont fait près de 80 morts depuis mardi à Kiev, un niveau de violence inédit
pour l'Ukraine, pays issu de l'ex-URSS.
«Soyons prudents», a jugé
le chef de la diplomatie française Laurent Fabius, «car la situation économique
reste épouvantable».
L'Ukraine se trouve au
bord de la faillite, et la Russie a promis l'octroi d'un crédit de 15 milliards
de dollars et un important rabais du prix du gaz. Elle a versé trois milliards
de dollars fin décembre, mais le versement du reste est désormais très
incertain.
Les Européens ont promis
une assistance financière beaucoup plus modeste, d'environ 610 millions
d'euros.
Le ministre britannique
des Affaires étrangères William Hague a indiqué s'être entendu avec son
homologue allemand pour faire pression pour le déblocage d'une «aide financière
vitale du Fonds monétaire international».
MCD
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