En Inde, les multinationales se cramponnent à la vie
BREVETS: Médicaments et semences font l’objet de luttes intenses dans le sous-continent. Avocate et militante du Forum contre les traités de libre-échange, Shalini Bhutani raconte.
Alors qu’une décision cruciale pour l’avenir des médicaments génériques est attendue ces jours en Inde, au sujet d’une plainte en justice de Novartis contre l’Etat, une avocate indienne est venue alerter le public suisse. Shalini Bhutani, militante du Forum contre les traités de libre-échange, a rappelé que la multinationale helvétique s’obstine à exiger la reconnaissance en Inde de son brevet sur le Glivec, un anti-cancéreux. Ceci alors que les autorités indiennes et américaines ont considéré que ce médicament ne représente pas une innovation thérapeutique, mais seulement une modification mineure de la molécule existante. Autrement dit, elle ne peut pas être brevetée. «La loi indienne sur les brevets est assez forte pour préserver les intérêts du pays, mais les juges vont-ils en faire une interprétation honnête?» s’interroge Shalini Bhutani.
Des millions de personnes menacées
L’enjeu de cette affaire est colossal. Car si la Cour suprême indienne donne raison à Novartis, cette jurisprudence mettrait en danger des dizaines de médicaments génériques, notamment des antirétroviraux contre le HIV, qui sont actuellement distribués dans des dizaines de pays. L’Inde est devenue la pharmacie des pays pauvres. Ainsi, plus de 50% des médicaments utilisés pour traiter le sida dans les pays du Sud proviennent d’Inde. C’est donc la vie de millions de personnes qui est en jeu. Ce qui explique l’âpreté de la bataille entre les ONG et les producteurs de génériques d’une part et la firme pharmaceutique d’autre part. Le verdict est attendu début janvier.
Semences privatisées
Novartis n’est pas la seule multinationale suisse sous les feux de la critique. Le géant des biotechnologies Syngenta et des firmes comme Monsanto et Dupont sont régulièrement mis en cause par les organisations paysannes indiennes et leurs relais associatifs. Avec l’aide des autorités indiennes, ces entreprises inondent le marché de semences génétiquement modifiées, souvent stériles, à grand renfort de publicité. Argument choc: elles promettent un rendement très supérieur aux semences classiques.
«Souvent le gouvernement octroie des crédits pour que les paysans puissent acquérir ces produits, qui doivent être rachetés chaque année. Pire, il conditionne l’octroi de prêts aux paysans à l’achat de ces graines!» raconte Shalini Bhutani. Résultat: l’agriculteur se lance dans la monoculture, s’endette et devient dépendant des céréales biotech. Lorsqu’un accident climatique survient, c’est la catastrophe. Car non seulement les espèces achetées résistent moins bien que les traditionnelles, mais la monoculture met les paysans à la merci d’une mauvaise récolte. Seule solution: s’endetter davantage. Jusqu’au jour où la charge financière devient insoutenable. «Obligés de quitter leurs terres, des dizaines de milliers de paysans préfèrent se suicider, parfois en avalant les pesticides fabriqués par ces mêmes agro-industriels», rappelle l’avocate.
Dépendance mortelle
Comble de l’absurde, ces semences sont complètement inutiles selon la militante: «Les paysans s’échangent leurs semences traditionnelles, d’une infinie diversité, depuis des millénaires. Elles procèdent d’une connaissance intime de leurs bienfaits. Malheureusement, depuis la ‘révolution verte’ des années 1960 et 1970 qui a généralisé les monocultures, ces graines et les savoirs qui y sont associés se sont souvent perdus localement.» D’où la dépendance de nombreux fermiers aux marchands de biotechnologie. Alors que les semences traditionnelles sont bien plus favorables pour les paysans: «Elles permettent par exemple de préserver la fertilité des sols et de produire des aliments pour le bétail.» Sans pour autant poser problème en matière de rendement: «L’Inde produit largement assez de nourriture. Le problème n’est pas sa production, c’est sa distribution.»
