Histoire de l’atome en France (1/5)
18 octobre 1945, naissance du CEA...
18 octobre 1945, naissance du CEA : sa raison d’être, la bombe son alibi, la recherche
18 octobre 1945, naissance du CEA : sa raison d’être, la bombe son alibi, la recherche
Il y a de nombreuses libertés
vis-à-vis des faits historiques concernant les places respectives de la
recherche militaire et civile au CEA, l’erreur la plus commune est d’inverser
les rôles du militaire et du civil dans les motivations du CEA. Le CEA est
généralement présenté comme un organisme créé pour développer les aspects
pacifiques de l’énergie nucléaire, et l’orientation militaire ouvertement
affirmée dans les années 50 est perçu alors comme une dérive des buts assignés
au CEA à sa création.
La réalité est très
différente : la mise en service en 1956 à
Marcoule de G-1, premier réacteur électrogène français, montrait
l’orientation fondamentale du CEA vers les applications militaires même si le
Département des Applications Militaires (DAM) ne fut créé que plus tard, fin
1958. L’aspect électrogène de G-1 masquait en fait sa finalité réelle (G-1 piètre
producteur d’électricité, 2 mégawatts électriques, n’a été exploité que par le
CEA même après son couplage au réseau). Les réacteurs suivants, G-2 et G-3,
plus puissants, (38 Mwe) furent eux aussi exploités par le CEA et non pas par
EDF. La raison en est que la production de plutonium impose un mode de
fonctionnement différent de celui nécessaire à la production d’électricité. La
gestion par le CEA des réacteurs de Marcoule est la marque de leur objectif
plutonigène. Il faudra attendre 1963 pour qu’EDF prenne en exploitation un
réacteur nucléaire, le réacteur Chinon A-1, d’une puissance électrique de 70
mégawatts.
Cependant il y a plus
fondamental. Dès l’origine les acteurs de l’énergie nucléaire ont donné la
priorité au militaire. Ceci est évident aux USA avec le projet Manhattan
aboutissant avec "succès" à Hiroshima et Nagasaki. Mais cela est vrai
aussi pour la France. Voici quelques faits généralement passés sous
silence :
1 - La mise en
évidence de la fission de l’uranium laissait voir le futur énergétique de cet
élément et la question qui était posée concernait la possibilité d’une réaction
en chaine si la fission de l’uranium produisait plus d’un neutron. Lorsque
Joliot met en évidence la possibilité d’une réaction en chaine il s’empresse de
prendre 5 brevets entre le 30 avril et le 4 mai 1939. Quatre d’entre eux
concernaient la production civile d’énergie, le
cinquième, déposé le 4 mai 1939 à 15h 35 avait pour titre : "Perfectionnement
aux charges explosives".
2 - Joliot et son
équipe envisagent alors la première expérience de grande ampleur avec l’énergie
nucléaire. Joliot met à son programme l’explosion d’une bombe à uranium
("La Grande Expérience"), comme les effets peuvent être importants le
site projeté était au centre du Sahara !
3 - Dès cette époque
l’essentiel des préoccupations de Joliot et de son équipe est orienté vers la
bombe. Le 11 août 1945 Raoul Dautry, ancien ministre, révélait :
"Peu après le début de
la guerre, le gouvernement dut demander à M. Joliot-Curie de pousser ses
études, moins vers l’utilisation des radioéléments pour la production d’énergie
intéressant l’industrie du temps de paix (domaine où cependant, des
perspectives extraordinaires pouvaient déjà être entrevues), que vers la mise
au point d’un processus de libération brutale de l’énergie atomique avec des
effets dépassant infiniment ceux des explosifs puissants. C’est à ce moment que
j’eus à intervenir comme ministre de l’Armement pour mettre à la disposition de
M. Joliot-Curie tous les moyens dont il pouvait avoir besoin".
(Ce texte est cité dans le livre de Géraud Jouve, "Voici l’âge atomique",
1946 éditions Franc-Tireur).
Ainsi les premiers travaux
français un peu importants visant l’énergie nucléaire ont été financés en 1939
par l’armée. Cela ne souleva aucune polémique dans les milieux scientifiques
français.
C’est donc à juste titre que
Joliot pouvait déclarer après la destruction d’Hiroshima : "L’emploi
de l’énergie atomique et de la bombe a son origine dans les découvertes et les
travaux effectués au Collège de France par MM. Joliot-Curie, Halban et
Kowarski, en 1939 et 1940. Des communications ont été faites et des brevets
pris à cette époque" (dépêche AFP publiée par le Figaro du 9 août
1945). En somme la France, d’après Joliot, était en droit de réclamer aux
américains des royalties sur Hiroshima et Nagasaki puisque les bombes utilisées
étaient couvertes par des brevets français.
