Une femme en niqab au chevet d'un blessé comme icône des "printemps arabes", tel a été le choix du World Press 2011. La photo avait été prise le 16 octobre 2011 par Samuel Aranda dans une mosquée de Sanaa, au Yémen, transformée en hôpital de campagne lors des affrontements avec les forces restées fidèles au président Ali Abdallah Saleh.
Une semaine plus tôt, le 7 octobre, une autre Yéménite avait été mondialement distinguée, Tawakul Karman, colauréate du prix Nobel de la paix, islamiste et adversaire acharnée d'un président symbolisant les dérives autoritaires arabes partagées des rives de l'Atlantique aux eaux du Golfe.
A leur manière, ces deux figures yéménites résument les enjeux que représentent les transitions post-révolutionnaires – là où les "printemps" l'ont emporté – pour les droits des femmes. Elles ont souvent été en première ligne du combat pour jeter à bas l'ordre politique ancien. Mais elles évoluent dans des sociétés encore corsetées par un conservatisme appuyé sur une interprétation de la religion qui aboutit à une citoyenneté de seconde zone, à un accès à l'éducation et au marché du travail plus difficile que pour les hommes (même si leurs résultats scolaires et universitaires sont, en moyenne, supérieurs), bref, à une relégation sociale, marquée au Yémen par le phénomène des mariages précoces.
AU MAGHREB, L'INQUIÉTUDE MONTE
Après l'euphorie printanière des révolutions instantanées tunisienne et égyptienne, puis les déflagrations guerrières en Libye et en Syrie, les élections de l'automne 2011, marquées par l'arrivée en force de partis islamistes, ont jeté le trouble. Le laboratoire politique du Koweït, qui a perdu lors des élections parlementaires anticipées de février les représentantes féminines élues à la régulière lors des législatives précédentes, n'a pas été épargné.
Au Maghreb, l'inquiétude monte, tout particulièrement dans une Tunisie pionnière en matière de féminisme d'Etat, après la Turquie kémaliste et l'Iran du chah. Les femmes révolutionnaires, "idiotes utiles" du conservatisme ? Le cliché séduira certains, même si sa pertinence reste encore à démontrer.
Le photographe espagnol Samuel Aranda remporte le World Press Photo 2011 pour sa photographie prise au Yémen d'une femme entièrement voilée tenant délicatement dans ses bras un de ses proches blessés. La photo a été prise dans une mosquée de Sanaa transformée en hôpital de campagne lors du soulèvement populaire contre l'ancien président Ali Abdallah Saleh.AFP/SAMUEL ARANDA
En premier lieu parce que la situation sociale, politique et culturelle des femmes est très diverse d'un pays à l'autre, au-delà de l'unité religieuse et linguistique de l'aire arabo-musulmane. Les contrastes sont saisissants entre ce Yémen qui compte parmi les pays les plus pauvres de la planèt,e mais où les femmes peuvent participer à une vie politique, et la plupart des émirats pétroliers voisins, où le revenu par tête culmine à des sommets mondiaux, mais où les femmes sont proscrites de la vie politique.
C'est dans un autre pays voisin du Yémen, l'Arabie saoudite, que l'absence d'égalité reste sans doute la plus criante, alimentant une bataille discrète mais opiniâtre, marquée par quelques succès symboliques, comme le droit de vote et de candidature finalement accordé en septembre 2011, pour les prochaines élections municipales.
JUGÉS SUR LA PLACE FAITE AUX FEMMES
Ensuite, parce que la partie ne fait que commencer, dans un nouvel ordre aux contours durablement incertains. Il n'y a pas de raisons pour que la quête de dignité, moteur principal des révoltes arabes, plus encore probablement que l'aspiration à une démocratie tempérée, s'arrête à la condition des femmes.