Savoir traditionnel usurpé
En réalité, la connaissance des graines traditionnelles n’est pas perdue pour tout le monde. Elles sont préservées par des institutions publiques en Inde qui créent de véritables banques de ressources génétiques. Mais elles ne sont pas facilement mises à disposition des petits producteurs. En revanche, les multinationales en bénéficient, assure l’avocate: «Des institutions ce de type, telles que le Centre de recherche agricole international, collaborent avec les firmes de l’agroalimentaire, lesquelles utilisent les données traditionnelles pour créer des semences génétiquement modifiées qu’elles vendront aux paysans.»
Les agriculteurs ne se laissent pas faire. Marches, manifestations, sit-in, pétitions sont organisés chaque semaine en Inde. Mais pour l’instant, semenciers et autorités s’obstinent. «En Suisse, vous avez un moratoire sur les OGM, Pourquoi pas en Inde?» conclut Shalini Bhutani.
Christophe Koessler
Du business alimentaire à la souverainetéDes millions de personnes menacées
L’enjeu de cette affaire est colossal. Car si la Cour suprême indienne donne raison à Novartis, cette jurisprudence mettrait en danger des dizaines de médicaments génériques, notamment des antirétroviraux contre le HIV, qui sont actuellement distribués dans des dizaines de pays. L’Inde est devenue la pharmacie des pays pauvres. Ainsi, plus de 50% des médicaments utilisés pour traiter le sida dans les pays du Sud proviennent d’Inde. C’est donc la vie de millions de personnes qui est en jeu. Ce qui explique l’âpreté de la bataille entre les ONG et les producteurs de génériques d’une part et la firme pharmaceutique d’autre part. Le verdict est attendu début janvier.
Semences privatisées
Novartis n’est pas la seule multinationale suisse sous les feux de la critique. Le géant des biotechnologies Syngenta et des firmes comme Monsanto et Dupont sont régulièrement mis en cause par les organisations paysannes indiennes et leurs relais associatifs. Avec l’aide des autorités indiennes, ces entreprises inondent le marché de semences génétiquement modifiées, souvent stériles, à grand renfort de publicité. Argument choc: elles promettent un rendement très supérieur aux semences classiques.
«Souvent le gouvernement octroie des crédits pour que les paysans puissent acquérir ces produits, qui doivent être rachetés chaque année. Pire, il conditionne l’octroi de prêts aux paysans à l’achat de ces graines!» raconte Shalini Bhutani. Résultat: l’agriculteur se lance dans la monoculture, s’endette et devient dépendant des céréales biotech. Lorsqu’un accident climatique survient, c’est la catastrophe. Car non seulement les espèces achetées résistent moins bien que les traditionnelles, mais la monoculture met les paysans à la merci d’une mauvaise récolte. Seule solution: s’endetter davantage. Jusqu’au jour où la charge financière devient insoutenable. «Obligés de quitter leurs terres, des dizaines de milliers de paysans préfèrent se suicider, parfois en avalant les pesticides fabriqués par ces mêmes agro-industriels», rappelle l’avocate.
Dépendance mortelle
Comble de l’absurde, ces semences sont complètement inutiles selon la militante: «Les paysans s’échangent leurs semences traditionnelles, d’une infinie diversité, depuis des millénaires. Elles procèdent d’une connaissance intime de leurs bienfaits. Malheureusement, depuis la ‘révolution verte’ des années 1960 et 1970 qui a généralisé les monocultures, ces graines et les savoirs qui y sont associés se sont souvent perdus localement.» D’où la dépendance de nombreux fermiers aux marchands de biotechnologie. Alors que les semences traditionnelles sont bien plus favorables pour les paysans: «Elles permettent par exemple de préserver la fertilité des sols et de produire des aliments pour le bétail.» Sans pour autant poser problème en matière de rendement: «L’Inde produit largement assez de nourriture. Le problème n’est pas sa production, c’est sa distribution.»
