Failles
Les catastrophes naturelles révèlent les sociétés. Les inondations de La Nouvelle-Orléans ont montré un pays désemparé et inefficace malgré sa richesse et sa maîtrise technologique. Le Mississippi débordant a mis à nu tous les maux de l’Amérique, ses inégalités comme sa méfiance invétérée envers l’Etat. Le séisme, le tsunami puis la catastrophe nucléaire de Fukushima ont tout autant exposé le Japon. Le monde a admiré, après cette triple tragédie, la force, la résistance, le courage de ses habitants. Des milliers de morts, des milliers de réfugiés n’ont entamé ni les structures ni les fondamentaux de la société, qui est restée unie et solide. Mais, un an plus tard, le Japon montre aussi ses failles et ses faiblesses. Comme l’opacité de son système de pouvoir politique et ses collusions complices avec l’appareil industriel, notamment nucléaire. L’étendue et la gravité de la radioactivité rémanente demeurent mal connues. Le gouvernement continue de dissimuler à ses citoyens et au reste du monde des chiffres probants et fiables. Ces secrets et mensonges entretiennent une suspicion justifiée envers le nucléaire. Si le Japon a commencé à reconstruire ses villes, ses routes et ses ports détruits par les eaux, comme il l’avait fait après le séisme de Kobé, il n’a toujours pas analysé la manière dont il est gouverné. Le tremblement de terre de Lisbonne avait remis en cause la philosophie européenne et ébranlé les monarchies et les Eglises. A Tokyo, ni la gouvernance ni le modèle économique du pays n’ont été questionnés. Au risque de corrompre encore plus la confiance entre les classes dirigeantes et les citoyens. Ce qui, au Japon, constituerait un autre tsunami.
FRANÇOIS SERGENT
Incertitudes et querelles sur le bilan
Les chiffres officiels évoquent près de 20 000 morts et disparus. Les médias japonais bien davantage.
La question est presque taboue. Elle porte sur le bilan humain «officiel» du tsunami du 11 mars 2011, touchant donc au deuil, à la disparition d’un ou plusieurs êtres chers. Le sujet est d’autant plus sensible dans un Japon, où le rite funéraire, vénéré comme étape sacrée d’une loi naturelle, prévoit d’ordinaire l’incinération du corps. Or, un grand nombre de familles n’ont pu, à l’aune des rites, faire le deuil de proches.
Efforts. Les disparus du tsunami (ou yukeefume) sont aujourd’hui, officiellement, au nombre de 3 272, tandis que l’on dénombrait, le 6 mars, 15 854 morts et 6025 blessés. Soit un total de 19 126 morts et disparus, dont la moitié avait plus de 65 ans. Pour autant, ce bilan ne fait pas l’unanimité. Les médias japonais continuent de donner des chiffres très divergents, avoisinant tantôt 19 000 morts et disparus, tantôt 24 000, voire plus. La question est, il est vrai, difficile. «A Ishinomaki, le bilan est incertain», concède un responsable de la mairie. Ici, nous comptons 3 200 morts. Mais le nombre de disparus est un souci. Il y en a 500, peut-être 700. Mais en vérité, on ne sait pas. Les disparus sont des corps que nous n’avons pas retrouvés. Peut-être ont-ils reflué en mer, ou sont-ils ensevelis sous des débris.»
Depuis le 11 mars 2011, les autorités japonaises, la police en première ligne, déploient des efforts considérables, avec les municipalités, pour établir le bilan le plus exact possible. «C’est un défi», estime Christophe Bosquillon, un ingénieur français expert de ces questions, qui a mené à ce jour 15 missions d’entraide dans la région de Tohoku et qui était présent à Sumatra, à Banda Aceh, au lendemain du tsunami de décembre 2004.
«Registres». «Des villes de bord de mer ont perdu leur mairie, des registres ont été perdus et des cadastres refaits à la main, sans informatisation des données, avec parfois les moyens du bord, explique l’ingénieur. C’est clair qu’on ne peut pas se satisfaire des bilans actuels établis sur des bases incomplètes. Vu l’anéantissement des villes sur la côte, intuitivement, d’après mon expérience, un bilan de 30 000, voire 40 000 morts et disparus, me semblerait davantage plausible.» Avec le conditionnel de circonstance.
MICHEL TEMMAN (au Japon)
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