4 - Le
plutonium a été dès l’origine une préoccupation majeure du CEA. Le 15
décembre 1948 le premier réacteur atomique français ("Zoé")
divergeait. Il contribua au programme nucléaire français en fournissant du
combustible irradié d’où fut extrait en septembre 1949 les premiers
milligrammes de plutonium à l’usine
du Bouchet où une cellule avait été spécialement construite à cet effet.
Rapidement après le succès de
Zoé, la décision fut prise par l’état-major du CEA de construire à Marcoule le
réacteur G-1 de 2 mégawatts pour la production de plutonium à raison de 1
gramme par jour. On ne trouve, à cette époque, aucune justification de ce
programme plutonium pour une activité civile du CEA. Personne en France ne
s’étonna alors de cet intérêt pour le plutonium.
5 - Il n’y a là rien
d’étrange quand on se réfère aux textes fondateurs du Commissariat à l’énergie
atomique. L’ordonnance n° 45-2563 du 30 octobre 1945 institue un
Commissariat à l’énergie atomique (JO du 31 octobre 1945 p. 7065-7066).
L’article 1er définit les objectifs du CEA :
"Le Commissariat à
l’énergie atomique : "poursuit les recherches scientifiques et
techniques en vue de l’utilisation de l’énergie atomique dans les divers
domaines de la science, de l’industrie et de la défense nationale".
L’article 2 définit la
composition du comité qui doit administrer le CEA. Il comprendra : "Un
haut commissaire à l’énergie atomique [...] Un administrateur général délégué
du Gouvernement ; Trois personnalités qualifiées par leurs travaux
relatifs à l’énergie d’origine atomique Le président du comité de coordination
des recherches concernant la défense nationale".
Cette ordonnance fut rédigée à
partir des propositions de Frédéric Joliot et de Raoul Dautry. La signature de
De Gaulle était suivie par celles de 9 ministres. Les ministres des affaires
étrangères, de la guerre, de la marine et de l’air venaient en tête. Cette
présentation montre assez bien la hiérarchisation des motivations du
gouvernement en créant le CEA.
Le décret du 3 janvier 1946
"portant nomination du haut commissaire à l’énergie atomique et de
membres du comité de l’énergie atomique" est significatif de
l’orientation militaire du CEA dès son origine. Ce décret nomme Frédéric Joliot
haut commissaire (Art. 2). Dans l’article 1er on trouve : "Sont
nommés membres du comité de l’énergie atomique, en outre du président du comité
de coordination des recherches scientifiques intéressant la défense nationale,
membre de droit [...]". Suit la liste des savants nommés pour siéger
avec le représentant de l’armée : Irène Joliot-Curie, Pierre Auger,
Frédéric Joliot, Francis
Perrin.
La présence d’un représentant
militaire dans les organismes de direction du CEA ne semble pas avoir géné les
scientifiques de ces organismes.
La révocation de Joliot en
1950 pour son refus d’accepter l’orientation militaire du CEA (bombe et
sous-marins à propulsion nucléaire) a pu laisser croire qu’à l’origine le CEA
n’avait que des missions civiles. Bertrand Goldschmidt signale dans son livre
qu’"en janvier 1949 Joliot fut l’invité de la presse anglo-américaine
[...]. La question du secret atomique ayant été abordée, Joliot expliqua que
tout résultat de ses recherches susceptible de contribuer à un programme
militaire serait gardé secret tant que les Nations unies ne se seraient pas
mises d’accord sur un traité d’interdiction de l’arme atomique" (p. 433).
Ceci indique bien qu’il n’excluait pas les bombes atomiques.
L’activité prioritaire du CEA
pendant les années qui suivirent sa création fut militaire. Cependant le
développement des recherches pendant cette période pouvait laisser croire à une
orientation différente : la recherche des minerais d’uranium, la
purification de l’uranium, la fabrication industrielle de graphite très pur, la
neutronique etc. toutes ces activités pouvaient apparaître comme orientées vers
des applications pacifiques. Mais le CEA menait, en parallèle l’études du
plutonium pour mettre au point son extraction à partir des combustibles
nucléaires irradiés, et la construction des réacteurs à Marcoule avait pour
motif principal l’obtention rapide de plutonium pour la bombe. La production
électrique de ces réacteurs ne pouvait servir qu’à masquer l’orientation
militaire du CEA qui se concrétisa le 13 février 1960 par l’explosion au Sahara
de la première bombe française, une bombe au plutonium (voir les
Actualités Françaises du 17/2/1960).
Le CEA a été créé par De
Gaulle en 1945 afin de produire des bombes atomiques. Il a eu l’approbation
unanime des divers partis politiques, (droite et gauche confondues), et de
l’ensemble de la communauté scientifique, y compris de ceux, qui, comme Joliot,
se manifestèrent plus tard contre la bombe. L’activité civile française pour la
réalisation de réacteurs nucléaires de puissance ne prit réellement place dans
les programmes du CEA que lorsque sa mission première fut remplie : la
bombe.
Roger Belbéoch
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