Ils sont en première ligne. De la crise, mais aussi des protestations qu'elle provoque. Les jeunes paient au prix le plus fort la dégradation du climat économique depuis 2008. Si en Europe, le taux de chômage global s'élève désormais à 10 %, il monte à 21,6 % pour les jeunes. En Espagne, qui a vu les Indignés se mobiliser de la façon la plus spectaculaire en mai 2011, il touche désormais près de la moitié des jeunes actifs, soit deux fois plus qu'en 2008 (voir graphique). Comme le rappelle l'Institut de recherches économiques et sociales (IRES) [1], ce fort taux de chômage s'accompagne d'une progression des emplois temporaires, comme des temps partiels. Et plus inquiétant encore d'une hausse de la proportion des jeunes sans emploi et hors de toute forme d'éducation ou de formation, ceux que l'on désigne désormais sous le sigle de NEET [2]. Des jeunes souvent oubliés parce que moins visibles dans l'espace public que les jeunes diplômés, plus prompts à la manifestation. Une telle fragilisation risque d'avoir un impact d'autant plus durable sur le devenir de cette génération qu'elle se produit au moment délicat de son entrée dans la vie active. Et qu'elle prive ces jeunes d'autonomie par rapport à leurs familles.
Tromperie sur la marchandise
Rien d'étonnant dans ces conditions à ce que dans beaucoup de pays, en Occident mais aussi dans les puissances émergentes, les générations montantes s'estiment trahies. Ce sentiment d'injustice est encore plus fort pour les jeunes des catégories sociales les moins favorisées qui n'ont décroché un diplôme qu'au prix de lourds sacrifices de leurs familles. Et qui découvrent en arrivant sur le marché du travail que seules quelques universités sont réellement cotées. Ainsi, des centaines de milliers de jeunes diplômés chinois qui s'entassent dans les banlieues pauvres des grandes villes après avoir fait leurs études dans une province de l'intérieur du pays.
Ce chômage des jeunes, et surtout de ceux qui ont fait des études supérieures, révèle dans de nombreux pays les incohérences de la politique économique. Le niveau d'éducation a monté, souvent de façon spectaculaire, mais la structure productive n'a pas suivi, incapable de fournir des emplois à des générations de mieux en mieux formées. Et même là où les taux de croissance ont mieux résisté à la crise. Comme le relève Jorge Castañeda dans le cas de l'Amérique Latine, la croissance résulte souvent du boom mondial des matières premières qui attirent des devises et des investissements étrangers dans les pays producteurs mais qui y génèrent peu d'emplois [3].
Rien d'étonnant non plus dans un tel contexte que la colère des jeunes vise en premier lieu les suspects habituels, à savoir les hommes politiques. Y compris dans des pays qui après avoir connu de longs régimes dictatoriaux n'ont recouvré un fonctionnement démocratique qu'au cours des dernières décennies, à l'instar du Chili . Mais depuis 2008, d'autres coupables présumés ont rejoint la classe politique dans l'opprobre. Les banquiers bien sûr qui sont mis en cause dans leur propre Mecque, Wall Street, mais aussi les médias, accusés de se faire les relais obéissants des deux autres catégories.
Graphique ici à droite : Taux de chômage des moins de 25 ans (2008-2011)
Une évolution, pas une révolution
La jeunesse exaspérée est-elle pour autant tentée par la mise à bas du système ? N'en déplaise à ceux qui sont toujours en quête d'une nouvelle avant-garde révolutionnaire, cela n'y ressemble pas. Pour l'instant, du moins. Sur le plan idéologique, ses critiques visent moins le capitalisme en soi que ses dérives. Et d'abord les inégalités qui n'ont cessé d'enfler dans de nombreux pays depuis que sa version néolibérale y a prévalu. Même la société américaine s'est dessillée dans ce domaine à la faveur de la crise . De même, s'ils critiquent la confiscation de la démocratie représentative par les élites politiques, les mouvements d'Indignés n'entendent pas la remplacer mais la compléter par des procédures de démocratie participative aux contours encore imprécis. Une volonté qui n'est pas toujours à l'abri de dérives populistes, mais qui pourrait aussi déboucher sur un engagement renouvelé dans l'action politique locale. Cette propension à l'activisme de proximité répond non seulement à une méfiance vis-à-vis des organisations classiques (partis, syndicats…) mais aussi à une volonté d'obtenir des résultats palpables sans attendre toute une vie d'hypothétiques lendemains qui chantent.
Article issu du dossier Avoir 20 ans en temps de crise
Yann Mens
Alternatives Internationales n° 054 - mars 2012
Alternatives Internationales n° 054 - mars 2012
Notes
(1) Les jeunes dans la crise, Chronique International de l'IRES, n° 133, novembre 2011
(2) Not in Education, Employment or Training :, soit ni étudiant, ni employé, ni stagiaire
(3) Los indignados de America Latina, El Pais, 24 août 11
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