Remettre la
redistribution au cœur du débat sur la pauvreté
La
Conférence nationale contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, qui
s’ouvre aujourd’hui, place le gouvernement en demeure de devoir choisir vite
(en vue de la prochaine loi de finances) le sort à réserver au volet activité
du Revenu de solidarité active (RSA) : faut-il conserver ce dispositif, alors
qu’il ne parvient pas à assurer la redistribution envers les travailleurs à bas
salaire (le taux de non-recours est de presque 70 %) et supprimer la Prime pour
l’emploi (PPE), qui lui fait concurrence ? Ou faut-il revenir à la situation
qui prévalait avant l’instauration du RSA, tout en recalibrant la PPE afin
qu’elle touche plus efficacement les plus bas revenus, la «dégeler» et
supprimer le RSA activité ?
Revenons
en arrière pour comprendre les termes du choix. Le RSA devait constituer une
innovation radicale : succédant à un RMI chargé de toutes les tares (faible
nombre de contrats d’insertion, trappes à pauvreté…), il devait permettre de
remporter la victoire contre la pauvreté, récompenser ceux qui revenaient à
l’emploi et supprimer les effets de seuil. Entré en vigueur
en juin 2009, après une expérimentation douteuse (1), ce nouveau
dispositif réussissait un double tour de force. D’abord, celui de se
désintéresser des allocataires les plus pauvres, ceux qui ne disposent pas de
revenus d’activité : pas de revalorisation du revenu minimum garanti,
orientation des allocataires vers des services de Pôle Emploi débordés,
extension de l’obligation de recherche d’emploi aux parents isolés,
inadaptation aux situations de reprise d’emploi (les personnes travaillent
souvent pour de faibles quantités de travail sur une courte durée suivie de
périodes d’inactivité, ce qui génère suspensions de droits et indus). Ensuite,
et peut-être le plus grave, celui de créer un nouveau public d’allocataires,
les travailleurs à bas salaire, destinataires du RSA activité. Depuis 2001, ces
derniers bénéficiaient de la PPE, crédit d’impôt qui leur était versé en tant
que contribuables. Avec le RSA activité, les voilà devenus des allocataires
d’aide sociale, contraints de remplir une déclaration trimestrielle de
ressources exposant leurs biens et revenus ainsi que ceux du foyer. De
contribuables ils sont donc passés au statut de demandeurs d’aide sociale.
Comment
s’étonner alors que l’écrasante majorité de la population cible se soit
détournée du dispositif ? Une nouvelle campagne d’information n’y changera
rien. La réforme n’a fait que ajouter une couche de complexité et de stigmatisation
au système existant. Il faut sortir de cette double impasse. D’abord,
s’agissant du RSA socle, il est urgent de procéder à la revalorisation du
revenu minimum garanti, qui s’est très fortement éloigné du seuil de pauvreté.
Ensuite, s’agissant du RSA activité, il importe de redonner un sens au
complément de revenu destiné aux travailleurs à bas salaires. Excluons d’abord
les options qui ont pour unique fondement l’incitation au retour à l’emploi, ce
qui élimine à la fois le statu quo et l’absorption de la PPE par le RSA
activité. Restent deux options, fondées sur des principes de redistribution. La
première consiste à redonner au complément de revenu son sens initial, celui
d’un crédit d’impôt à vocation redistributive : c’est le retour à la PPE seule.
Une PPE recalibrée de manière à redistribuer davantage vers les plus bas
revenus serait automatiquement versée aux personnes à bas revenus (salariés ou
non), et pourrait être mensualisée.
La
seconde consisterait à rapprocher le complément de revenu du salaire lui-même,
en le faisant figurer sur la feuille de paie. L’idée n’est pas nouvelle, (elle
avait été suggérée en 2008 pour mieux «inciter» au travail), mais son but
serait différent : le complément de revenu figurant au côté du salaire constituerait
une forme de reconnaissance d’un droit à un salaire décent. On pourrait ainsi
combiner l’automaticité du versement de la PPE et la temporalité du versement
du salaire, tout en rendant visible l’insuffisance des salaires versés. Chacun
serait traité comme un travailleur vivant de son salaire, et non comme un
allocataire dépendant de la générosité publique - fable d’autant plus
insupportable que les salariés modestes paient en France de très lourds impôts
indirects. Certes, cette innovation implique des ajustements, surtout pour
tenir compte de la structure des ménages, des multi-employeurs, etc. Mais
ce serait une manière de sortir «par le haut» de l’alternative entre aide
sociale (stigmatisée sous le terme d’assistanat), et crédit d’impôt (dénoncé
comme niche fiscale), tout en réconciliant la gauche avec les salariés
modestes.
Bernard Gomel Economiste au Centre d’études de l’emploi Dominique Méda
Professeure de sociologie à l’université Paris-Dauphine Evelyne
Serverin Juriste, directrice de recherches au CNRS
(1)
Lire le n° 174 de la revue «Informations sociales».
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