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lundi 5 mars 2012

Dissidence...


Vàclav Havel et le «pouvoir des sans-pouvoirs»
Le slogan «Havel au Château» (Havel na Hrad) et son élection à la présidence de la République constituèrent les points culminants de notre révolution pacifique de novembre 1989. Son caractère «de velours» fut le mérite, entre autres, de Václav Havel. Durant cette révolution, il demeurait encore, dans l’esprit des Tchèques, avant tout un dramaturge, l’auteur de la Fête en plein air et de Mémorandum. Seul un groupe restreint parmi ceux que l’on appelait «dissidents», le connaissait comme essayiste, coauteur de la Charte 77, homme politique doué, et en raison de ses principes moraux. Václav Havel avait énoncé lui-même le principal d’entre eux : vivre dans la vérité. Une revendication capitale dans une société où le mensonge devient une norme à l’aune de laquelle l’individu est jugé par le pouvoir.
Dès les années 70, lorsqu’il écrivit ses essais les plus profonds, Havel était conscient du fait que ce monde de l’apparence, cette vie dans le mensonge n’étaient pas seulement imputables à la société post-totalitaire, mais aussi à la société de consommation. Ainsi, même après la «révolution de velours», lorsqu’il quitte sa situation de dissident pour la présidence, ne cesse-t-il de prôner la vie dans la vérité. Pour Havel, cette quête comportait des risques, car cette vision de la société «post-totalitaire» suscitait la rage du pouvoir en place. Cette rage avait changé de dimension après la mort de Staline et cessa de vouer ses victimes à une mort certaine. Dix ans plus tôt, la Fête en plein air n’aurait jamais pu être mise en scène et son auteur aurait très vraisemblablement été condamné à extraire de l’uranium dans les mines de Jáchymov.
L’aliénation du langage devint le sujet de la pièce Mémorandum - qui fait apparaître un langage incompréhensible, artificiellement construit, le «ptydepe», qui sert à donner des ordres et à rédiger des mémorandums que personne ne comprend. La parole perd sa fonction originelle - la communication - pour devenir un moyen d’aliénation. Cette situation menace l’individu, altère sa capacité à se faire entendre. Mais elle convient au pouvoir post-totalitaire pour réprimer tout dialogue.
Dès le début des années 70, Havel envisage la dissidence comme une révolte rigoureusement non-violente, il n’établit pas d’objectif noble pour ce mouvement, mais l’oriente vers l’individu, le citoyen : défendre ses libertés, contredire les mensonges idéologiques promettant les lendemains radieux auxquels conduit une violence transitoire. Puisque le pouvoir est violent, une révolte non-violente doit devenir le fondement du mouvement dissident.
Un jour, organisant avec lui une réunion collective, je lui demandai comment lui faire parvenir l’information sur le lieu de la rencontre. Il m’a répondu : «Appelle-moi par téléphone, on ne fait rien d’illégal.» Téléphoner à un numéro sur écoute signifiait que la police secrète serait au courant. Mais la question de la légalité était essentielle pour Havel. Se réclamant, en effet, de toute une série d’accords et conventions pour la défense des droits de l’homme, le régime post-totalitaire démontrait publiquement, chaque fois qu’il avait décidé de faire un procès aux dissidents les plus actifs, qu’en pratique, il foulait aux pieds ces droits fondamentaux. A plusieurs reprises, Havel lui-même fit l’objet d’une procédure judiciaire et écopa, au total, de quatre ans de prison ferme.
A l’aide de quelques amis, au moment où toutes ses œuvres étaient interdites de publication, il réussit ainsi à présenter, sous la baguette de son ami le metteur en scène Andrej Krobot, sa nouvelle pièce inspirée de l’Opéra de quat’sous. La représentation eut lieu dans une banlieue de Prague. La plupart de ses amis, avec stupeur, assistèrent ainsi, en 1975, à la première d’une comédie signée par un auteur interdit. Pour plus d’une centaine de spectateurs, la représentation fut non seulement un événement artistique, mais aussi un acte de résistance encourageant. Cette mise en scène correspondait à la conception de la révolte de Havel. Il refusait toute proclamation grandiose de visions politiques et demandait que l’intérêt de la dissidence se porte sur les destinées des individus, ce qui signifiait prendre la défense des personnes que le régime menaçait.
Václav Havel fut parmi les premiers à formuler la nécessité d’une autre culture, d’une culture parallèle. Mettre publiquement en scène sa pièce constitua une preuve de l’existence de cette culture non-officielle. Les créations dans le domaine littéraire virent aussi le jour sous forme de samizdat, dès l’occupation soviétique. D’autres pièces - celles de Pavel Kohout ou de Karol Sidon - furent présentées lors de soirées de lectures privées. Václav Havel songeait ainsi à une révolution existentielle. Il a été sans doute le seul homme politique tchèque qui ait cru en la société civile, quand la politique reposait sur l’activité de petites communautés, constituées souvent juste pour mettre en œuvre un seul objectif concret, et censées disparaître après l’avoir atteint. Aujourd’hui, je me rends compte que le point fort de Havel après novembre 1989 ne réside ni dans ses capacités d’analyse ni dans ses années d’expérience politique, mais plutôt dans son intégrité morale.
IVAN KLÍMA Ecrivain et dramaturge tchèque
Traduit du tchèque par Zuzana Tomanová et Maxime Forest.
En partenariat avec «Libération», les Délégations permanentes de la République tchèque et de la France auprès de l’Unesco rendent aujourd’hui un hommage à Václav Havel. De 18 heures à 20 heures au 125, avenue de Suffren (salle IV -Fontenoy). 75007.

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