Savoir traditionnel usurpé
En réalité, la connaissance des graines traditionnelles n’est pas perdue pour tout le monde. Elles sont préservées par des institutions publiques en Inde qui créent de véritables banques de ressources génétiques. Mais elles ne sont pas facilement mises à disposition des petits producteurs. En revanche, les multinationales en bénéficient, assure l’avocate: «Des institutions ce de type, telles que le Centre de recherche agricole international, collaborent avec les firmes de l’agroalimentaire, lesquelles utilisent les données traditionnelles pour créer des semences génétiquement modifiées qu’elles vendront aux paysans.»
Les agriculteurs ne se laissent pas faire. Marches, manifestations, sit-in, pétitions sont organisés chaque semaine en Inde. Mais pour l’instant, semenciers et autorités s’obstinent. «En Suisse, vous avez un moratoire sur les OGM, Pourquoi pas en Inde?» conclut Shalini Bhutani.
Christophe Koessler
Alors qu’une personne sur huit souffre de malnutrition dans le monde, le système alimentaire se concentre chaque jour un peu plus en mains de firmes transnationales obnubilées par le profit. Aucune fatalité à cela! Deux ouvrages publiés tout récemment par le Centre Europe-Tiers Monde (CETIM) à Genève permettent de nourrir l’espoir d’un changement.
Le premier est la traduction d’un livre de référence publié par la fondation d’origine espagnole GRAIN, Hold-up sur l’alimentation, qui fait le point sur le rôle des multinationales dans la production d’aliments. Didactique, l’ouvrage collectif s’adresse à tous les publics. Semences, agro-industrie, accaparement des terres, de nombreux domaines sont passés successivement en revue à travers des exemples concrets. Objectif de GRAIN: «Restituer le système alimentaire à ceux à qui il appartient: les paysans et les populations.»
C’est également le but poursuivi par le mouvement paysan Via Campesina, auquel le second livre du CETIM, Terre et liberté, consacre son premier chapitre. Au centre de l’argumentation: la souveraineté alimentaire, définie comme «le droit des peuples, des pays ou des groupes de pays à définir leurs politiques agricoles et alimentaires». Une interview pointue de Paul Nicholson, membre éminent de Via Campesina, intéressera ceux qui s’interrogent sur les stratégies à suivre par les ONG et les mouvements sociaux pour parvenir à réaliser cet idéal. Un autre chapitre aborde de manière originale un sujet peu exploré. Celui de l’insertion du commerce équitable dans la transformation globale du système de production. L’auteur, Xavier Montagut, du réseau de consommation solidaire de Barcelone, considère qu’il est illusoire de penser que les pratiques alternatives de commerce équitable vont occuper toujours plus d’espace jusqu’à devenir dominantes. Il les inclut en revanche dans une stratégie citoyenne et politique plus large... A lire.
Commandes: contact@cetim.ch 022 731 59 63
Le premier est la traduction d’un livre de référence publié par la fondation d’origine espagnole GRAIN, Hold-up sur l’alimentation, qui fait le point sur le rôle des multinationales dans la production d’aliments. Didactique, l’ouvrage collectif s’adresse à tous les publics. Semences, agro-industrie, accaparement des terres, de nombreux domaines sont passés successivement en revue à travers des exemples concrets. Objectif de GRAIN: «Restituer le système alimentaire à ceux à qui il appartient: les paysans et les populations.»
C’est également le but poursuivi par le mouvement paysan Via Campesina, auquel le second livre du CETIM, Terre et liberté, consacre son premier chapitre. Au centre de l’argumentation: la souveraineté alimentaire, définie comme «le droit des peuples, des pays ou des groupes de pays à définir leurs politiques agricoles et alimentaires». Une interview pointue de Paul Nicholson, membre éminent de Via Campesina, intéressera ceux qui s’interrogent sur les stratégies à suivre par les ONG et les mouvements sociaux pour parvenir à réaliser cet idéal. Un autre chapitre aborde de manière originale un sujet peu exploré. Celui de l’insertion du commerce équitable dans la transformation globale du système de production. L’auteur, Xavier Montagut, du réseau de consommation solidaire de Barcelone, considère qu’il est illusoire de penser que les pratiques alternatives de commerce équitable vont occuper toujours plus d’espace jusqu’à devenir dominantes. Il les inclut en revanche dans une stratégie citoyenne et politique plus large... A lire.
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