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mardi 11 décembre 2012

Histoire d' un désastre annoncé (1/5)...



Histoire de l’atome en France (1/5)
18 octobre 1945, naissance du CEA...
18 octobre 1945, naissance du CEA : sa raison d’être, la bombe son alibi, la recherche
Il y a de nombreuses libertés vis-à-vis des faits historiques concernant les places respectives de la recherche militaire et civile au CEA, l’erreur la plus commune est d’inverser les rôles du militaire et du civil dans les motivations du CEA. Le CEA est généralement présenté comme un organisme créé pour développer les aspects pacifiques de l’énergie nucléaire, et l’orientation militaire ouvertement affirmée dans les années 50 est perçu alors comme une dérive des buts assignés au CEA à sa création.
La réalité est très différente : la mise en service en 1956 à Marcoule de G-1, premier réacteur électrogène français, montrait l’orientation fondamentale du CEA vers les applications militaires même si le Département des Applications Militaires (DAM) ne fut créé que plus tard, fin 1958. L’aspect électrogène de G-1 masquait en fait sa finalité réelle (G-1 piètre producteur d’électricité, 2 mégawatts électriques, n’a été exploité que par le CEA même après son couplage au réseau). Les réacteurs suivants, G-2 et G-3, plus puissants, (38 Mwe) furent eux aussi exploités par le CEA et non pas par EDF. La raison en est que la production de plutonium impose un mode de fonctionnement différent de celui nécessaire à la production d’électricité. La gestion par le CEA des réacteurs de Marcoule est la marque de leur objectif plutonigène. Il faudra attendre 1963 pour qu’EDF prenne en exploitation un réacteur nucléaire, le réacteur Chinon A-1, d’une puissance électrique de 70 mégawatts.
Cependant il y a plus fondamental. Dès l’origine les acteurs de l’énergie nucléaire ont donné la priorité au militaire. Ceci est évident aux USA avec le projet Manhattan aboutissant avec "succès" à Hiroshima et Nagasaki. Mais cela est vrai aussi pour la France. Voici quelques faits généralement passés sous silence :
1 - La mise en évidence de la fission de l’uranium laissait voir le futur énergétique de cet élément et la question qui était posée concernait la possibilité d’une réaction en chaine si la fission de l’uranium produisait plus d’un neutron. Lorsque Joliot met en évidence la possibilité d’une réaction en chaine il s’empresse de prendre 5 brevets entre le 30 avril et le 4 mai 1939. Quatre d’entre eux concernaient la production civile d’énergie, le cinquième, déposé le 4 mai 1939 à 15h 35 avait pour titre : "Perfectionnement aux charges explosives".
2 - Joliot et son équipe envisagent alors la première expérience de grande ampleur avec l’énergie nucléaire. Joliot met à son programme l’explosion d’une bombe à uranium ("La Grande Expérience"), comme les effets peuvent être importants le site projeté était au centre du Sahara !
3 - Dès cette époque l’essentiel des préoccupations de Joliot et de son équipe est orienté vers la bombe. Le 11 août 1945 Raoul Dautry, ancien ministre, révélait :
"Peu après le début de la guerre, le gouvernement dut demander à M. Joliot-Curie de pousser ses études, moins vers l’utilisation des radioéléments pour la production d’énergie intéressant l’industrie du temps de paix (domaine où cependant, des perspectives extraordinaires pouvaient déjà être entrevues), que vers la mise au point d’un processus de libération brutale de l’énergie atomique avec des effets dépassant infiniment ceux des explosifs puissants. C’est à ce moment que j’eus à intervenir comme ministre de l’Armement pour mettre à la disposition de M. Joliot-Curie tous les moyens dont il pouvait avoir besoin". (Ce texte est cité dans le livre de Géraud Jouve, "Voici l’âge atomique", 1946 éditions Franc-Tireur).
Ainsi les premiers travaux français un peu importants visant l’énergie nucléaire ont été financés en 1939 par l’armée. Cela ne souleva aucune polémique dans les milieux scientifiques français.
C’est donc à juste titre que Joliot pouvait déclarer après la destruction d’Hiroshima : "L’emploi de l’énergie atomique et de la bombe a son origine dans les découvertes et les travaux effectués au Collège de France par MM. Joliot-Curie, Halban et Kowarski, en 1939 et 1940. Des communications ont été faites et des brevets pris à cette époque" (dépêche AFP publiée par le Figaro du 9 août 1945). En somme la France, d’après Joliot, était en droit de réclamer aux américains des royalties sur Hiroshima et Nagasaki puisque les bombes utilisées étaient couvertes par des brevets français.