A de très nombreuses reprises, au risque d'apparaître en donneurs de leçons, les responsables des pays occidentaux ont averti que les nouveaux systèmes politiques construits sur les vestiges de régimes autoritaires usés seraient aussi jugés sur la place qui serait faite aux femmes. C'est le sens de l'appel que nous publions, signé par des figures intellectuelles et militantes des deux rives, qui rappellent qu'"aucune démocratie ne peut se construire au détriment d'une moitié de la société".
L'appel invite au respect de la convention des Nations unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes. Adopté il y a plus de trente ans, le 18 décembre 1979 par l'Assemblée générale de l'ONU, ce texte est entré théoriquement en vigueur le 3 septembre 1981.
Si la quasi-totalité des pays arabes a ratifié cette convention, ce fut en ajoutant des réserves qui affaiblissaient le principe même de non-discrimination. Les pays occidentaux n'y ont rien trouvé à redire, tout comme sur les états de service de ces mêmes pays en matière de libertés individuelles. Ce rappel historique incite nécessairement à la vigilance, mais il n'interdit pas d'espérer.
Gilles Paris
Pour l'abolition du 8-Mars
Il faut donc, cette année encore, sacrifier au rituel du 8-Mars et, "à l'occasion de la Journée internationale de la femme", parler des femmes. Alors, parlons des femmes.Pourquoi pas ? Nous sacrifions bien au rituel de la Journée de l'eau, de la Journée de l'Alzheimer, ou à celui du commerce équitable. Mais il finit par y avoir quelque chose de dérisoire à s'obstiner, une fois par an, à mettre le projecteur sur la moitié de la population mondiale pour constater qu'elle n'est toujours pas l'égale de l'autre moitié.
Le combat pour l'égalité des femmes est un combat de tous les jours, pas seulement celui du 8 mars. Dans le monde arabe, où le "printemps" 2011 a encouragé des millions de femmes à se libérer comme citoyennes et comme femmes, le combat pour l'égalité des sexes est un test pour les partis islamistes arrivés au pouvoir. Dans les économies émergentes, où la forte croissance bouleverse les équilibres sociaux, les femmes doivent se battre chaque jour pour recueillir, elles aussi, les fruits de cette dynamique.
En Europe, et en particulier en France, les femmes ne sauraient non plus baisser la garde un seul jour de l'année sous peine de perdre le bénéfice de combats âprement menés depuis que les Françaises ont acquis le droit de vote, en 1944. Un exemple : la Constitution de la Ve République a été révisée, en bonne et due forme, il y a douze ans, pour que le principe de "l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales" soit gravé, dès l'article premier, dans notre Loi fondamentale.
Qu'en est-il en 2012 ? La parité électorale est bafouée à chaque scrutin législatif. Les partis politiques préfèrent se voir infliger des amendes plutôt que de prendre le risque de perdre des sièges en présentant des candidates à la place de candidats. La haute fonction publique se résigne à l'introduction progressive de quotas devant l'incapacité des hommes à faire la place à leurs collègues de l'autre sexe. En France, aujourd'hui, la parité politique est une farce.
Voilà pour la quantité. Côté qualité, la situation n'est guère plus brillante. L'affaire DSK a révélé un environnement ouvertement sexiste dans les milieux politiques français ; dix mois après, plus personne n'en parle. Quant à la parité professionnelle et sociale, elle reste un rêve lointain. Dix pour cent seulement des sièges des conseils d'administration sont occupés par des femmes dans les pays de l'OCDE. Et l'écart des salaires demeure de 25 % en France, au détriment des femmes. Oui, 25 % !
Il faut se battre encore pour protéger jusqu'au droit à l'avortement, dont Marine Le Pen, la candidate du Front national, voudrait sacrifier le remboursement.
Comme Nicolas Sarkozy en 2007(ce qu’ il n’ a jamais fait), François Hollande, s'est engagé à former un gouvernement paritaire s'il est élu. Ces engagements sont bienvenus. Malheureusement, le premier n'a pas tenu sa promesse. Et l'équipe de campagne du second est loin de donner l'exemple, à l'image du parti qu'il a dirigé pendant onze ans. Le combat continue.
EM
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