4 - Le plutonium a été dès l’origine une préoccupation majeure du CEA. Le 15 décembre 1948 le premier réacteur atomique français ("Zoé") divergeait. Il contribua au programme nucléaire français en fournissant du combustible irradié d’où fut extrait en septembre 1949 les premiers milligrammes de plutonium à l’usine du Bouchet où une cellule avait été spécialement construite à cet effet.
Rapidement après le succès de Zoé, la décision fut prise par l’état-major du CEA de construire à Marcoule le réacteur G-1 de 2 mégawatts pour la production de plutonium à raison de 1 gramme par jour. On ne trouve, à cette époque, aucune justification de ce programme plutonium pour une activité civile du CEA. Personne en France ne s’étonna alors de cet intérêt pour le plutonium.
5 - Il n’y a là rien d’étrange quand on se réfère aux textes fondateurs du Commissariat à l’énergie atomique. L’ordonnance n° 45-2563 du 30 octobre 1945 institue un Commissariat à l’énergie atomique (JO du 31 octobre 1945 p. 7065-7066). L’article 1er définit les objectifs du CEA :
"Le Commissariat à l’énergie atomique : "poursuit les recherches scientifiques et techniques en vue de l’utilisation de l’énergie atomique dans les divers domaines de la science, de l’industrie et de la défense nationale".
L’article 2 définit la composition du comité qui doit administrer le CEA. Il comprendra : "Un haut commissaire à l’énergie atomique [...] Un administrateur général délégué du Gouvernement ; Trois personnalités qualifiées par leurs travaux relatifs à l’énergie d’origine atomique Le président du comité de coordination des recherches concernant la défense nationale".
Cette ordonnance fut rédigée à partir des propositions de Frédéric Joliot et de Raoul Dautry. La signature de De Gaulle était suivie par celles de 9 ministres. Les ministres des affaires étrangères, de la guerre, de la marine et de l’air venaient en tête. Cette présentation montre assez bien la hiérarchisation des motivations du gouvernement en créant le CEA.
Le décret du 3 janvier 1946 "portant nomination du haut commissaire à l’énergie atomique et de membres du comité de l’énergie atomique" est significatif de l’orientation militaire du CEA dès son origine. Ce décret nomme Frédéric Joliot haut commissaire (Art. 2). Dans l’article 1er on trouve : "Sont nommés membres du comité de l’énergie atomique, en outre du président du comité de coordination des recherches scientifiques intéressant la défense nationale, membre de droit [...]". Suit la liste des savants nommés pour siéger avec le représentant de l’armée : Irène Joliot-Curie, Pierre Auger, Frédéric Joliot, Francis Perrin.
La présence d’un représentant militaire dans les organismes de direction du CEA ne semble pas avoir géné les scientifiques de ces organismes.
La révocation de Joliot en 1950 pour son refus d’accepter l’orientation militaire du CEA (bombe et sous-marins à propulsion nucléaire) a pu laisser croire qu’à l’origine le CEA n’avait que des missions civiles. Bertrand Goldschmidt signale dans son livre qu’"en janvier 1949 Joliot fut l’invité de la presse anglo-américaine [...]. La question du secret atomique ayant été abordée, Joliot expliqua que tout résultat de ses recherches susceptible de contribuer à un programme militaire serait gardé secret tant que les Nations unies ne se seraient pas mises d’accord sur un traité d’interdiction de l’arme atomique" (p. 433). Ceci indique bien qu’il n’excluait pas les bombes atomiques.
L’activité prioritaire du CEA pendant les années qui suivirent sa création fut militaire. Cependant le développement des recherches pendant cette période pouvait laisser croire à une orientation différente : la recherche des minerais d’uranium, la purification de l’uranium, la fabrication industrielle de graphite très pur, la neutronique etc. toutes ces activités pouvaient apparaître comme orientées vers des applications pacifiques. Mais le CEA menait, en parallèle l’études du plutonium pour mettre au point son extraction à partir des combustibles nucléaires irradiés, et la construction des réacteurs à Marcoule avait pour motif principal l’obtention rapide de plutonium pour la bombe. La production électrique de ces réacteurs ne pouvait servir qu’à masquer l’orientation militaire du CEA qui se concrétisa le 13 février 1960 par l’explosion au Sahara de la première bombe française, une bombe au plutonium (voir les Actualités Françaises du 17/2/1960).
Le CEA a été créé par De Gaulle en 1945 afin de produire des bombes atomiques. Il a eu l’approbation unanime des divers partis politiques, (droite et gauche confondues), et de l’ensemble de la communauté scientifique, y compris de ceux, qui, comme Joliot, se manifestèrent plus tard contre la bombe. L’activité civile française pour la réalisation de réacteurs nucléaires de puissance ne prit réellement place dans les programmes du CEA que lorsque sa mission première fut remplie : la bombe.
Roger Belbéoch

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